La crise éthiopienne a connu, durant les derniers mois de 1974, plusieurs rebondissements qui en ont modifié la nature et la portée. Le Comité militaire a cessé d’être le ferment de la démocratisation progressive du régime impérial pour devenir le cerveau d’une dictature conduisant à la socialisation du pays. Pour en arriver là, il lui a fallu procéder à l’épuration de l’armée et bouleverser la classe dirigeante ; les différentes tentatives, maladroites, faites par des modérés pour freiner le cours des événements, en ont été le prétexte. Puis l’évolution est devenue plus rapide : six mois ont été nécessaires pour évincer l’Empereur ; il suffira d’à peine 90 jours pour passer de la dictature militaire à la socialisation du régime. La chute du Négus a été provoquée par la victoire des « républicains » de l’armée sur les « féodaux réformateurs » ; la transformation du régime par celle des « jacobins » nationalistes sur les « girondins » fédéralistes. Mais cette évolution n’aurait pu se produire si la crise, au départ, n’avait été le résultat d’un mécontentement profond des cadres subalternes de l’armée, déçus par l’immobilisme du pouvoir central et de la hiérarchie militaire, et si, par l’efficacité même de leur action initiale, ils n’avaient pas tenu prisonniers les quelques cadres supérieurs qui les avaient suivis pour temporiser. On retrouve le même phénomène dans l’évolution récente du Portugal, à cette différence près que les jeunes officiers, maîtres du jeu à Lisbonne, n’ont pas poussé aussi loin leur avantage, puisque le général Costa Gomez a pu succéder au général Spinola ; ils s’appuient en outre sur des partis politiques organisés, alors qu’à Addis-Abeba la jeune équipe militaire ne doit plus compter maintenant que sur elle seule et qu’elle manque de toute expérience politique. De plus, en supprimant le mythe de l’Empereur, avant d’avoir essayé d’implanter dans les ethnies un parti centralisateur, le pouvoir militaire, nationaliste et jacobin, ne dispose que de l’armée pour combattre les forces centrifuges dont certaines, notamment en Érythrée et en Ogaden, sont très puissantes. Le drame éthiopien, qui peut remettre en cause l’équilibre de la corne orientale de l’Afrique, à l’heure de la réouverture du canal de Suez va donner un regain d’intérêt aux confins de l’océan Indien et de la mer Rouge, c’est-à-dire à la zone du détroit de Bab el Mandeb (Sud et Nord-Yémen, Érythrée, Territoire français des Afars et des Issas ou TFAI et [NDLR 2025 : Futur Djibouti en 1977] Somalie), doit être suivi avec une grande attention. Lire la suite
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