L'Afrique au prisme des structurations stratégiques
La régionalisation est un phénomène d’expression et d’intensité variables. Elle révèle des « pluriels irréguliers » (1). Bien qu’inégalement réparti sur la surface du globe, ce processus prend une nouvelle coloration, en particulier depuis la fin de la guerre froide. L’une des particularités de ce néo-régionalisme (2), dont certains identifient les embryons avant 1989 réside en l’incorporation d’une dimension sécuritaire. Comment se manifeste cette tendance sur le continent africain ? Quelles formes revêt-elle ? Présente-t-elle une efficacité ? Le présent numéro spécial entend explorer cette régionalisation à partir d’un concept : celui de structuration stratégique. Il ne s’agit pas, ici, de renouveler l’approche « structurale » chère à plusieurs anthropologues bien connus. Autrement dit, l’objectif ne consiste pas à repérer une face cachée des choix politiques régionaux qui serait dissimulée dans les « structures » sous-jacentes des institutions créées. Mais plutôt de décrire et d’évaluer les relations d’interdépendance et de solidarité entre les différents acteurs du continent. Ces mises en lien que nous qualifions de structuration stratégique sont déclinées à partir de trois perspectives complémentaires.
La première partie examine les structurations conflictuelles en amont du processus de régionalisation institutionnelle. En effet, la structuration régionale se manifeste tout d’abord par l’émergence et l’escalade de la violence armée. Les contributions mettent en évidence le tissage des différents facteurs à l’échelle régionale que ce soit dans une démarche comparative (sous-régionale) ou bien plus monographique.
La deuxième partie oppose à ces structurations conflictuelles une structuration vertueuse à l’échelle continentale. Le développement du panafricanisme moderne et sa traduction institutionnelle pourraient être des instruments adéquats en vue de gérer et résoudre les conflits. Cette tendance renvoie à l’africanisation de la sécurité et de la défense dans une perspective globale. Dans cette seconde partie, des acteurs extérieurs ne sont pas occultés, soit parce qu’ils exercent une force d’attraction en tant que modèle (processus de mimétisme institutionnel), soit parce qu’ils participent au renforcement des capacités des acteurs africains eux-mêmes (processus de contribution stratégique). En ce qui concerne le second cas, il s’agit des dispositifs de coopération proposés par les États ou bien des organisations transrégionales comme l’Organisation internationale de la francophonie.
La troisième partie identifie un troisième niveau de structuration, celui à caractère sous-régional. Toutes les sous-régions (3) ne sont pas parvenues à un degré comparable d’institutionnalisation, en particulier dans le champ de la gestion des conflits. Cette ultime partie résulte de travaux menés dans le cadre du Centre d’études et de recherche de l’École Militaire (Cerem) durant l’année académique 2009-2010. Elle formule un principe de subsidiarité appliquée au continent africain dans le domaine de la sécurité et de la défense. Les analyses anglo-américaines sont, sur ce point particulier de la régionalisation, fort peu développées. Le numéro apporte ainsi une pierre importante à la réflexion.
C’est ainsi une interprétation des enjeux stratégiques africains sur la base d’une structuration à multiniveaux qui est offerte aux lecteurs de la revue. Elle s’insère dans un agenda de recherche qui renvoie à « la quête de l’espace pertinent pour l’action stratégique ». L’idée-force qui la guide est celle de l’appropriation par les Afriains eux-mêmes de leur devenir stratégique. N’est-ce pas là, implicitement, faire écho à une idée formulée elle, dans le domaine de la culture, par Amadou Hampâté Bâ ? ♦
(1) Bertrand Badie, Un monde sans souveraineté, Paris, Fayard, 1999, p. 181.
(2) Mélanie Albaret, « Les formes régionales du multilatéralisme : entre incertitudes conceptuelles et pratiques ambiguës », dans Bertrand Badie, Guillaume Devin, dir., Le multilatéralisme. Nouvelles formes de l’action internationale, Paris, La Découverte, 2007, pp. 41-56.
(3) La réflexion exclut in situ le cas de l’Union du Maghreb arabe (UMA). Elle correspond, selon nous, à une autre zone stratégique dont la structuration est directement liée à l’Union européenne. Le numéro se focalise ainsi sur la zone sub-saharienne du continent.