Outre-mer - Le Sahara atlantique - Madagascar
Le Sahara atlantique
Actuellement quatre problèmes sont susceptibles de provoquer une crise en Afrique et d’accentuer les clivages politiques du continent. Nous avons déjà parlé de la situation éthiopienne et de ses conséquences sur le Territoire français des Afars et des Issas (TFAI) et la Somalie. Le mois dernier, nous avons décrit l’évolution, à propos de l’affaire rhodésienne, des relations du gouvernement de Pretoria avec les pays africains, ainsi que les tensions graves qui pourraient se déclencher en Afrique occidentale du Capricorne à l’occasion de l’indépendance de l’Angola. Il reste à analyser la quatrième, à savoir le problème causé par les revendications marocaines et mauritaniennes sur le territoire de l’actuel Sahara espagnol à qui Madrid s’apprête à octroyer l’indépendance.
Jusqu’à 1974, l’Espagne s’était efforcée d’éviter tout affrontement avec les Nations unies à propos du Sahara mais n’avait pas abandonné pour autant la thèse qui légitimise sa présence sur la côte africaine, ne serait-ce que pour assurer la protection de l’archipel des Canaries. Cette thèse se fonde sur deux traités : celui d’Alcaçobar, conclu avec le Portugal en 1491, accorde à la Castille, maîtresse des Canaries, la côte comprise entre le Cap Blanc, non loin de Nouadibou (anciennement Port-Étienne), et le Cap Bojador, situé au Sud-Ouest d’El Aïoun ; une convention franco-espagnole signée en 1912 reconnaît à l’Espagne le Seguiet el Hamra, c’est-à-dire la partie septentrionale, la plus large, du Sahara espagnol et les frontières continentales de l’ensemble. Rappelons que le Sahara espagnol comprend géographiquement deux parties : le Rio de Oro au Sud et le Seguiet el Hamra au Nord. L’Espagne, présente sur la côte depuis le XVIe siècle, n’occupa l’hinterland du premier qu’en 1886 avec l’accord des chefferies sahariennes ; elle ne conquit le second, qui servait de refuge aux tribus dissidentes du Sud marocain et de Mauritanie, qu’à partir de 1934. Jusqu’à 1958, le Rio de Oro fut administré comme une colonie, alors que le Seguiet el Hamra bénéficiait du statut de protectorat. À la suite de la tension avec le Maroc qui aboutit à la session de Tarfaya au gouvernement chérifien, les deux territoires furent unifiés et élevés au rang de province espagnole.
En juillet 1974, devant la montée des revendications marocaines, dont nous analyserons ci-dessous les causes, Madrid accorde habilement un statut d’« administration interne » au Sahara. Autrement dit, un État du Sahara atlantique est constitué ; il reste encadré par des Espagnols et s’africanisera plus ou moins vite. L’Espagne demande qu’un référendum ait lieu, en 1975, sous le contrôle de l’ONU, pour que l’indépendance, obtenue suivant ce processus, reçoive l’agrément international. Elle estime donc que les traités contractés lui accordent une souveraineté dont elle peut disposer librement puisque les chefs locaux, lors de la conclusion des accords, étaient libres de disposer d’eux-mêmes. Le Maroc repousse cette thèse en alléguant que les chefferies sahariennes étaient alors soumises à un suzerain marocain qui ne fut pas consulté ; il ne reconnaîtra pas la légitimité de l’indépendance accordée par l’Espagne et désire simplement que le territoire sahraoui soit restitué à sa « mère-patrie ».
Ce désir d’annexion du Sahara espagnol est tout ce qu’il reste du rêve d’expansion qu’Allal el Fassi avait communiqué à la masse marocaine et que la monarchie avait dû reprendre à son compte lorsqu’à partir de 1947, le roi Mohammed V devint le symbole de l’indépendance nationale. Le grand Maroc devait s’étendre de Tanger au fleuve Sénégal et s’enfoncer dans les profondeurs sahariennes jusqu’au-delà de Tombouctou. La naissance en tant qu’État du Mali, de l’Algérie et de la Mauritanie, reconnus par l’ONU dans leurs frontières coloniales, limita les ambitions d’Allal el Fassi sans toutefois le réconcilier avec les partis politiques africains et lui donner un rôle à jouer dans le mouvement panafricain. Quant à la monarchie, devenue la bénéficiaire du mouvement lancé par l’Istiqlal, elle fut partagée entre le désir d’éviter de décevoir les masses et la nécessité de mener une politique étrangère réaliste, c’est-à-dire de ne présenter que des revendications qui pussent avoir l’appui d’une fraction importante de l’opinion internationale. Elle fut même amenée, non sans réticence, à accepter l’existence de la Mauritanie indépendante et à signer un accord fixant définitivement ses frontières avec l’Algérie, accord qu’elle n’a pas encore ratifié. À l’égard de l’Espagne, elle eut d’abord une attitude conciliante qui n’exclua pas la coopération. Elle récupéra, soit par la négociation soit par la force, celles des enclaves espagnoles dont personne ne pouvait nier le caractère marocain : le traité du 7 avril 1956 mit fin au Maroc espagnol ; Tarfaya fut reprise par l’armée de libération en 1958 ; Ifni fut restitué officiellement par Madrid en 1969 après de longues discussions. Rabat sut limiter ses exigences à l’égard des autres enclaves territoriales qui, comme Ceuta, Mililla et les îles Zafarines, comportaient une importante colonie espagnole. Son attitude en ce qui concerne le Sahara fut également conciliante : selon la diplomatie chérifienne, Madrid, par le traité du 7 avril 1956, s’était engagé à garantir l’intégrité territoriale du Maroc, par conséquent à lui restituer à terme le Sahara, après la conclusion d’un accord qui ne pouvait être que bilatéral mais dont les clauses devraient être confirmées par un référendum au cours duquel la population aurait à choisir entre le maintien sous la tutelle espagnole et la réintégration dans le territoire marocain. Dans le cas d’un succès de la dernière option, l’accord hispano-marocain porterait sur la concession à l’Espagne de bases militaires temporaires dans les ports d’El Aioun et de Villa Cisneros pour la protection des îles Canaries et sur l’association des intérêts marocains et espagnols pour la recherche, l’exploitation et la commercialisation des ressources tirées du Sahara et de son plateau continental.
La position marocaine se durcit en 1974 pour différentes raisons. Les difficultés intérieures, survenues au Maroc durant les années précédentes, incitaient le Roi à reprendre le thème du « souverain de l’Istiqlal » et à lancer celui de l’union nationale pour la libération du Sahara, le succès de cette politique exigeant en premier lieu que l’opposition renonce au moins temporairement à affaiblir le pouvoir centralisateur de la monarchie. La définition d’une politique des matières premières par les pays du Tiers-Monde valorisait le potentiel du Maroc qui, premier producteur de phosphates d’Afrique, ne voulait pas que le riche gisement saharien de Bukraa, représentant une réserve de plus d’un milliard de tonnes et une capacité de production de 10 millions de tonnes par an, restât contrôlé exclusivement par des intérêts occidentaux. Enfin, le Roi n’était pas mécontent de donner, à une armée encore mal remise de l’épuration, une mission strictement militaire de nature à éloigner les jeunes officiers de la tentation de se poser en censeurs de la politique gouvernementale. Le Maroc s’employa d’abord à retarder le référendum annoncé pour 1975 par le gouvernement espagnol et, peut-être pour préparer un marchandage, à étendre ses revendications aux « présides » (Melilla et Ceuta) au sujet desquelles il saisit le Comité de décolonisation de l’ONU. À la demande de Rabat et de Nouakchott, l’Assemblée générale décida, le 13 décembre 1974, que le problème du Sahara serait soumis à l’avis consultatif de la Cour internationale de La Haye. Celle-ci devrait faire savoir si, au moment de l’occupation espagnole, le territoire contesté était « sans maître » et, en cas de réponse négative, quels auraient pu être alors ses liens avec le Maroc et la Mauritanie. L’Assemblée décida également d’envoyer une mission d’enquête dans tous les pays intéressés par la solution de ce problème, à savoir l’Espagne, le Sahara, le Maroc, la Mauritanie et, à la surprise de Rabat, l’Algérie.
Composée de MM. Siméon Ake (Côte d’Ivoire) et Manutherth Pisha (Iran) et de Mlle Maria Jimenez Martinez, la mission de l’ONU commença ses travaux en mai par un séjour de quelques jours à Madrid et d’une semaine au Sahara. Son arrivée dans ce territoire déclencha un certain nombre d’incidents comme, par exemple, la capture de deux patrouilles espagnoles. Ces remous permirent de se faire une idée un peu plus claire sur la position des différents mouvements de libération à travers lesquels les pays concernés s’expriment plus ou moins.
Le seul parti, reconnu par l’Espagne, est le « Parti de l’union nationale sahraoui » (PUNS) : il réclame l’indépendance et, à défaut, respectera le choix de la population pour un éventuel rattachement au Maroc ou à la Mauritanie. Au cours de la visite de la mission de l’ONU, son secrétaire général, M. Khali Henna ould Rachid et deux membres du Comité exécutif s’enfuirent spectaculairement à Fez et firent acte d’allégeance au roi Hassan II ; dans le même temps, M. Mohammed Aanim, responsable du PUNS pour le Rio de Oro, se rendit auprès du délégué du gouvernement à Villa Cisneros pour condamner l’attitude de son ancien chef et renouveler son attachement à la ligne générale de son parti. La défection de M. Khali aurait été provoquée par l’organisation d’un nouveau mouvement qui cherchait à le déborder sur sa gauche, le « Front de libération du Saguiet el Hamra et du Rio de Oro » (FROLISARIO) qui s’était manifesté lors de l’arrivée de la mission de l’ONU et aurait fait état de ses forces armées ; ce mouvement, qui réclame l’indépendance pure et simple, est également considéré par ses adversaires comme une création de la police espagnole.
Il existe plusieurs partis clandestins favorables à l’intégration du Sahara au Maroc. Ils se sont réunis, pour former une organisation militaire, le « Front pour la libération et l’unité » (FLU) autour du « mouvement de résistance pour la libération des territoires sous domination espagnole » appelé également « Mouvement de résistance des hommes bleus » (MOREHOB), d’Édouard Moha autrefois installé à Alger. Le FLU, selon ses détracteurs, serait exclusivement composé de 500 officiers ou soldats de l’armée royale marocaine placés sous les ordres du colonel Ahmed Dlimi. Suivant ces mêmes sources, il serait une « véritable armée d’invasion, massée à la frontière dans la région de Tarfaya, pour attendre l’occasion d’intervenir ».
Il existe également un « Front populaire de libération du Seguiet el Hamra » (FPOLISARIO), installé en Algérie et peut-être aussi en Mauritanie ; il affirme avoir mené une lutte armée contre les Espagnols depuis mai 1973, revendique l’enlèvement des patrouilles survenu avant l’arrivée de la mission de l’ONU, réclame l’indépendance totale et conteste le bien-fondé de la revendication marocaine.
Pendant que la mission de l’ONU poursuivait ses travaux, un premier débat avait lieu à La Haye. Sous la présidence du professeur polonais Manfred Lachs, les 15 juges internationaux, qui comptaient parmi eux un Espagnol, M. Federico de Castro, avaient à débattre de la désignation de juges dits ad hoc pour représenter le Maroc et la Mauritanie. M. Alphonse Boni, président de la Cour suprême de la Côte d’Ivoire, candidat de Rabat, fut désigné ; la Mauritanie aurait préféré la nomination d’une haute personnalité juridique du Zaïre. Les débats vont donc pouvoir se poursuivre sur le fond. Par la bouche de M. Bedjaoui, Ambassadeur d’Algérie à Paris et ancien ministre algérien de la Justice, le gouvernement d’Alger a fait savoir que lorsque le débat toucherait au fond de l’affaire, l’Algérie « assumerait pleinement son devoir d’éclairer la Cour » et que dans cette cause « qui concerne une population arabe et musulmane », la Mauritanie, l’Algérie et le Maroc trouveraient « dans leurs relations fraternelles et dans leur génie propre, le moyen de dépasser la difficulté actuelle et de dégager une solution commune, l’essentiel étant pour tous la libération et la décolonisation du peuple sahraoui ».
Cette déclaration a déclenché au Maroc une très vive campagne de presse, notamment dans les journaux d’opposition. M. Boucetta, secrétaire général de l’Istiqlal, en a même profité pour remettre en cause les règlements frontaliers algéro-marocains en revendiquant la restitution à l’autorité chérifienne du Touat et du Tidikelt, deux provinces algériennes frontalières. Mais il ne semble pas que cette effervescence ait impressionné le gouvernement d’Alger qui réaffirme périodiquement sa position. Curieusement, la Mauritanie se manifeste peu. Il semble qu’elle joue un jeu subtil : d’une part, ayant signé un accord de partage avec le Maroc en octobre 1974, elle soutenait les manœuvres marocaines à l’ONU et à la Cour de La Haye, tout en maintenant, sans grande publicité, son désir de voir accéder le Sahara à l’indépendance ; de l’autre, elle n’ignore pas que le gouvernement algérien favorise de toute son autorité une formule qui aurait l’avantage de ne laisser au territoire mauritanien aucune frontière avec le Maroc ; dans cette hypothèse, les partenaires rechercheraient par la suite, dans une entente à caractère maghrébin, avec ou sans le Maroc, une solution au problème du débouché vers l’Atlantique des mines de fer de Gara Djebilet situées dans la région de Tindouf.
Pour des raisons de principe, l’Algérie et la Mauritanie, qui se souviennent des cartes du « Grand Maroc » dressées par Allai el Fassi, n’ont aucun intérêt à ce que le Sahara atlantique soit placé sous l’autorité chérifienne. En exaltant l’esprit expansionniste de son peuple afin de renforcer à son profit l’unité nationale, le roi Hassan risque de profondément le décevoir en cas d’échec de ses revendications ; or, le succès total des thèses marocaines devant le tribunal de La Haye est loin d’être assuré.
En résumé, deux mouvements sahraouis sont pour l’indépendance totale : l’un (PUNS) d’inspiration espagnole, l’autre (FPOLISARIO) patronné par l’Algérie socialiste ; le premier est soutenu par l’armée espagnole ; le second comporte des unités militaires sans doute instruites et armées par l’Armée nationale populaire [algérienne] (ANP). Le FLU, qui demande l’intégration au Maroc, sans faire allusion à l’accord mauritano-marocain, a également des unités militaires qui s’appuient vraisemblablement sur l’Armée royale [marocaine]. Un conflit entre l’Algérie et le Maroc par FPOLISARIO et FLU interposés est donc possible si Rabat, Nouakchott et Alger ne parviennent pas à trouver, dans une nouvelle négociation, une solution commune au problème sahraoui.
Dans les anciens territoires français de l’Afrique occidentale, atlantique et méditerranéenne où les sympathies politiques se groupaient jusqu’ici autour de deux axes, Rabat-Dakar-Abidjan et Alger-Nouakchott-Conakry, des tensions en sommeil peuvent se réanimer à cette occasion. Déjà, dit-on, les litiges à caractères ethnique du Sénégal et de la Mauritanie prennent une acuité nouvelle.
Madagascar
Le mois de juin 1975 marque une étape importante de la vie politique de la Grande Île. Trois faits sont à mentionner.
Le 3 juin 1975, le départ du dernier détachement de la Marine nationale met un point final au désengagement militaire français, conséquence des accords franco-malgaches de juin 1973. Les étapes de ce désengagement furent les suivantes : en août 1973, transfert du PC du général commandant les forces françaises du sud de l’Océan Indien, de Madagascar à La Réunion, évacuation de la base aérienne d’Ivato puis départ pour la Guyane du 3e régiment étranger d’infanterie (REI) ; durant l’année 1974, allégement des détachements de la Marine stationnés à Diego-Suarez, création par le gouvernement malgache de la Société d’exploitation pour la construction et les réparations navales (SECREN) au capital d’un milliard de francs malgaches ; le 1er février 1975, transfert des biens et des activités de l’arsenal de Diego-Suarez à la SECREN qui prend la direction effective de l’entreprise et fonctionne avec la coopération de techniciens français.
Le 12 juin 1975, se termine le procès des auteurs présumés de l’assassinat du colonel Ratsimandrava, survenu le 11 février 1975. Le colonel avait été désigné comme chef de l’État et du gouvernement six jours auparavant par le général Ranamansoa qui s’était résigné à abandonner le pouvoir. Après l’attentat, un directoire militaire, composé de 18 officiers de toutes les ethnies prit en charge le gouvernement ; il était dirigé par le général Gilles Andriamahazo, le plus ancien des officiers de l’armée. Sa première tâche fut de proclamer la loi martiale et de créer un tribunal militaire spécial pour juger les auteurs de l’assassinat. L’enquête s’orienta immédiatement vers le Groupe mobile de Police (GMP), nouvelle appellation des Forces républicaines de sécurité (FRS) qui avaient été organisées par M. Resampa, alors ministre de l’Intérieur, pour la protection du régime de l’ancien président Tsiranana. Des unités du GMP avaient soutenu le colonel Rajaonarison, ancien conseiller militaire du général Ranamantsoa, dans une tentative de prise de pouvoir et s’étaient réfugiées depuis le 31 décembre 1974 dans le camp d’Antanimora où elles résistaient aux forces gouvernementales. Le colonel Rajaonarison ayant déclaré qu’il luttait en faveur des ethnies côtières dont l’égalité des droits n’était pas reconnue depuis la chute du président Tsiranana, l’enquête s’orienta également vers le Parti socialiste malgache (PSM) bien implanté dans ces ethnies. Elle aboutit à la mise en accusation des trois membres survivants d’un commando du GMP et de trente personnalités parmi lesquelles M. Tsiranana, président du PSM, M. Resampa, son secrétaire général, le colonel Rajaonarison et, curieusement, le colonel Roland Rabetafika, ancien directeur général du cabinet du général Ranamantsoa. Les audiences durèrent douze semaines durant lesquelles le tribunal militaire, présidé par le général Rabemalanto, dut refaire l’instruction à la barre tant les preuves apportées par l’accusation étaient peu concluantes. Le verdict fut nuancé, puisque les trois membres du GMP sont seuls condamnés à cinq ans de travaux forcés et dix millions malgaches de dommages et intérêts, peine qui peut paraître ridiculement faible s’ils ont été convaincus d’avoir assassiné le chef de l’État ou qui prend un caractère politique dans le cas contraire. Les autres inculpés ont été acquittés. Il est à noter que quelques jours auparavant le directoire militaire avait amnistié les 270 mutins du camp d’Antanimora. Si le procès ne cause aucun dommage à MM. Tsiranana et Resampa dont les partisans ont toujours été persuadés de la bonne foi, il a permis d’écarter de la vie politique, du moins pour un temps, certaines personnalités de talent, moins assurées de leur audience populaire. C’est le cas, en particulier, du colonel Rabetafika qui, de même que le colonel de gendarmerie Radsimandrava assassiné, pouvait avoir l’ambition déjouer un grand rôle dans l’appareil de l’État.
Le troisième événement est survenu le 15 juin 1975, date de la nomination, par le directoire militaire, à la tête de l’État malgache, du capitaine de frégate Didier Ratsiraka, ancien ministre des Affaires étrangères du général Ranamantsoa. De nouvelles institutions transitoires ont été décidées ; elles comprennent le Conseil suprême de la révolution (CSR), le gouvernement, le Comité militaire de développement, le Conseil supérieur des institutions (CSI) et le Conseil national populaire de développement (CNPD). M. Ratsiraka cumule les fonctions de chef de l’État et du Gouvernement avec la présidence du CSR ; il nomme les membres du CSR, les ministres et les hauts fonctionnaires militaires et civils ; il conduit la politique générale de l’État conformément aux directives du CSR qu’il a lui-même désigné ; il est également ministre de la Défense nationale. Le pouvoir n’est limité que par deux organismes, créés par le général Ranamantsoa : le CSI, chargé de contrôler la constitutionnalité des lois ou ordonnances et le CNPD, assemblée consultative élue, ainsi que par le Comité militaire de développement, de création nouvelle, appelé à donner un avis sur l’élaboration des projets à caractère économique et social, dont l’exécution sera confiée aux forces armées, et sur le programme national de défense.
Le CSR comprend 9 officiers nommés par M. Ratsiraka : 3 lieutenants-colonels, parmi lesquels le président et le lieutenant-colonel Mampila Joana, ministre de l’Intérieur, 3 commandants et 3 capitaines. Les ministres sont au nombre de 14 ; seuls les portefeuilles de la Défense nationale et de l’Intérieur sont occupés par des militaires. Pour la première fois, un membre du MONIMA, parti de gauche qui recrute dans le Sud déshérité de l’île, appartient au gouvernement comme ministre du Travail.
Le programme du gouvernement a été esquissé par le président Ratsiraka au cours d’une conférence de presse : réforme de la société malgache et construction d’un socialisme national. Le chef de l’État reprend à son compte la refonte des fokonolona (communautés traditionnelles de base), sur laquelle le colonel Ratsimandrava comptait pour asseoir l’unification du pays. Il souhaite que ces communautés se socialisent davantage et que l’armée, devenue « révolutionnaire », soit employée dans tous les secteurs d’activité. Elle sera renforcée par les étudiants qui devront faire un service militaire de dix-huit mois dans les provinces. La politique étrangère mondialiste menée par M. Ratsiraka lorsqu’il était le ministre du général Ranamantsoa sera poursuivie. Pour bien marquer que Madagascar s’engage sur la voie socialiste, le gouvernement a déjà décidé la nationalisation des banques et des sociétés d’assurance, ainsi que celle des sociétés de distribution cinématographique. ♦