Dès décembre 1945, un assistant de Joliot-Curie entrevoit le bouleversement qu’introduit l’arme atomique et esquisse ce qui deviendra l’interdiction de la guerre par la terreur. Aujourd’hui oubliée, la vulgarisation faite alors dans Science et Vie rappelle que la France de 1939 était un pays pionnier de l’atome et que sa marche vers la puissance nucléaire ne doit rien au hasard.
Aux origines de la stratégie française de dissuasion : Maurice Nahmias
Maurice Nahmias: a man at the origin of French deterrent strategy
Maurice Nahmias was a student in the USA before the war, and later, from December 1945, was an assistant of Joliot-Curie. He closely observed the shake-up resulting from the introduction of the atomic bomb and outlined what was to become deterrence of war by terror. Although today forgotten, the explanations he offered of the coming nuclear era at the time in the magazine Science et Vie remind us that the France of 1939 was one of the pioneering countries in atomic matters and that its march towards becoming a nuclear power had nothing to do with chance.
Nous sommes en décembre 1945, en France. Le simple citoyen peut alors acquérir pour la modique somme de 60 francs de l’époque, à son kiosque à journaux préféré, un bien curieux magazine. Il s’agit d’un numéro spécial de la revue Science et Vie. En couverture, le dessin d’une machine nouvelle, futuriste et terrifiante, le cyclotron géant de l’université de Californie. Ce numéro spécial de la célèbre publication a pour titre « Artillerie atomique ». Il s’agit là, quelques mois après les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki, d’une des toutes premières publications de vulgarisation scientifique consacrée à l’atome et à ses applications, qu’elles soient économiques, scientifiques, médicales et bien sûr militaires. Dans une France meurtrie par le souvenir de la défaite de juin 1940 et quatre années d’occupation, dans ce pays tout juste revenu à la paix dans le Club des vainqueurs, son auteur, un scientifique français, Maurice E. Nahmias, propose ainsi un nouveau monde à construire sur la base d’une nouvelle révolution technologique — et opérationnelle — celle de l’atome.
Ce numéro n’est mentionné nulle part, dans aucune bibliographie et c’est tout à fait par hasard, dans une brocante en Normandie que je l’ai découverte. Sa lecture est édifiante. Il semble désormais utile d’associer ce document à l’histoire de la pensée stratégique française, d’autant que ses idées font écho à l’article de l’amiral Raoul Castex « Aperçus sur la bombe atomique », que publie en octobre 1945 la Revue Défense Nationale. Tribune ouverte à la réflexion stratégique et militaire française, la revue avait reparu à partir de juillet. Dans Science et Vie, le professeur Nahmias pousse très loin ses conclusions sur les conséquences stratégiques de la révolution nucléaire. Prophétique dans tous les registres (industriels, santé, défense), son texte a ceci de remarquable qu’il se rapproche des formulations ultérieures des stratégies de dissuasion, comme on pourra le lire un peu plus tard sous la plume d’un général Ailleret d’abord, puis d’un Gallois ou d’un Poirier. D’où cette invitation à une lecture croisée des deux réflexions de la fin de 1945, celle du militaire et celle du scientifique.
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