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  • Une lecture militaire et maritime du passé et du présent. Faire la guerre, assurer la défense, protéger la Nation – Tristan Lecoq
  • L'année 1940

L'année 1940

Tristan Lecoq, "L'année 1940 " Une lecture militaire et maritime du passé et du présent. Faire la guerre, assurer la défense, protéger la Nation – Tristan Lecoq

L’année 1940 révèle l’échec stratégique, politique et militaire de la France : une armée figée dans des doctrines d'emploi dépassées, des élites divisées, une défaite foudroyante. Un nouveau régime, a minima autoritaire. Trois atouts fragiles : une France non-occupée, l’empire colonial, la Flotte de guerre. Une résistance naissante, l’appel de Charles de Gaulle, les premiers ralliements en Afrique fondent un nouveau récit national encore faible face à l’occupation, à la collaboration et l’état du pays et de son peuple.

L’année 1940

Tristan Lecoq

Capitaine de vaisseau (CR). Inspecteur général de l’Éducation nationale (histoire-géographie). Membre de l’Académie de Marine. Membre associé de l’Inspection générale des affaires maritimes.

Les événements survenus en 1940 font de cette année l’une des plus noires de l’histoire de la France à l’époque contemporaine. La « drôle de guerre » et un effondrement militaire qui tourne en débâcle et l’exode, la faillite des élites et le choix de l’armistice, la division et l’occupation du territoire et l’avènement d’un régime autoritaire qui collabore avec le vainqueur. La défaite, l’effondrement et l’avènement du régime de Vichy se sont pourtant accompagnés de formes de résistance et d’opposition importantes au cours de l’année 1940. Enseigner 1940, c’est concentrer l’attention des enseignants et des élèves sur trois temps forts de cette année (1) : la France et les Français face à la guerre : la « drôle de guerre » et la campagne de France ; la France et les Français face à la défaite : l’appel, le sursaut et le salut ; la France et les Français face à l’Allemagne : gouverner et résister par gros temps.

La France et les Français en guerre : la « drôle de guerre » et la campagne de France

La France de 1940 est en guerre depuis quatre mois. Une guerre à reculons, une « drôle de guerre », une guerre sans front. Si l’année 1939 avait donné l’impression d’un raidissement de l’opinion publique vis-à-vis de l’Allemagne nazie après l’annexion de Prague, à la guerre civile qui couvait entre Français, entre patriotes et pacifistes, entre anti-militaristes de gauche et anti-modernistes de droite s’ajoutait, à compter du pacte germano-soviétique du 23 août 1939, la dissidence du parti communiste et de ses cadres, sinon de ses militants. L’entrée en guerre s’était effectuée sans qu’à la Chambre des députés, le mot ait été prononcé par Édouard Daladier, président du Conseil et ministre de la Guerre et de la Défense nationale, mais un vote de crédits « […] pour faire face à la situation internationale ».

La classe politique était elle-même profondément divisée, à l’image d’une société cloisonnée entre les élites et les autres, les ouvriers et les paysans, les inclus, les exclus et les reclus : « Les possédants sont possédés par ce qu’ils possèdent. (2) » Une décomposition sociale, politique, diplomatique, un pacifisme littéraire, internationaliste ou désenchanté, l’attitude des intellectuels « […] le pacifisme d’un Giono, l’amertume d’un Paul Valéry, le défaitisme de Martin du Gard, ou bien le fascisme d’un Drieu La Rochelle » s’additionnent et composent comme « une forme de résignation majoritaire » (3).

L’outil militaire n’avait connu qu’une modernisation tardive, inachevée, incomplète et « le corps militaire, auquel l’État ne donnait d’impulsions que saccadées et contradictoires, s’enfermait dans son conformisme. L’Armée se figeait dans les conceptions qui avaient été en vigueur avant la fin de la dernière guerre. Elle y était d’autant plus portée que ses chefs vieillissaient à leur poste, attachés à des errements qui avaient, jadis, fait leur gloire » (4).

Une armée de fantassins et de réservistes peu ou mal entraînés, des chars dispersés, un entraînement insuffisant à l’abri de la ligne Maginot. Une armée de l’Air trop tardivement équipée d’avions de chasse et de bombardement modernes, sans doctrine d’emploi, une industrie aéronautique dont la production ne suivait pas (5). La Marine s’en sortait mieux, avec une flotte moderne et nouvelle en 1939, capable de protéger les lignes de communication maritimes et l’Empire dans une stratégie de guerre longue. Le plus grave : l’absence d’un haut commandement digne de ce nom, comme d’une structure interalliée avec les Britanniques et donc d’une planification collective ; la défensive et le front continu comme doctrine, mais l’aventure d’une offensive en Belgique ; une forme de désarmement militaire au cours de l’hiver 1939-1940, malgré l’énergie et les premiers résultats d’un ministre de l’Armement courageux : Raoul Dautry, aux prises avec le sabotage passif, le freinage de la production, l’insuffisance de main-d’œuvre qualifiée.

Dans le cadre d’une stratégie d’attente, fondée sur la trilogie Empire-béton-réarmement, la « drôle de guerre », c’est l’immobilisme du front militaire, l’impossible mobilisation du front industriel, l’irresponsabilité du front politique. L’aventure norvégienne d’avril-juin 1940, ardemment défendue par Winston Churchill, alors ministre de la Marine du gouvernement Chamberlain, succédané d’un soutien trop tardif à la Finlande attaquée par l’URSS et qui capitule le 13 mars 1940 est mal préparée, mal coordonnée, mal terminée (6). La défaite du front de France rattrape une opération périphérique et oblige à un rembarquement de troupes qui ont fait, dans des conditions incroyables, mieux que leur devoir. Tout s’est joué au nord-est de la France. Avec des plans allemands qui comportent deux offensives : en Belgique, où s’aventureront les meilleures unités françaises et britanniques, et vers la Meuse par les Ardennes, où des unités françaises sous-entraînées, sous-équipées, quelquefois sous-commandées affronteront l’essentiel du corps blindé allemand.

Du pacifisme au défaitisme, il ne manque plus qu’une offensive allemande. C’est chose faite le 10 mai 1940 à 4 heures 45, alors que le gouvernement Reynaud est démissionnaire depuis la veille, parce que le chef du gouvernement ne parvient pas à obtenir la démission du commandant en chef français, le général Gamelin.

La campagne de France doit être étudiée dans ses périodes successives.

Du 10 au 18 mai, c’est une double offensive allemande : en Belgique, où le haut commandement français envoie les meilleures troupes alliées, puis vers la Meuse, où se concentrent les éléments blindés les plus offensifs de l’ennemi, face à des forces françaises sous-équipées, sous-entraînées et sous-commandées. Les forces blindées allemandes pivotent ensuite vers la Manche et la mer du Nord : un « coup de faux » que n’empêche pas la contre-attaque de la 4e division cuirassée de réserve du colonel, puis général, de Gaulle sur le flanc sud de l’ennemi, à Montcornet, le 12 mai.

Le 18 mai, Paul Reynaud remanie son gouvernement en y faisant entrer le maréchal Pétain et remplace Gamelin par Weygand. Du 18 mai au 4 juin, c’est la retraite, l’encerclement des armées du Nord, Dunkerque et la tentative de reprise de l’initiative militaire, à un contre trois. Du 4 au 14 juin, c’est le délitement du système de défense mis en place par le général Weygand (7) et l’entrée en guerre de l’Italie le 10 juin ; retraite générale des armées le 12 juin ; Paris ville ouverte le 14. Dans le contexte de l’« exode » de plus de huit millions de populations du nord de la France qui se déversent sur le sud (8).

Du 14 au 24 juin, c’est la fin de toute manœuvre militaire organisée du côté français, le retrait programmé des Britanniques et la demande d’armistice du maréchal Pétain, le 17 juin.

Que retenir de ces combats qui ont fait, en moins de six semaines, près de 60 000 morts français et 1,8 million de prisonniers (9), vaincu une armée considérée, en septembre 1939, comme la première armée du monde, mis la France à genoux et dissous la République ?

En premier lieu, que l’armée française s’est battue et, le plus souvent, bien battue. Sans passer sous silence les défaillances, l’indiscipline, l’impréparation, ce sont surtout deux armées que tout oppose, et non les seuls combattants. Les Panzerdivisionen de la Wehrmacht sont regroupées en un point particulièrement faible du dispositif français, vers la Meuse puis la mer, avec une marge de manœuvre tactique très large, face à des unités de réservistes âgés, mal encadrés, mal armés, mal préparés à la vitesse, à la force mécanique, aux avions en piqué. Ailleurs, cependant, en Belgique, sur la ligne Maginot, sur l’Aisne, la Somme ou dans les Alpes, les Allemands et les Italiens doivent faire face à des soldats français qui, lorsqu’ils sont bien armés, bien encadrés, bien entraînés, font preuve d’un véritable courage au feu et d’une indéniable maîtrise technique (10).

Ensuite, que l’état-major français s’est révélé en-dessous de sa tâche par un attachement étroit à des procédures d’un autre temps et que la « drôle de guerre » a eu un effet démoralisant sur la troupe : l’ennui, la passivité, l’indécision, sans qu’une classe politique à bout de souffle fasse preuve de quoi que ce soit d’autre que d’indétermination. « Être inerte, c’est être battu […] L’obscur sentiment d’impuissance que le système actuel fait naître dans l’âme des chefs, commence à se répandre dans la nation armée elle-même » (11).

Enfin, que c’est une guerre nouvelle, une poussée décisive, un allant formidable du côté des Allemands et un accablement, un abattement, une passivité du commandement français. L’effet de sidération ne se dissipe que le 25 mai, lorsque l’état-major comprend les causes des succès allemands : coopération des avions et des chars, groupements interarmées, autonomie tactique, en fonction de l’effet final recherché (12).

Peut-on, doit-on, faut-il continuer la lutte ? Où et avec qui ? Reynaud ayant abandonné la partie, le 16 juin, au profit d’un gouvernement Pétain, celui-ci demande l’armistice, demeure en France, s’engage très vite vers un changement de régime. Tout est lié.

Les armistices des 22 et 24 juin 1940 sont à la mesure de l’effondrement : la France occupée aux deux-tiers par les Allemands et (très peu) par les Italiens, l’Alsace et la Moselle annexées au Reich, le nord de la France rattaché au commandement allemand à Bruxelles, les régions côtières de la mer du Nord, de la Manche et de l’Atlantique soumises à un régime particulier… Non plus une carte de France, mais une France découpée en huit zones, ou secteurs, souvent sans relations possibles entre les uns avec les autres. Une mise en tutelle économique et financière, une très lourde indemnité d’occupation, une vassalisation militaire, administrative et politique (13). L’effondrement, l’humiliation et le renoncement. Demeurent, mais dans des conditions incertaines, la flotte de guerre intacte, l’Empire colonial, une apparence de souveraineté.

La France et les Français face à la défaite : l’appel, le sursaut et le salut (14)

Le général de Gaulle lance le 18 juin le célèbre appel, alors que les conditions de l’armistice ne sont pas connues, que le gouvernement britannique n’a pas rompu avec le gouvernement français, que les ministres britanniques eux-mêmes sont partagés sur la ligne à suivre. L’appel (15), délibérément court, se veut rationnel : la France, avec son Empire, demeure une force essentielle ; l’Angleterre « tient la mer » ; « l’immense industrie des États-Unis » rentrera dans le jeu, parce que « cette guerre est une guerre mondiale ». C’est aussi un appel calculé. Si l’on sait que Pétain demande l’armistice, nul ne sait quel pouvoir va se mettre en place en France. C’est sur le terrain de la lutte et aux combattants qu’il s’adresse. Pas de ligne de partage politique ou idéologique, ni même militaire.

De Gaulle prend cependant date, en désignant les responsables de la défaite : « Les chefs qui, depuis de longues années, sont à la tête des armées françaises. » Au premier rang desquels le maréchal de France, dernier président du Conseil de la IIIe République et, bientôt, « Chef de l’État français », Philippe Pétain.

Un mot, dans cet appel, éclaire le présent et l’avenir : « résistance ». Nulle connotation militaire ou politique, mais une posture morale qui inspire, de 1940 à 1944, De Gaulle et ceux qui le suivent, dans la France libre et dans la Résistance et qui donne, par avance, la signification des années qui viennent. Moment assez rare dans l’histoire, pour qu’on y insiste. Il s’agit bien de la rupture d’un destin et d’un geste de fondation qui s’apprête à bouleverser autant le cours de la guerre que sa propre vie, marquant ainsi l’identification entre l’acte résistant et l’homme. Le refus de l’armistice et de la capitulation, c’est de Gaulle résistant et s’arrachant, par-là même, à ses origines, à son état d’officier, à sa carrière pour entrer dans la rébellion, dans l’indiscipline, dans la pleine conscience d’un individu qui fait le choix de cette conscience et de sa liberté face au collectif et aux corps constitués. Il y a des valeurs supérieures à l’obéissance !

Si le discours du 18 juin n’est pas encore un discours politique, il est à la fois une anticipation et un calcul. Anticipation des conditions terribles et dégradantes de l’armistice ; calcul sur le choix que l’Empire, et surtout l’Afrique française du nord (AFN) pouvait faire de continuer le combat. Ce n’est que lorsque les conditions de l’armistice sont connues, le 21 juin, et notamment celles relatives à la flotte de guerre française, que le cabinet de guerre britannique ratifie, en quelque sorte, le choix du Premier ministre : de Gaulle s’est engagé, il sera soutenu. Cela s’entend et se comprend lors de son discours du 22 juin.

Dans les semaines qui suivent, il s’emploie donc à tenter de rallier à lui les différents territoires de l’Empire et les forces françaises présentes en Grande-Bretagne, avec un résultat le plus souvent médiocre. Le Général ne parvient pas plus à réunir les personnalités que lui réclame le Premier ministre britannique pour constituer un Comité national, censé représenter les intérêts français. Le 28 juin, Churchill prend acte de cet échec et déclare à de Gaulle : « Vous êtes seul ? Eh bien, je vous reconnais tout seul ! », « Chef de tous les Français libres » et, le 7 août, l’accord de Chequers, préparé par René Cassin et signé par les deux hommes, accorde au mouvement français libre le caractère d’un gouvernement régulier en devenir.

Dans l’Empire, devant les termes des armistices franco-allemand et franco-italien des 22 et 24 juin 1940, la grande majorité des chefs militaires français finissent par rentrer dans le rang. Un gouvernement français et une autorité maintenue, en l’état et par l’armistice sur l’ensemble du pays, le contrôle de l’Empire colonial, une flotte de guerre intacte dont le chef, l’amiral Darlan, devient ministre du Maréchal, qui sont préservés : autant de facteurs d’explication auxquels s’ajoute la personnalité de celui qui a fait « don de sa personne à la France » (16).

C’est dans ce contexte qu’a lieu, le 3 juillet, le bombardement de la Flotte française à Mers-el-Kebir par la Royal Navy. Trace sanglante de l’Angleterre et de son Premier ministre d’une volonté implacable de continuer la guerre, incapacité de l’allié d’hier à décider autre chose que le respect de l’armistice et sacrifice de 1 300 marins français, hauteur de vue et détermination glacée du général de Gaulle.

À la date du 15 août 1940, seuls 2 721 volontaires ont signé un engagement dans la « Légion de Gaulle », sur une quarantaine de milliers de Français expatriés ou réfugiés en Grande-Bretagne. Le légalisme, la discipline, le soulagement aussi devant la fin des combats, et l’espoir de retrouver bientôt leur famille, l’emportent chez la plupart. Parmi ceux qui font le choix de la « dissidence », on ne compte que 900 hommes de la 13e demi-brigade de Légion étrangère, quelques chasseurs alpins du corps expéditionnaire français en Norvège, des fantassins, des marins, des aviateurs. Bien peu de monde, en vérité. Tous ont en commun une forme d’arrachement individuel face au collectif, une forme d’indiscipline vis-à-vis de l’autorité, un acte de rupture par rapport à leur milieu, à leur éducation, à leur carrière. La guerre cesse pour eux d’être un acte collectif, elle devient un choix de conscience.

Ce temps historique des commencements peut être ainsi le temps de l’interrogation du pédagogue. Qu’est-ce que « résister » ? Faut-il parler d’« entrer » en résistance, ou mieux, d’« inventer » une résistance ? Si l’analyse des historiens privilégie le plus souvent les modes d’actions pour répondre à la question, la relation de l’action au sens est essentielle. Résister, c’est donc agir et donner du sens à son action. Ainsi en est-il du capitaine Philippe de Hauteclocque en 1940, après une brillante campagne de France, refusant la défaite, brisant le lien qui l’attache à l’armée, à ses traditions et à ses contraintes, en homme libre, il prend la décision de rejoindre le général de Gaulle. Hauteclocque devient Leclerc (17). Ainsi en est-il du préfet Jean Moulin qui, dès juin 1940, comprend et refuse, avant de s’engager et de résister (18).

La France et les Français face à l’Allemagne : gouverner et résister par gros temps

La France de l’été 1940 subit de plein fouet le choc de la guerre et de ses destructions, de l’exode et de 10 millions de Français sur les routes, de l’effondrement militaire et de ses soldats prisonniers. Pas de retour à la normale avant l’automne et pas partout. Pas de nouvelles, écrites ou téléphoniques, ou bien encore par les journaux, avant longtemps. Les transports sont désorganisés, une ligne de démarcation interdit de franchir les zones Nord et Sud sans autorisation, les grandes villes font face à une pénurie de ravitaillement et de services. Le quotidien devient épuisant et impossible.

Les pleins pouvoirs constituants au « chef de l’État français » sont votés par le Sénat et la Chambre des députés réunis à Vichy, le 10 juillet 1940. L’État français et sa devise « Travail, Famille, Patrie » remplacent la République et la sienne « Liberté, Égalité, Fraternité ». Sous couvert de « Révolution nationale », un régime autoritaire, avec une police, une justice, une administration aux ordres d’un pouvoir anti-démocratique, anti-républicain, anti-libéral, se met rapidement en place. Le régime prend, d’emblée, des décisions xénophobes et antisémites, des textes de dénaturalisation de juillet 1940 à la loi du 3 octobre 1940 « portant statut des juifs » et les excluant des professions liées à l’État. Avant même l’entrevue de Montoire, le 24 octobre 1940, la collaboration avec l’occupant est une ligne politique qui ne va qu’en s’accentuant. Pour affirmer une forme de souveraineté par rapport au IIIe Reich, Vichy va au-devant des ordres des Allemands. À Montoire, le maréchal Pétain passe de l’implicite assumé à l’explicite revendiqué, en s’engageant « librement dans la voie de la collaboration » (19).

L’opinion publique est sous contrainte et surveillée de près par le nouveau régime, de part et d’autre de la ligne de démarcation (20). Disparition des partis, des syndicats, de la presse d’opinion ; distance vis-à-vis d’un régime républicain qui, contrairement à la Grande Guerre, n’a pas tenu, alignement des communistes sur Moscou à la suite du pacte germano-soviétique, culte du Maréchal et adhésion plus ou moins forcée à la « Révolution nationale ».

Les travaux de Pierre Laborie insistent sur les « zones grises », les « ambivalences », le « penser double » qui sont à l’œuvre en France dès 1940 : soutenir le maréchal Pétain en même temps que de s’opposer à l’occupation et à la collaboration et de souhaiter préparer la « revanche ». Ceux de Julian Jackson ont mis en valeur des oppositions et refus qui se manifestent au moment même de la défaite, tandis que ceux de Julien Blanc montrent que la Résistance dans sa forme organisée est née en zone occupée, dès l’été et l’automne 1940, et n’apparaît pas totalement coupée de la société française. Il n’en demeure pas moins qu’au sein du personnel politique, des élus, des partis, les lignes peuvent être tracées au regard de l’histoire. Ainsi du parti communiste, lié à l’URSS et à l’Allemagne par le pacte germano-soviétique du 23 août 1939. Ainsi de l’armistice qui n’est pas neutre, de Vichy qui n’est pas souverain, de la collaboration qui devient militaire (21).

Cette résistance n’a, en ces moments des débuts, que bien peu de liens avec celle d’une France combattante incarnée à Londres par le général de Gaulle. Sa diversité et des positionnements parfois divergents par rapport à l’attitude à adopter à l’égard de Pétain et de Vichy font également qu’il conviendrait mieux de parler de « résistances » au pluriel, plutôt que de « Résistance » avec majuscule et au singulier. Les premiers résistants se constituent en petites unités, en cercles restreints, à partir de connaissances personnelles, professionnelles ou politiques, ou bien encore religieuses. Rédaction d’articles, distribution de tracts, filières pour partir ou se sauver. Au nord, la situation est critique, au sud les premiers résistants sont bien seuls.

Les premières opérations en zone occupée ont pour objectif de recueillir des renseignements. Si des actes de refus sont menés de façon individuelle et isolée, des manifestations plus collectives se développent également à partir de l’automne 1940, démontrant que la société française ne reste pas totalement passive face à l’occupant, même si la participation à ces protestations peut se révéler sans lendemain, ne s’accompagne pas forcément d’un engagement résistant, s’apparente aussi à ce « non-consentement » signifié par Pierre Laborie. Elles n’en démontrent pas moins que de nombreux Français sont conscients, patriotes et anti-allemands en 1940 et n’hésitent pas à le faire savoir, comme l’Inspecteur général Gustave Monod qui dit « non » au statut des juifs d’octobre 1940 (22). La plus importante des protestations collectives est celle de la jeunesse parisienne qui, sans véritablement répondre à un mot d’ordre venu de Londres, n’hésite pas à braver l’interdiction faite par l’occupant de manifester à l’occasion de la commémoration de l’armistice de 1918 (23).

Une résistance commence à se développer et à se manifester en métropole sous ses formes pionnières dès les derniers mois de 1940 et le début 1941 avec l’émergence des premiers réseaux et des premiers mouvements : « Musée de l’Homme » de Boris Vildé, « Défense de la France » de Philippe Viannay en zone occupée, « Liberté » de François de Menthon, le « Mouvement de libération nationale » de Frenay, « Franc-Tireur » de Jean-Pierre Lévy, « Libération » d’Astier de la Vigerie en zone Sud. La publication des premiers journaux clandestins pendant cette période constitue une étape cruciale dans la maturation de la Résistance car elle permet de lui donner une dimension concrète, encourage sa structuration et établit des liens avec l’ensemble de la société du fait de leur diffusion.

S’il est incontestable que « la France libre fut africaine » (24), l’Afrique française du Nord (AFN) reste fidèle à Vichy et seuls quelques territoires, périphériques et peu peuplés, manifestent leur volonté de demeurer aux côtés de l’allié britannique dans la guerre à l’été et à l’automne de 1940 : Nouvelles-Hébrides le 20 juillet, Établissements français d’Océanie le 2 septembre, comptoirs français des Indes le 9, Nouvelle-Calédonie le 19. L’apport principal vient de l’Afrique équatoriale française (AEF) et du Cameroun qui, à la suite du Tchad du gouverneur Félix Éboué, proclament leur ralliement à la France libre lors des Trois Glorieuses des 26-28 août 1940 ; seul le Gabon demeure alors sous l’autorité de Vichy.

Churchill et de Gaulle tentent ensuite de rallier Dakar et, avec elle, toute l’Afrique occidentale française (AOF), mais l’opération est un échec les 24 et 25 septembre 1940. Vichy fait tirer sur des Français. En revanche, les Forces françaises libres (FFL) s’emparent du Gabon en novembre, au terme d’une brève campagne.

Ces ralliements assurent à la France libre des territoires où exercer son autorité, des ressources pour l’effort de guerre allié et des moyens humains pour étoffer les rangs des FFL. C’est l’occasion, également, d’affirmer la continuité et la souveraineté de la France en guerre, par la création, à Brazzaville, le 27 octobre 1940, d’un Conseil de défense de l’Empire, organe consultatif composé de gouverneurs de ces territoires, de chefs militaires et de personnalités de la France libre.

Dès septembre 1940, des pilotes des Forces aériennes françaises libres (FAFL) sont engagés contre les chasseurs et bombardiers allemands dans le ciel d’Angleterre. Les marins des Forces navales françaises libres (FNFL) assurent, sur toutes les mers, des missions de protection des convois de leurs frères de la marine marchande, de surveillance et d’attaque qui les opposent aux sous-marins, aux bâtiments de surface et aux avions ennemis, de présence du pavillon national et de la croix de Lorraine. Enfin, les forces terrestres combattent en Afrique les forces italiennes qui menacent les Britanniques depuis leurs possessions coloniales. C’est l’épopée de Leclerc, qui conduira les Français libres de Koufra à Strasbourg. ♦


(1) Programmes d’histoire de terminale des séries générale et technologique, BO spécial n° 8 du 25 juillet 2019.
(2) Peyrefitte Alain, C’était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la France », Fayard, 1994 p. 148.
(3) Winock Julien, Jean-Louis Crémieux-Brilhac. Servir la France, servir l’État, La Documentation française, 2019 p. 189. L’ouvrage réussit par ailleurs une excellente synthèse du grand œuvre de Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Français de l’an 40, deux volumes, Gallimard, 1990. On relira avec profit Jean-Baptiste Duroselle, L’abîme 1939-1945, Imprimerie nationale, 1982.
(4) Gaulle (de) Charles, Mémoires de guerre, Plon, 1954, t. 1 « L’appel (1940-1942) », p. 4.
(5) En 1939, l’indice de la production industrielle est le même qu’en 1929.
(6) Kiszely John, Anatomy of a Campaign. The British Fiasco in Norway, 1940, Cambridge University Press, 2017.
(7) Le général de Gaulle entre au gouvernement comme sous-secrétaire d’État à la Défense nationale et à la Guerre le 6 juin.
(8) On lira le récit qu’en fait Irène Némirowsky dans Suite française, Denoël, 2004.
(9) Dont 1,1 million de soldats faits prisonniers entre l’appel de Pétain à cesser le combat le 17 juin et l’armistice avec l’Italie le 25 juin.
(10) Les 64e, 65e et 66e divisions d’infanterie type « Nord-est » ou de montagne qui tiennent les Alpes sont des unités de réservistes de série B, identiques à celles qui tenaient le front de Sedan… avec l’excellence de l’artillerie de forteresse et les éclaireurs-skieurs.
(11) Colonel de Gaulle, « Note officieuse de janvier 1940 », in Lettres, notes et carnets t. 13, Plon, 1997.
(12) Deux analyses complémentaires avec Marc Bloch, L’étrange défaite, Armand Colin, 1946 et André Beaufre, Le drame de 1940, Plon, 1965.
(13) Deux commissions d’armistice sont mises en place, franco-allemande à Wiesbaden et franco-italienne à Turin.
(14) Lecoq Tristan (dir.), Enseigner de Gaulle, Canopé, 2018 ; Douzou Laurent et Lecoq Tristan (dir.), Enseigner la Résistance, Canopé, 2016.
(15) L’appel du 18 juin n’a pas été enregistré. La version la plus connue du texte est celle d’une affiche qui date d’août 1940.
(16) Un exemple de l’attitude d’un proconsul impérial nommé par la IIIe République et rallié à Vichy dans les semaines de juin-juillet 1940 : l’amiral Georges Robert, haut-commissaire aux Antilles qui hésite jusqu’à la fin juin avant de rallier Pétain, Vichy et la Révolution nationale, jusqu’en 1943. Bruneau Jean-Baptiste, La marine de Vichy aux Antilles. Juin 1940-juillet 1943, Les Indes savantes, 2014 et Girardin-Thibeaud Odile, Les amiraux de Vichy Paris, Nouveau Monde éditions et ministère de la Défense, 2016.
(17) Le général Leclerc vu par ses compagnons de combat Paris, Alsatia 1948. Martel André, Leclerc. Le soldat et le politique, Albin Michel, 1998, Levisse-Touzé Christine, Du capitaine de Hauteclocque au général Leclerc, Actes du colloque des 19-21 novembre 1997, éditions Complexe 2000 et Forcade Olivier, « Du capitaine de Hauteclocque au général Leclerc », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 58, 1998, p. 144-146.
(18) Cordier Daniel, Jean Moulin l’inconnu du Panthéon, t. 2 « Le Choix d’un destin (juin 1936-novembre 1940) », J. C. Lattès, 1989.
(19) D’une littérature historique abondante sur ce sujet, on pourra retenir : Paxton Robert, La France de Vichy 1940-1944, Éditions du Seuil, 1974 ; Baruch Marc-Olivier, Servir l’État français. L’administration en France de 1940 à 1944, Fayard, 1997 ; Baruch Marc-Olivier, Le Régime de Vichy, La Découverte, 1996 ; Rousso Henry, Le régime de Vichy, Presses universitaires de France (PUF), collection « Que sais-je ? », 2007.
(20) Lefébure Antoine, Conversations secrètes sous l’occupation, Tallandier, 2018.
(21) Blanc Julien et Vast Cécile, Chercheurs en Résistance. Pistes et outils à l’usage des historiens, Presses universitaires de Rennes, 2014 ; Laborie Pierre, Le chagrin et le venin, Bayard, 2011 ; Jackson Julian, La France sous l’occupation 1940-1944, Flammarion, 2004 ; Blanc Julien, Au commencement de la Résistance. Du côté du Musée de l’Homme 1940-1941, Seuil, 2010.
(22) Lecoq Tristan, Gustave Monod. Une certaine idée de l’École, Centre international d’études pédagogiques, 2009 et « L’Inspecteur général qui a dit non », L’Histoire, numéro 357, octobre 2010, p. 36-37.
(23) Tandonnet Maxime, 1940. Un autre 11 novembre, Tallandier, 2009.
(24) Jennings Eric, La France libre fut africaine, Perrin, 2014.

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