Dans le maquis des signaux faibles de la conflictualité ambiante, comment donner tous leur sens à ceux qui ont un réel contenu stratégique ? Plus que la détection, c’est la qualification des risques et des dangers qui posent problème si l’on veut pouvoir engager l’effort du pays dans la voie sûre de sa sécurité.
Décèlement précoce et discernement stratégique
Early warning and strategic judgment
In the jungle of weak signals coming out of prevailing conflict situations, how can we identify those that have real strategic significance? More than simple detection, the evaluation of risks and dangers is the problem to be solved if we wish to be able to commit the nation’s efforts along the true path of security.
Au terme d’un discours pétillant d’intelligence, en clôture des récentes assises nationales de la recherche stratégique tenues à l’École militaire, Michel Rocard se réjouissait que le concept de « décèlement précoce » ait désormais droit de cité, sinon encore lettres de noblesse. On ne saurait qu’opiner. Il importe en effet à ceux qui ont la charge de penser la défense et la sécurité du pays demain de savoir déceler à temps les éléments qui en constitueront la trame. L’exercice n’est pas facile, comme peut en témoigner l’auteur de ces lignes qui a été chargé, plusieurs années durant, d’y pourvoir. Les champs d’observation, tant géographiques que thématiques ou sociétaux ; les humains, leurs intérêts et leurs conflits, considérés tant dans leurs territoires que dans leurs flux ; le vaste champ des sciences et des technologies, tout ceci forme un domaine immense à explorer, qui nécessite à la fois expertise pointue dans chaque discipline et transdisciplinarité large, acuité du regard et profondeur de vue.
Néanmoins, qu’il nous soit permis d’observer que ce n’est pas tant sur le décèlement que peut achopper la démarche. Plusieurs méthodes s’offrent à nous : exploitation systématique des sources ouvertes, interrogation d’experts et autres Delphis classiques, ou recours plus hétérodoxes aux marchés prédictifs, etc., les émetteurs de décèlements précoces ou de signaux faibles ne manquent pas. La difficulté n’est pas dans le recueil de ces décèlements, mais dans leur « mise en sens stratégique » : qu’est-ce qui, dans l’immense champ des éléments décelés, qui constituent chacun pour sa part un élément de la « vérité » stratégique, a un sens, ou tout simplement une utilité stratégique ? Là est la question.
Elle est d’importance pour ceux qui portent la responsabilité de penser l’appareil de défense et de sécurité de demain. Il est en effet crucial de savoir discerner, dans le vaste champ des possibles, les éléments qui seront les déterminants stratégiques de demain. En d’autres termes, le type de question pertinente est : qu’est-ce qui, dans les éléments que je décèle aujourd’hui, sera un jour un élément à ce point déterminant de la donne stratégique que je doive dès demain engager un effort militaire, scientifique, technique, industriel d’ampleur nationale pour y faire face dans dix, vingt ou trente ans, comme ce fut le cas en son temps, par exemple, de la construction de l’outil de dissuasion nucléaire ? Voilà la question du stratège. Toute autre considération est contingente et subsidiaire.
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