Bernard Lewis est un éminent orientaliste. L’histoire de l’islam est son domaine. Un avertissement précise que son livre était écrit avant le 11 septembre 2001, mais que les idées et les événements qui y sont exposés ne sont pas étrangers au drame ⁽¹⁾.

Que s’est-il passé ?

La jolie question qui sert de titre, ce sont les musulmans qui se la posent : que s’est-il passé ? Durant près d’un millier d’années, le monde musulman s’est trouvé dans la situation de « l’hyperpuissance ». Dès le VII^e siècle, les « barbares », chrétiens pour beaucoup, étaient en voie d’islamisation et Bagdad le centre d’une intense activité scientifique et culturelle. En 1453, Constantinople devient Istanbul, capitale de l’Empire ottoman. Point culminant de la victoire, dirait Clausewitz : les ultimes batailles des Ottomans masquèrent aux yeux des musulmans la montée de l’Europe. Rien ne leur était parvenu de notre Renaissance. Il fallut, pour leur ouvrir les yeux, les conquêtes coloniales et, en 1920, le démantèlement de l’Empire. Yeux ouverts, question posée : que s’est-il passé ? Avec eux, Bernard Lewis s’interroge, et répond.

La fermeture de l’Orient

Textes à l’appui, il montre que les échanges Orient-Occident furent longtemps à sens unique. Orientalistes il y eut en Occident ; point « d’occidentalistes » en Orient. Dès le XVI^e siècle, l’arabe est enseigné dans les universités européennes ; les langues de l’Europe restent inconnues en Orient. D’Occident en Orient les voyageurs voyagent ; on ne voit guère d’Orientaux en Occident et il faut attendre 1830 pour que les Ottomans établissent en Europe des représentations diplomatiques. Sans doute empruntera-t-on quelques trouvailles aux infidèles, mais ce ne sera qu’emprunts utilitaires. Importer des techniques et des outils, soit ! Se mettre à l’école des mécréants, scandale ! Les juristes estimaient impossible pour un musulman de vivre chez les chrétiens, jugement qu’il nous faut, en notre France émue par le voile des « beurettes », méditer.