La guerre américaine du Golfe
Spécialiste de l’histoire militaire, directeur des recherches du service historique de l’armée de terre (SHAT), l’auteur publie un ouvrage sur les aspects militaires de la guerre du Golfe alors que l’Irak a encore été au cœur de l’actualité pendant l’été 1996. Cette étude est la première du genre à être publiée en France. Dans une langue simple et claire, l’auteur essaie de déterminer « comment situer la guerre du Golfe dans l’évolution de l’art de la guerre et dans celle de l’histoire des guerres ? » Il précise qu’à l’évidence ce conflit « présente un visage nouveau, (…) comme se situant au-delà d’une ligne de fracture entre des modes opératoires hérités de l’ère industrielle et ceux issus de la révolution informatique actuelle et de ses implications ». Le rôle déterminant des États-Unis, tant dans le domaine politique que militaire, amène à privilégier l’étude de l’action militaire qu’ils ont menée.
Après avoir rappelé les origines de la guerre, en insistant sur les antagonismes profonds plutôt que sur les causes immédiates, l’auteur analyse l’évolution du concept américain de projection d’une capacité militaire, de la Seconde Guerre mondiale à la guerre du Golfe. Il précise que « la projection de forces ne devient projection de puissance qu’au prix d’un effort logistique suffisant… », et que seuls les États-Unis disposent des capacités de transport (aérien et maritime), et de l’organisation nécessaire, progressivement mises en place à partir de la fin des années 70. Le modèle français de projection des forces, aussi rappelé, est considéré comme « principalement adapté, depuis trois décennies, à l’Afrique et aux conflits qui s’y déroulent ».
La deuxième partie aborde les difficultés, pour les décideurs mais aussi pour l’historien, de procéder à l’indispensable évaluation des capacités militaires de l’Irak. Une telle étude « pose un problème théorique (…) fondamental ». Les critères d’appréciation de l’armée irakienne retenus sont « la puissance humaine et matérielle d’une part, son comportement pendant la guerre contre l’Iran de l’autre ». L’auteur souligne que « la guerre Iran-Irak est une guerre typique de l’ère industrielle, caractérisée par une consommation, au sens économique du terme, humaine et matérielle gigantesque qui a opposé deux ennemis de valeur et de nature sensiblement identiques. La nature de la guerre comme celle des adversaires sont très différentes en août 1990 (…) ». Après avoir rappelé le déroulement des événements aboutissant à l’invasion du Koweït, le processus américain de décision est analysé. Ce dernier conduit au choix d’une stratégie et à la mise en place des moyens adaptés. On observe qu’entre août et octobre 1990, « au-delà de sa rapidité relative, le déploiement initial et la mise en défense de toute la péninsule Arabique se traduisent par un effort logistique unique dans les annales de la guerre ». Le déploiement des forces françaises et leur place dans la défense de l’Arabie Saoudite sont brièvement indiqués.
La troisième partie analyse l’organisation militaire de la coalition et la logistique de l’opération Bouclier du désert. On insiste sur le fait que l’Irak n’ayant pas entrepris l’invasion de l’Arabie Saoudite, les Alliés ont disposé de temps. Celui-ci était d’autant plus précieux qu’on apprend que les plans logistiques, en pleine refonte du fait des bouleversements géopolitiques en Europe, ont été très partiellement testés un mois seulement avant le début de la guerre du Golfe. Cependant, « après sept mois de campagne, le transport stratégique américain a amené dans le Golfe plus de 500 000 hommes et 544 000 tonnes de matériels par voie aérienne, 3,5 millions de tonnes de fret et 6,1 millions de barils de carburant par voie maritime ». L’organisation logistique des troupes françaises est aussi présentée. La préparation de la reconquête est étudiée. On apprend que le général Schwarzkopf a pensé à l’élaboration d’un plan d’attaque « visant à rejeter les Irakiens hors du territoire koweïtien » dès le 16 août, alors que la résolution 678 du Conseil de sécurité de l’Onu l’a autorisée au mois de novembre 1990.
La quatrième et dernière partie fait le récit des étapes successives de cette reconquête, les premiers bilans, et souligne le rôle de la technologie dans les opérations. Le commandement militaire de la coalition « met (ainsi) tout en œuvre pour persuader les Irakiens que l’effort principal sera mené en direction de Koweït City, sur un axe sud-nord, complété par un débarquement (…) ». Le commandement irakien n’a également pas perçu que l’adversaire « s’appuie sur la maîtrise de l’espace radioélectrique, la vitesse, la puissance et la précision du feu, la permanence du combat (de jour et de nuit), et l’utilisation régulière des technologies les plus récentes ». La supériorité aérienne de la coalition notamment a été déterminante dans le conflit. Les derniers chapitres font le bilan humain et financier des combats. L’auteur analyse enfin, dans la notion de « mobilité stratégique », les difficultés de concilier la rapidité de déploiement d’un dispositif (nécessairement doté de moyens légers) grâce au transport aérien, et la puissance des unités d’intervention (équipées de matériels lourds) acheminées obligatoirement par voie maritime. Il développe par ailleurs la définition de J.F.C. Fuller d’« arme maîtresse (…) à forte valeur ajoutée technologique », dont l’emploi permet d’obtenir l’efficacité maximale des autres armes.
Dans la conclusion, un intéressant rapprochement est fait entre la guerre du Golfe et celle du Vietnam, où la technologie américaine ne fut pas aussi efficace. « Les données géographiques et diplomatiques permettent (…) de mieux comprendre l’incapacité de résister de (…) l’armée irakienne. (…) À l’opposé, le Vietnam du Nord (…) ne fut jamais coupé de ses bases arrière (frontière du nord et installations portuaires), et disposa en permanence des faveurs d’une partie importante de l’opinion mondiale ». ♦