Il faut vraiment avoir le moral pour aborder ce livre aux perspectives bien sombres, car c’est un monde déstructuré ultra-violent que nous annoncent les auteurs de ce travail prospectif, à la limite de la science-fiction. L’exercice confié en juillet 2019 à l’équipe de la « Red Team Défense » avait mandat de relever le défi consistant à imaginer nos futurs à l’horizon 2060. À l’animation, les équipes du ministère impliquées dans la préparation de l’avenir de la défense : l’Agence de l’innovation de défense (AID), l’État-major des armées (EMA), la Direction générale de l’armement (DGA) et la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS). Comme l’a écrit sur le site du ministère Emmanuel Chiva, directeur de l’AID : « Les auteurs et les dessinateurs de science-fiction sont parmi les personnes les plus créatives de la planète. Pour pouvoir se projeter sans avoir de préjugés, de barrières mentales, il faut avoir un certain état d’esprit. C’est celui des auteurs et des dessinateurs de science-fiction. »

Publié avec le soutien des Armées et de l’Université Paris Sciences et Lettres (PSL), cet ouvrage était très attendu. L’écriture en fut confiée à des romanciers français de science - fiction et dessinateurs de BD. Quatre scénarios sont proposés : « Les pirates de la P-Nation attaquent Kourou », « Barbaresque 3.0 », « Chronique d’une mort culturelle annoncée », « La Sublime Porte s’ouvre à nouveau ». Selon une approche déterministe, à l’horizon 2060, l’humanité est bien loin des objectifs de paix fixés par l’ONU. Crise du climat et crise des organisations internationales donneront de violents affrontements en une imagerie qui n’a rien à envier à un scénario Blade Runner ou Mad Max. Dès 2035, des villes côtières françaises seront fréquemment envahies par les eaux et le monde comptera 100 à 150 millions de migrants. Pour traiter la question, l’individu fera alors l’objet d’un étroit contrôle des autorités : en 2034, le « puçage » est rendu obligatoire. Contenant toutes vos données biométriques, le « puçage » individuel est inspiré du dispositif de l’actuel « Pass Vaccinal ». Voilà pour la société. Les réfractaires formeront l’embryon de la nation pirate. En 2060, une guerre éclatera entre deux empires, la Ligue Hellénique (l’Europe occidentale, intégrant donc notre Hexagone) et la Grande Troade, réincarnation de l’Empire ottoman. Côté technologies : des sous-marins furtifs, des munitions hypersoniques, des drones et des robots agressifs – plusieurs milliers – animés par l’intelligence artificielle. Ils serviront dans tous les camps antagonistes dans de furieuses batailles.

La filiation de la « Red Team Défense » avec l’imagerie des mangas post-apocalyptiques et le courant Cyberpunk lancé dans des années 1980 apparaît nettement. Cette vision fut alors portée par les auteurs américains William Gibson, Bruce Sterling et Neal Stephenson. Un autre message apparaît en creux : resserrer la cohésion de la Nation France. Que nos lecteurs se rassurent, il y aura bien en 2060 un numéro spécial de la Revue Défense Nationale ! ♦