L’enchevêtrement des crises au Sahel. Niger, Mali, Burkina Faso (The entanglement of crises in the Sahel. Niger, Mali and Burkina Faso, reviewed by Tanguy Quidelleur)
L’enchevêtrement des crises au Sahel. Niger, Mali, Burkina Faso
L’ouvrage du chercheur franco-nigérien Jean-Pierre Olivier de Sardan analyse l’enchevêtrement des multiples crises qui secouent le Sahel, dépassant les explications normatives et ethnocentrées. L’auteur identifie huit crises interconnectées : agro-pastorale, emploi, élites politiques, services publics, islam, occidentalo-centrisme, sécurité et armées nationales. Il rejette alors les catégorisations traditionnelles ainsi que les modèles standardisés d’interventionnisme et plaide pour une approche plus ancrée dans les réalités locales. Dans la continuité de son précédent ouvrage à propos de La revanche des contextes (1), l’auteur fait alors la synthèse de ses recherches en s’appuyant sur six décennies de terrain et une série d’articles analysant les signes avant-coureurs des reconfigurations actuelles.
Tout d’abord, l’analyse met en lumière le rôle du chômage dans les dynamiques migratoires et criminelles, l’interconnexion entre l’islam et la contestation de l’ordre politique, ainsi que les stratégies autour du rejet de la politique extérieure française par les régimes militaires. Bien que l’ouvrage se concentre principalement sur le Niger et, dans une moindre mesure, sur le Mali, l’analyse englobe aussi la situation actuelle au Burkina Faso, devenu depuis l’épicentre des violences au Sahel. Ce décalage géographique permet ainsi à l’auteur d’analyser les dynamiques transnationales du Sahel (coups d’État militaire, rejet du modèle démocratique, insurrections jihadistes) et les menaces qui pèsent sur ces trois États.
Ensuite, par une rigueur scientifique à laquelle se mêle un engagement citoyen certain, l’auteur fait le constat d’un essoufflement des interventions internationales « traditionnelles » et plaide une autre conception de ces interventions dans un sens large. Une des forces majeures de l’analyse repose sur la mise en relation des politiques de développement avec l’action militaire. L’auteur souligne que lutter contre le djihadisme au Sahel est une nécessité, mais que cette lutte doit s’articuler autour de trois volets complémentaires : 1) sécuritaire (militaire et policier) ; 2) socio-économique (emploi, services publics) ; 3) politique (gouvernance vertueuse). L’expérience montre que ni l’intervention militaire extérieure, incarnée par l’échec de l’opération Barkhane, ni les politiques de développement menées de l’extérieur n’ont permis de stabiliser la région. Ces dernières ont même accompagné le développement des violences sans régler les problèmes politiques à l’origine des conflits.
En conclusion, l’auteur souligne les limites d’une approche purement axée sur les crises et appelle à une analyse future des dynamiques positives du Sahel. Dans une portée plus généraliste, il met aussi en garde contre l’aveuglement des politiques sécuritaires et développementistes lorsqu’elles ne prennent pas en compte les logiques sociales locales, un facteur qui aura été décisif dans les politiques mises en place. ♦
(1) Olivier de Sardan Jean-Pierre, La revanche des contextes : des mésaventures en ingénierie sociale en Afrique et au-delà, Karthala, 2021, 496 pages.