Est-il possible, aujourd’hui, de parler d’une défense de l’Europe, alors que n’existe pas un consensus sur ce que pourrait être les objectifs de cette défense ? Pendant toute la guerre froide, la défense européenne ne s’est conçue que comme un volet de la défense atlantique. Ce n’est pas en additionnant les bataillons que l’on dotera l’Europe d’une défense plausible. Ce ne sera pas en organisant une coalition qui restera fragile, ni même en organisant des forces intégrées, mais par le pas décisif que représentera la volonté d’affirmer une politique et de créer des institutions pour la mettre en oeuvre.
La défense des « États-désunis » d'Europe
The defence of the ‘Disunited States’ of Europe
Is it possible today to speak of European defence when there is no consensus on what the objectives of that defence might be? Throughout the Cold War, European defence was simply a facet of transatlantic defence. Giving Europe a credible defence is not just a matter of adding battalions. Neither is it a question of organising a coalition, destined to remain fragile, nor even integrated forces, but a desire to follow a policy and to create the institutions to turn it into reality. That would represent a decisive step.
L’écroulement de l’Union soviétique en 1991 a profondément bouleversé les données de la politique internationale. À un duopole soviéto-américain de facto qui limitait la liberté d’action de chacun des deux protagonistes a succédé l’hégémonie des États-Unis, désormais seule puissance en mesure d’imposer ses vues aux grands États que sont en voie de devenir la Chine, la Russie, le Japon, l’Inde et le Brésil. Même en conjuguant leurs efforts, ces derniers ne disposent pas des moyens susceptibles d’équilibrer la supériorité américaine. Cette dernière ne se limite pas aux forces armées, mais elle s’affirme également, et avec autant d’éclat, dans les domaines de l’économie, de la monnaie, de la recherche et de la culture. Jamais dans le passé, en tout cas depuis que le monde a été unifié par les grandes découvertes, un écart aussi grand n’avait séparé une puissance de toutes les autres.
Cette surpuissance s’est exercée, jusqu’à depuis peu, avec prudence et modération. Longtemps fidèles à une tradition de non-interférence dans les affaires européennes, les États-Unis ont fait preuve, aux premiers temps de la guerre froide, d’une sage réserve en dépit de leur supériorité en matière d’armes nucléaires. Telle était la conséquence de leur respect profond de la démocratie. Leur opposition à l’expansion soviétique a reposé sur une circonspection semblable. Un changement s’est produit lorsque, victorieux de la guerre froide, les Américains ont gagné de vitesse les Européens de l’Ouest lors de l’émancipation des États d’Europe centrale et orientale. Il est vrai — et cette constatation est toujours valable — que, pour les pays libérés du joug soviétique, la meilleure garantie contre un retour offensif de Moscou ne pouvait et ne peut encore être autre que celle des armées américaines.
À certains signes, notamment lors des conflits de l’ex-Yougoslavie, on a pu percevoir que cette modération était quelque peu mise de côté. En particulier les règles de la sécurité collective ont été, à plusieurs reprises au moins, transgressées. Les actions menées à l’instigation des États-Unis par l’Otan et en son nom, eussent dû l’être en fonction d’un mandat clair de l’ONU. Plus encore, le conflit avec l’Irak a été un véritable accroc à la Charte de l’ONU, car l’armée américaine est intervenue en dépit du point de vue exprimé par la majorité du Conseil de sécurité.
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