La défense européenne est entrée dans une phase critique avec des États-Unis qui prennent leur distance envers l’Otan, une Russie agressive au-delà du conflit avec l’Ukraine, et des Européens en état de sidération face aux changements. Il faut désormais de la lucidité et du courage politique pour que l’Europe cesse de s’accommoder et prenne son destin en main.
La défense européenne entre volonté d’affirmation stratégique et renoncement politique
La séquence ouverte en début d’année 2025 par les admonestations et les provocations de l’administration Trump à l’égard des Européens et de l’Ukraine – on se souvient du discours particulièrement sonore et agressif de J.D. Vance à Munich le 14 février 2025 – s’est terminée, sans surprise fin juillet en Écosse, avec l’accord passé entre l’Union européenne et les États-Unis sur les tarifs douaniers. Les gifles avaient galvanisé les velléités d’affirmation stratégiques des Européens en hiver, le manque de confiance en eux-mêmes et une intériorisation excessive de leurs faiblesses collectives les ont conduits, comme chaque fois que le temps se gâte, au renoncement cet été.
À vrai dire, la messe était déjà dite au 32e sommet de l’Otan (La Haye les 24 et 25 juin 2025) quand, soucieux de complaire à Washington, les Européens affichaient comme un succès l’accord dit 5/5, ce compromis de façade qui n’abusait pourtant personne. En contrepartie de la réaffirmation de la garantie de l’article 5 de la charte de l’Otan par les États-Unis, les alliés européens de l’Otan s’engageaient en effet à porter à 5 % du PIB leurs dépenses militaires et à acheter davantage de matériel américain, ce que l’accord commercial passé par Mme von der Leyen à Turnberry, le 27 juillet, est venu confirmer (1). Celui-ci prévoit l’achat sur trois ans de 750 milliards de dollars de produits énergétiques et d’équipements militaires américains par les pays de l’UE. Malgré ces accords de papier, la vérité oblige pourtant à poser trois constats objectifs. La garantie américaine dans l’Otan a plus que jamais du plomb dans l’aile. Rien de concret à court terme n’a été obtenu sur l’Ukraine (2), ni à long terme sur une redéfinition du pacte atlantique nécessaire à la réécriture de l’équation de sécurité du Vieux Continent. D’un autre côté, l’objectif européen de porter l’effort de défense et de sécurité à 5 % est aussi peu réaliste que collectivement mal justifié (3). Enfin l’accroissement de la dépendance, déjà très forte, aux approvisionnements militaires américains renforce la vassalisation de l’UE et va donc à l’encontre d’une émancipation stratégique prétendument recherchée.
Pour beaucoup, au vu des compromis hasardeux passés en 2025 par Mark Rutte à l’Otan (secrétaire général depuis le 1er octobre 2024) et par Ursula von der Leyen au nom de l’UE, l’affirmation d’une posture stratégique européenne ne relèverait désormais plus seulement des vaines promesses mais de l’imposture politique. On peut être plus indulgent vis-à-vis de ces deux dirigeants si l’on considère qu’ils ont simplement, face à Trump, cherché à gagner du temps. Cependant, à supposer que les conclusions du Sommet de La Haye et de la réunion de Turnberry soient des engagements insincères et n’aient été acceptées qu’à des fins tactiques, faire converger les politiques militaires des pays européens sur une véritable posture de défense et de sécurité commune suppose de ne pas être les dupes de nos mensonges.
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