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Revue Défense Nationale - Mars 2000 - n° 618

Je vous remercie de l’honneur que vous m’avez fait en me confiant la présidence de cette réunion. À vrai dire, j’agirai moins comme un président que comme un modérateur, encore que ce nom soit impropre en la circonstance car, pour « modérer », il faudrait que les opinions qui seront proférées soient excessives.

Pour lancer le débat, et émettre un peu l’opinion de l’homme de la rue, de celui qui n’est pas juriste, ce qui est mon cas, je voudrais refléter ce que pense l’uomo qualunque et poser quelques questions.

Voici mes questions, fort brèves : la première concerne le droit d’ingérence humanitaire. Est-ce un droit ? A priori non ! tout au moins dans l’état actuel du droit. La tradition internationale veut que l’État soit libre d’agir comme il lui plaît à l’intérieur de frontières internationalement reconnues. Depuis 1945, il y a cet article fameux de la Charte des Nations unies qui énonce (art. 2 § 7 de la Charte) ce principe fondamental de la non-intervention dans les affaires intérieures d’un État. Je me souviens que ce principe conduit à de curieuses alliances. Aux Nations unies, lorsque la France menait la guerre d’Algérie, notre ambassadeur avait quelque difficulté à critiquer la Chine à propos du Tibet, car on avait peur alors d’être en dissonance avec notre propre position selon laquelle le problème algérien était une affaire intérieure.

Ma deuxième question est la suivante : peut-on cependant laisser un État faire n’importe quoi, y compris assassiner ses propres nationaux ? Là encore, la réponse est non ! Il faut alors faire un retour vers le passé. Dans les guerres anciennes, ce sont les forces armées des belligérants qui subissaient les coups, ce qui a toujours paru normal. Dans les conflits modernes, on a fait souffrir les populations civiles. Je pense à ce que tout le monde connaît : Amsterdam rasée, Coventry rasée, Dresde incendiée, sans parler de Tokyo, Hiroshima, Nagasaki, etc. Les guerres actuelles, qui ne sont plus des guerres mondiales, mais des guerres qui atteignent surtout le Tiers Monde, touchent essentiellement les populations civiles, allant parfois, comme au Rwanda, au Nigeria ou en Sierra Leone, jusqu’à de véritables génocides, sans parler du Liban, du Kurdistan, du Kosovo ou de la Tchétchénie.

Est-ce que la communauté internationale a les mêmes pratiques d’ingérence quel que soit le conflit en cours ? C’est mon troisième non ! Prenons quelques exemples. Le premier cas d’ingérence humanitaire est le saut des parachutistes sur Kolwezi, au Katanga. Il s’agissait alors moins de soulager des populations katangaises que de sauver des expatriés européens qui risquaient d’être massacrés. Autre exemple qui s’est mal terminé : l’opération Turquoise au Rwanda. Les opérations du Liban et de Somalie ont abouti à des échecs. Au Liban, avec le terrorisme qui a tué un certain nombre de militaires français et américains, les Occidentaux ont préféré évacuer les lieux. Et puis il y eut l’opération au Kurdistan d’Irak. Les troupes américaines, britanniques et françaises, qui étaient massées à la frontière irakienne, ont libéré le Koweït, acculant entre les marais et la frontière d’Iran les meilleures troupes irakiennes, la garde nationale. Le président Bush a décidé d’arrêter la guerre alors que celles-ci étaient condamnées à la capitulation dans un délai de deux à trois jours. Le président américain et ses conseillers avaient craint alors la constitution de trois États en Irak : kurde au nord, sunnite au centre et chiite au sud. Pourtant, les grandes installations pétrolifères d’où l’Amérique tire l’essentiel de ses importations se trouvent à Dhahran, zone chiite d’Arabie Séoudite et, comme l’Iran est également chiite, on pouvait redouter que l’État chiite iranien pût contrôler le site de Dhahran. Reste l’humanitaire avec l’opération Provide Comfort, et les Américains, qui connaissent mal la géographie humaine du Proche-Orient et qui sont habitués aux parallèles, en ont déterminé un qui inclut Mossoul indiscutablement arabe, mais qui laisse une grande partie du Kurdistan d’Irak aux mains de Saddam Hussein. Pourquoi les Américains ont-ils été amenés à intervenir avec les Britanniques et les Français ? Sans doute parce que l’opinion publique internationale avait constaté que ces mêmes troupes irakiennes, qui avaient été épargnées, ont d’abord écrasé la révolte chiite au sud de l’Irak, puis sont allés au Kurdistan faisant fuir deux millions et demi de Kurdes. La pression de l’opinion publique fut alors d’autant plus forte que CNN montrait l’exode kurde en direct. Il y eut aussi trois échecs majeurs : le Tibet pour lequel on ne fait rien alors que la Chine continue à y déverser ses populations ; la Turquie malgré la répression sévère dont pâtit la population kurde où l’on compte quatre millions d’expulsés de leurs foyers (c’est infiniment plus grave que ce qu’a fait Milosevic contre les Kosovars), mais ce pays semble intouchable, car il couvre le flanc Sud de l’Otan. Enfin, le troisième exemple est celui de la Tchétchénie à propos de laquelle on se contente d’inciter les Russes à la modération !

Alors, que cache cette différence de traitement ? Certains avancent que les Occidentaux interviennent dans le domaine humanitaire par l’impérialisme quand l’État est faible, ce qui est le cas de l’Irak et de la Serbie, alors qu’ils se gardent de toute intervention quand l’État est puissant. Est-ce donc de l’impérialisme, de la lâcheté ou tout simplement de la prudence ?

Qu’est-ce qui pousse à l’ingérence humanitaire ? C’est effectivement l’opinion publique, qui a de plus en plus de poids dans les démocraties, notamment grâce à l’action des médias bien que l’opinion soit quelque peu mithridatisée par les horreurs dont on l’abreuve. N’est-on pas en droit de voir dans ce devoir d’ingérence humanitaire l’apparition d’une nouvelle forme de droit qui va exister par la pratique que l’on va en faire ? Est-ce que l’action n’engendre pas finalement le droit ? Je me souviens, un jour à Djibouti, que l’on m’expliquait que sous nos pas se développait une sorte de minuscule volcan : c’était l’Afrique destinée à se fracturer en deux au bout de quelques millions d’années. Ce droit d’ingérence humanitaire n’est-il pas en train de naître sous nos yeux ? ♦

Bernard Dorin

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