Institutions internationales - Le Commonwealth et la Communauté économique européenne (CEE) - L'échec de la Conférence de Paris - L'Europe et la Méditerranée - Menaces sur l'Union économique et monétaire
Le succès des Khmers rouges au Cambodge et l’effondrement du Sud-Vietnam sont des événements qui débordent largement de leur cadre géographique. Ils créent une situation nouvelle en Asie continentale, où la lutte d’influence entre Russes et Chinois se présente dès maintenant avec une donnée nouvelle, cependant que la Chine paraît vouloir poser le problème coréen, que la Thaïlande ne cache pas ses inquiétudes, etc. Ils affectent la diplomatie américaine non seulement à l’égard du Pacifique mais dans ceux de ses fondements qui impliquent un engagement plus ou moins direct. La tendance isolationniste qui s’est exprimée au Congrès et qui traduit le sentiment de certains secteurs de l’opinion ne peut pas rester sans répercussions sur le comportement des États-Unis, et peut-être même influera-t-elle sur leur attitude à l’égard de leurs relations internationales. Sans doute le jugement doit-il tenir compte de l’amplification des réactions « immédiates » par le jeu des moyens modernes de l’information, notamment la télévision (qui a fait de chaque téléspectateur un témoin de l’arrivée des forces nord-vietnamiennes à Saïgon) et il est certain que l’opinion se concentrera sur d’autres problèmes, au gré de l’actualité. Bien des réactions, dues à la puissance psychologique de l’image, s’apaiseront. Il n’en demeure pas moins que la victoire communiste au Cambodge et au Vietnam est un événement historique dont les conséquences se développeront pendant longtemps, sans doute comme des ondes de choc. Avec le retrait américain et le rejet probable de toute influence occidentale, l’Indochine va devenir l’un des enjeux et l’un des champs clos de la querelle sino-soviétique. Déjà le 1er mai, le contraste entre le prudent silence de Moscou et la bruyante allégresse de Pékin annonçait un regain d’antagonisme. Jusqu’ici un « jeu à trois » – URSS–Chine–États-Unis – se développait en Asie continentale : il se contracte en un « jeu à deux », encore que l’âpreté de l’affrontement, tout en menaçant de secousses supplémentaires le continent asiatique, constituera peut-être le seul frein à la dégradation de l’influence occidentale en Asie.
Cet échec américain en Indochine ne traduit pas seulement le reflux d’une grande puissance contrainte d’évacuer des régions longtemps présentées comme essentielles. Il referme un cycle historique. Au XVIe siècle les navigateurs portugais avec leurs caravelles avaient ouvert l’Extrême-Orient à 400 ans de suprématie occidentale. Dans le sillage de Vasco de Gama et d’Albuquerque surgirent de vastes empires, notamment britanniques, hollandais, français, établis puis maintenus par la force. Plus tard, l’influence américaine s’y était tantôt greffée, tantôt substituée. Cette ère, déjà presque close après le départ des colonisateurs européens, s’est achevée entre le Mékong et Saïgon sur les images de bannières étoilées hâtivement repliées. Les principaux rôles appartiennent désormais aux deux États géants du continent asiatique : l’URSS, dont les trois quarts du territoire se situent au-delà de l’Oural, et la Chine. Or chacun d’eux, contredisant la thèse marxiste de l’unité des « pays frères », assure détenir seul le pouvoir de déchiffrer l’avenir. Les Russes sont, de surcroît, les derniers Européens enracinés en Asie, Face à face décisif, en fonction duquel l’Occident, tout autant que l’Inde ou le Japon, doit redéfinir sa politique.
Le Commonwealth et la Communauté économique européenne (CEE)
Succès du communisme en Asie (1) et déclin de l’influence occidentale : les deux phénomènes sont complémentaires, encore que le second se soit sans doute produit pour des raisons extérieures au premier, puisqu’il a été déterminé par le retrait britannique des Indes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et qu’il s’est accéléré après la conférence de Bandoeng de 1955. C’est sans doute en fonction de l’affaiblissement de ses positions et de son influence ultramarines que la Grande-Bretagne a été sensible à l’appel de l’Europe. Or, aujourd’hui, son adhésion à la Communauté européenne est remise en question, puisque M. Wilson a décidé de la soumettre à un référendum. Il s’est prononcé pour le « oui », mais son parti s’est, au contraire, prononcé pour le « non ». Cinq ministres travaillistes ont même, le 20 avril, publié le « calendrier » du retrait de leur pays de la CEE. La stratégie proposée par les partisans de l’« indépendance britannique » n’a rien de très original. « Stratégie du retrait » (tel est le titre du document) reconnaît qu’une victoire du « non » au référendum ne suffirait pas à consommer la rupture entre la Grande-Bretagne et les Huit. Après l’annulation, qui serait immédiate, de l’acte d’adhésion à la Communauté économique européenne (CEE) par le Parlement, de nouvelles négociations devraient être engagées d’ici à la fin de l’année avec la Communauté elle-même ainsi qu’avec les pays du Commonwealth et ceux n’appartenant à aucune des deux organisations. L’objectif essentiel serait, pour le gouvernement britannique, de reprendre le contrôle de sa politique économique et industrielle, ainsi que de rétablir la liberté de son commerce avec tous les pays du monde. Les auteurs du manifeste ont en outre voulu dissiper deux craintes assez largement répandues : ils assurent que les Huit seraient contraints de conclure de nouveaux accords commerciaux avec Londres, car leurs exportations vers la Grande-Bretagne sont bien supérieures à leurs importations en provenance de ce pays ; ils affirment que la Convention de Lomé, conclue entre la CEE et quarante-six pays de l’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), ne serait nullement compromise, et qu’il deviendrait même possible à la Grande-Bretagne d’étendre les bénéfices de cette convention à beaucoup d’autres Nations en voie de développement.
Quelques jours après la publication de ce manifeste anti-européen, les pays du Commonwealth ont, à Kingston, souhaité que la Grande-Bretagne soit leur avocate auprès de la Communauté européenne. Il s’agissait, pour la conférence des chefs d’État ou de gouvernement du Commonwealth, de mettre au point un plan favorisant « l’instauration d’un nouvel ordre économique international ». Le Premier ministre britannique voulait dissuader les pays producteurs de matières premières de constituer des associations ou groupements analogues à l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). Or le pays qui accueillait cette 20e conférence du Commonwealth a été l’un des principaux promoteurs de l’Association internationale des pays producteurs de bauxite. Aussi, face au projet britannique, des pays, dont la Jamaïque, entendent-ils préconiser l’indexation du prix des matières premières exportées par les pays en voie de développement sur celui des produits qu’ils importent des pays industrialisés, et la constitution des stocks. Mais les États non industrialisés du Commonwealth considèrent que, grâce à la participation de la Grande-Bretagne à la Communauté européenne, leurs idées ont de meilleures chances d’être comprises par des pays développés, à commencer par les Neuf de la CEE. Ils estiment que si les pays membres du Commonwealth (qui représentent le quart de la population de l’humanité) parvenaient à se mettre d’accord sur les grandes lignes d’un projet visant à instaurer un nouvel ordre économique international, la Grande-Bretagne pourrait défendre ce plan devant ses partenaires de la Communauté. C’est ainsi une nouvelle pièce qui est versée au dossier du maintien de la Grande-Bretagne dans la Communauté européenne.
L’échec de la Conférence de Paris
Ces relations entre les pays producteurs de matières premières et les pays industrialisés, déjà difficiles avant la crise provoquée par la hausse de tous les coûts de l’énergie, sont devenues l’un des thèmes majeurs de nombreuses négociations, et tous les protagonistes sont liés par des solidarités profondes sans pour autant parvenir à des solutions qui respectent les intérêts des uns et des autres. Les pays producteurs de matières premières ne peuvent pas ne pas vouloir tirer parti de leurs richesses pour entreprendre leur développement, mais ils seraient particulièrement touchés par une crise des économies industrielles. Les pays industriels ne peuvent pas accepter l’étranglement que constitueraient l’embargo ou des hausses « sauvages » des prix des matières premières, mais ils ne peuvent pas pour autant nier les aspirations des pays dont, pour leurs approvisionnements énergétiques, ils dépendent dans des proportions décisives. Après neuf jours et quasiment neuf nuits de discussions, les dix délégations (Algérie, Arabie saoudite, Brésil, États-Unis, CEE, Inde, Iran, Japon, Venezuela, Zaïre) qui participaient à Paris à la « réunion préparatoire à la conférence internationale proposée par le président de la République française » ont, le 15 avril 1975, ajourné sine die leurs travaux. On pensait, d’une part qu’aucun des participants ne voudrait endosser la responsabilité d’une rupture, de l’autre que la « majorité silencieuse » du Tiers-Monde mettrait enfin un terme au mutisme qu’elle observe depuis le début de la crise du pétrole et s’exprimerait de façon à se désolidariser explicitement ou implicitement de l’Opep. Les faits n’ont pas confirmé ces hypothèses. La rupture a eu lieu, sans que personne en prenne la responsabilité. En fait, aucune des parties en présence n’a essentiellement modifié son point de vue sur le fond. Les trois délégations des pays industrialisés (États-Unis, Japon, CEE) voulaient, d’une manière ou d’une autre, focaliser les discussions sur la « crise de l’énergie » ; formellement elles pouvaient s’appuyer sur les termes mêmes de l’invitation du président de la République (« conférence sur l’énergie et les problèmes s’y rattachant »). Les délégations du Tiers-Monde voulaient jeter les bases d’un nouvel ordre économique et s’opposaient à ce que le problème du pétrole fut isolé de l’ensemble de ceux auxquels ils sont affrontés. Les 12 et 13 avril, les ministres des Affaires étrangères des Neuf, auxquels s’était joint M. Ortoli, président de la Commission européenne, ont essayé de dégager une voie moyenne entre la thèse américaine (limitation des discussions aux problèmes de l’énergie) et la thèse algérienne (ouverture des discussions sur l’ensemble des problèmes). Leur intervention est restée inefficace.
Alors que cette conférence poursuivait ses travaux, les pays industrialisés ont marqué, le 9 avril, leur volonté de présenter un front uni devant les pays producteurs de pétrole, en réunissant leurs ministres des Finances au siège de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), à Paris. Ceux-ci ont signé l’accord créant le fonds de soutien financier de l’OCDE, dont le principe avait été décidé en janvier dernier à l’occasion de la Conférence monétaire de Washington. Bien que ce fonds soit distinct de l’Agence internationale de l’énergie et que la France en fasse partie, les deux organismes sont étroitement liés dans l’esprit de leurs créateurs. L’objectif de ce fonds est de venir en aide à ceux de ses membres qui enregistrent un déficit de leurs balances des paiements. Plusieurs conditions sont posées pour l’obtention d’un prêt, dont la durée ne pourra pas excéder sept ans, et dont le taux sera celui des marchés. L’une d’entre elles est que le pays emprunteur devra « favoriser l’accroissement de la production et les économies d’énergie ». En principe, le fonds ne devra intervenir qu’en dernier ressort, lorsque le pays emprunteur aura déjà fait usage de ses propres réserves ou fait de son mieux pour obtenir des capitaux à des conditions raisonnables en provenance d’autres sources. Sa participation est uniquement ouverte aux pays membres de l’OCDE, à l’exclusion des pays du Tiers-Monde. Le montant des sommes mises en jeu est impressionnant puisqu’il atteint vingt milliards de droits de tirage spéciaux, soit l’équivalent d’environ 25 Mds de dollars, somme qui n’est pas loin de se comparer avec les ressources dont dispose, théoriquement du moins, le Fonds monétaire international (FMI), dont le total des souscriptions atteint actuellement une trentaine de milliards de dollars. Les deux principaux participants seront, d’une part les États-Unis, dont la quote-part sera égale à 6 950 millions $, de l’autre l’Allemagne fédérale (RFA), dont la quote-part sera de 3 125 M$. Suivent le Japon avec 2 925 M$, et la France avec 2 125 : c’est la première fois que dans une institution financière internationale la part de la France dépasse celle de la Grande-Bretagne. Il s’agit, en définitive, d’une nouvelle institution destinée à permettre une extension des crédits internationaux, à un moment où l’on se demande si le marché international des capitaux (euromarché) pourra continuer à financer les déficits de balance des paiements. Les orthodoxes pourront s’étonner qu’un pays comme les États-Unis, qui continuent à connaître un considérable déficit de leur balance des paiements, puisse être considéré comme capable de venir au secours d’autres pays, également en déficit. Cela n’est possible que dans la mesure où le dollar continue à être accepté comme monnaie internationale, quelles que soient sa valeur et les incertitudes qui pèsent sur son cours. Parallèlement à la création du fonds de soutien, le FMI a mis au point les conditions d’octroi de ses nouvelles « facilités pétrolières ». Pour se procurer les ressources correspondantes, il s’est adressé directement aux pays producteurs de pétrole, ainsi qu’aux quelques pays occidentaux fortement créditeurs. Il espère obtenir 6 Mds $. Il sera surtout amené à prêter à des pays du Tiers-Monde. Les emprunteurs devront, eux aussi, s’engager à développer des sources alternatives d’énergie et à restreindre l’usage du pétrole : ce sont ainsi les membres de l’Opep qui seront amenés à financer indirectement des programmes destinés à réduire les importations de brut.
L’Europe et la Méditerranée
Les propos tenus par M. Mavros, ministre grec des Affaires étrangères, lors de son séjour à Paris le 5 septembre 1974, laissaient entendre que le gouvernement de M. Caramanlis, déçu par l’attitude des Américains non seulement dans l’affaire de Chypre mais aussi durant les sept années du régime « des colonels », et peu soucieux de se jeter dans les bras de l’URSS, voyait dans l’Europe occidentale son principal, voire son unique recours, et que le rapprochement avec la Communauté européenne serait l’axe principal de sa diplomatie. Le 18 avril 1975 à Paris, M. Caramanlis lui-même a confirmé cette option. La France appuiera la demande faite par la Grèce à la Banque européenne pour un prêt de 480 M$ afin de l’aider à relever son économie.
Par ailleurs, le gouvernement français s’est déclaré entièrement favorable à l’entrée comme membre à part entière de la Grèce dans la Communauté européenne, et il accordera son plein appui auprès de ses partenaires à l’initiative grecque. L’adhésion d’Athènes au Marché commun (qui devrait intervenir dans les cinq prochaines années) favorisera la pleine intégration de la Grèce dans l’Europe démocratique et lui fournira les concours et les soutiens supplémentaires dont elle a besoin pour affronter les périls intérieurs et extérieurs auxquels elle est exposée. Cette adhésion confirmerait le rééquilibrage « au sud » d’une Europe jusqu’ici déséquilibrée par le poids des pays du Nord-Ouest. La même idée avait été émise à propos de l’éventuelle adhésion de l’Espagne une fois résolus démocratiquement les problèmes posés par la succession du général Franco.
Cette extension méditerranéenne de l’Europe communautaire ouvrirait peut-être une nouvelle dimension aux rapports avec le monde arabe, notamment avec ceux du Maghreb, et à cet égard le voyage du président de la République au Maroc, et les propos tenus à cette occasion par le roi du Maroc indiquent que de nouvelles possibilités peuvent s’ouvrir. Mais les difficultés restent considérables. C’est ainsi que la Communauté négocie depuis deux ans la conclusion d’accords préférentiels avec l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. Les pourparlers marquent le pas, car les partenaires maghrébins estiment insuffisantes les facilités d’accès offertes par la Communauté à leurs exportations agricoles : vin algérien, fruits et légumes marocains et tunisiens. La France, qui n’est pas encore sortie de la crise viticole, est peu disposée à ouvrir ses frontières aux vins d’Algérie. L’Italie, quant à elle, souligne qu’il serait peu équitable que les agriculteurs de la zone sud du Marché commun supportent l’essentiel de la charge de la politique méditerranéenne de la Communauté, et réclame par conséquent des contreparties.
Menaces sur l’union économique et monétaire
Dans un rapport qu’il a présenté à la mi-avril à la Commission européenne, M. Robert Marjolin conclut qu’il serait illusoire d’espérer que les Neuf puissent créer une union économique et monétaire d’ici à 1980, comme ils s’y étaient solennellement engagés le 1er décembre 1969 lors de la Conférence « au sommet » de La Haye. « L’idée de l’Europe unie, écrit le rapport de M. Marjolin, tout en bénéficiant de la sympathie de la population dans la plupart des pays de la Communauté, n’est plus une idée-force. Le mouvement centrifuge qui caractérise les politiques nationales a profondément affecté l’acquis communautaire ». Cela ne peut être nié, qu’il s’agisse du marché commun agricole, de la libération des mouvements de capitaux, ou des menaces qui pèsent sur la libre circulation des marchandises en cas de recrudescence des difficultés de balance des paiements. L’affaiblissement du sentiment communautaire, avec la montée du chômage, s’est étendu progressivement du monde agricole et du monde syndical au monde politique, avec une résistance amoindrie des milieux industriels, de plus en plus désireux d’obtenir des avantages particuliers pour le redéploiement de leurs exportations vers les pays pétroliers.
Compliquées par cette compétition dans la recherche d’accords bilatéraux avec le Moyen-Orient, les relations privilégiées entre les Neuf, qu’avait déjà mises à rude épreuve la différence de leurs rapports avec les États-Unis, butent sur un constat : aux problèmes de la Communauté il est de plus en plus difficile d’apporter des solutions communautaires. En décembre dernier à l’Élysée, le Premier ministre belge, M. Tindemans, connu pour ses sentiments « européens » avait déclaré qu’« un des écueils qu’il fallait désormais éviter était de fixer à nouveau des objectifs trop ambitieux qu’il est impossible de tenir ». C’était condamner la politique qui avait été suivie au cours des années précédentes et qui consistait à penser qu’il suffisait d’employer un vocabulaire ambitieux et d’arrêter un calendrier pour donner un sens à l’action de la Communauté. Les recommandations des experts dirigés par M. Werner, Premier ministre du Luxembourg en 1970, qui pour l’essentiel furent reprises par les gouvernements, reposaient sur l’idée qu’à la fin de la décennie la Communauté disposerait, en matière d’économie et de finances, d’un centre de décision « unique ». À ce stade final on devait arriver par étapes, comme si l’on pouvait concevoir que des États puissent dans un délai aussi court accomplir une fusion que rien par ailleurs ne préparait. La première étape ne comportait qu’une seule obligation, celle de limiter les marges de fluctuation entre les monnaies des « Neuf ». Mais la crise du dollar, dont les experts n’avaient pas tenu compte, a perturbé le lancement de cette expérience, si bien que le « serpent » européen ne commença à voir le jour qu’en avril 1972. Quelques semaines après, un premier coup lui était porté avec le flottement de la livre sterling. Les Neuf n’en décidèrent pas moins de passer à la seconde étape du 1er janvier 1974, alors qu’aucun des objectifs fixés n’avait été atteint. Quelques jours plus tard, le franc français flottait à son tour… Dans son rapport, M. Marjolin conseille aux « Neuf », pour la période présente, un certain nombre d’actions communes limitées qui serviraient de « préface à l’Union économique et monétaire » et qui visent notamment le développement régional et la coopération financière. Bien qu’il reconnaisse que la méthode des « petits pas » n’est pas suffisante, et que la création de l’union envisagée exigera sans doute « une transformation profonde et quasi instantanée », il subordonne tout véritable progrès à la mise en place d’une autorité.
Dans le même temps s’achevait la première conférence nucléaire européenne à Paris. Comme le soulignait M. Boiteux, directeur général d’EDF dans son résumé final, le temps est passé des annonces de résultats ou de projets spectaculaires pendant une conférence nucléaire : parvenue à une certaine maturité, l’énergie nucléaire est devenue une affaire industrielle et commerciale. Les trois mille spécialistes qui participaient à cette conférence ont conclu à la nécessité impérieuse de recourir aux centrales nucléaires pour résoudre les problèmes d’énergie à court, à moyen et à long terme. Mais ils ont aussi mis en lumière un certain nombre d’obstacles qu’il faudra surmonter si l’énergie nucléaire veut prendre le relais du pétrole : la limitation de la hausse des investissements acquis par les centrales, la mise en œuvre de nouveaux types de réacteurs pour enrayer l’épuisement des réserves d’uranium naturel exploitables à un coût raisonnable, la construction de coûteuses usines de retraitement des combustibles irradiés qui font presque totalement défaut aujourd’hui, la nécessité de former le grand nombre de personnel d’exploitation requis dans les centrales et tout au long du cycle, enfin l’information du public alarmé par le développement de l’énergie nucléaire. ♦
(1) Cf. l’excellent ouvrage de Mme Hélène Carrère d’Encausse et de M. Stuart Schram, Le marxisme et l’Asie, 1853-1964, Éditions Armand Colin, 1965, 480 pages.