Longtemps figé, le droit de la mer doit évoluer rapidement si l'on ne veut pas voir l'utilisation des espaces maritimes dégénérer en conflits sanglants. La Conférence des Nations unies qui a tenu cette année à Genève sa 3e session n'a pu aboutir à un accord satisfaisant. Des thèses extrêmes s'y sont affrontées, les intérêts des États côtiers s'opposant en général à ceux des États dépourvus de littoral ou à plateau continental enclavé. L'auteur résume ces thèses « maximalistes » et dégage quelques remarques et conclusions pour surmonter ces oppositions et permettre aux travaux de la prochaine session, à New York en 1976, de progresser.
L'enjeu des conférences sur le Droit de la Mer
Bien qu’elle couvre les trois quarts de la surface du globe, la mer n’a été utilisée depuis l’origine de l’humanité et jusqu’à une époque très récente que pour le transport et la pêche, et encore très partiellement. Cette utilisation, à la fois stratégique et économique, dans la mesure même où elle est demeurée restreinte au cours des siècles et n’a, en fait, intéressé que quelques grandes nations, a pu s’organiser alors tant bien que mal conformément à un droit demeuré fort simple, celui de la « mare liberum ». Ce principe de la mer libre, qui fut codifié au début du XVIIe siècle grâce à Hugo Grotius, est toujours resté en vigueur. Il ne s’est trouvé tempéré que par un deuxième principe, celui de la mer territoriale, qui a permis aux États maritimes d’étendre leur souveraineté sur une bande de mer d’une largeur limitée à la portée d’un boulet de canon.
L’évolution accélérée des techniques ne pouvait manquer de modifier cet état de droit séculaire. Mais alors que la révolution industrielle « terrestre » date de plus d’un siècle, la révolution maritime ne fait que commencer. L’utilisation de la mer à des fins militaires ne pourra que croître, ne serait-ce que par le développement du nombre et de la puissance des sous-marins à propulsion nucléaire. Par ailleurs, il est de plus en plus avéré que les ressources économiques contenues dans les mers, même si elles font encore l’objet d’estimations très conjecturales, sont considérables. Ressources en protéines tout d’abord, susceptibles d’être dégagées à la fois grâce aux progrès des techniques de la pêche et au développement de l’aquaculture, appelée, selon les prévisions de la FAO, à doubler à la fin du siècle le volume de la production de poisson. En second lieu, ressources énergétiques encore plus importantes : les réserves marines pourraient être deux à trois fois supérieures aux réserves terrestres ; déjà, le pétrole extrait offshore représente 20 % de la production mondiale. Enfin, ressources minérales fabuleuses (1). Les réserves des principaux métaux contenus dans les fameux nodules polymétalliques seraient cent fois ou peut-être même mille fois supérieures aux ressources terrestres. Selon une récente étude des Nations Unies, ce sont près du cinquième de la demande mondiale de nickel et la moitié de la demande mondiale de cobalt qui pourraient être satisfaits, dès 1985, à partir de l’extraction de nodules. Plusieurs consortiums internationaux ont déjà été constitués en vue de cette exploitation.
Sans même évoquer les autres possibilités offertes par le milieu marin — production d’eau douce après dessalement, utilisation de minéraux dissous comme l’uranium, exploitation de graviers et placers (2), énergie marémotrice — et sans oublier non plus les problèmes posés par la pollution, comment s’étonner qu’au cours des quinze dernières années, le droit de la mer, conçu et appliqué à l’origine par quelques puissances maritimes, ait été de plus en plus remis en cause par les nombreux pays — dont beaucoup ont récemment accédé à l’indépendance — qui pensent trouver dans l’exploitation des richesses maritimes un moyen de résoudre leurs problèmes de développement ?
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