Les attentats de New York et de Washington en septembre 2001, de Madrid en mars 2004 et de Londres en juillet 2005 ont montré à une opinion publique endormie toute l’importance, pour une nation souveraine, de disposer d’outils de renseignement en mesure d’informer les autorités gouvernementales des menaces pesant sur le pays et ses intérêts dans le monde. Le vent de la réforme qui souffle actuellement sur la communauté américaine du renseignement pourrait inciter la France à s’interroger sur son propre dispositif, eu égard aux défis du monde actuel. Les lignes qui suivent ont pour objet de montrer que la cohérence globale des moyens français de synthèse du renseignement passe par une refonte du dispositif national, selon une logique de performance adaptée aux exigences de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), et que le ministère de la Défense pourrait servir de laboratoire en la matière.
Refondre le renseignement
Reshaping intelligence
The attacks in New York and Washington in September 2001, Madrid in March 2004 and London in July 2005 demonstrated to an unaware public the importance to a sovereign nation of having intelligence resources available capable of informing governmental authorities of the threats facing their countries and its interests throughout the world. The gusts of reform currently blowing through the American intelligence community could stimulate France to question its own arrangements, in the light of the challenges posed by the modern world. The aim of this article is to show that the overall coherence of French intelligence collation resources requires a reordering of the national intelligence system, following a logic conforming to the requirements of the finance law, and that the Ministry of Defence could act as a test-bed.
Le renseignement est une information exploitée, acquise à partir d’une recherche orientée par un besoin exprimé. Il a vocation à être confirmé par d’autres sources et assorti d’un indice de fiabilité. L’acquisition et l’exploitation du renseignement sont du ressort de services spécialisés. Force est de constater qu’aujourd’hui, renseignement et menace sont devenus indissociables. Au cours des âges, cela n’a pas toujours été le cas. Le renseignement, longtemps cantonné à la connaissance d’un ennemi identifié, s’est ouvert à d’autres horizons pour parvenir désormais à une vision centrée sur la menace en général. De « l’instrument privilégié de prévention et de gestion de crises », selon le Livre blanc sur la défense de 1994 qui rompt déjà avec le silence de celui de 1972, le renseignement est passé, selon l’expression de M. Warusfel (1), « au premier rang des moyens et des armes de la politique de défense et de sécurité nationale ». Avant d’aborder son organisation actuelle, rappelons que le dispositif d’un État en matière de renseignement doit se déduire des besoins émis par son échelon exécutif. Or, à ce niveau stratégique, sans adversaire déclaré, ces besoins se focalisent désormais sur les menaces globales pesant sur le pays et ses intérêts dans le monde. Elles peuvent être de nature géopolitique ou sécuritaire, ou une combinaison des deux.
Les plus hautes autorités de l’État attendent qu’on leur fournisse une évaluation des menaces afin de prendre des décisions de portée nationale (prévention des risques, protection des populations, etc.) ou internationale (recours au Conseil de sécurité de l’ONU, intervention armée, mise en œuvre de la dissuasion, etc.). Le renseignement est donc un atout majeur de la politique sécuritaire qui s’inscrit dans une logique d’anticipation et de prévention. En France, la défense militaire est traditionnellement du ressort du ministère de la Défense, la sécurité intérieure de celui de l’Intérieur, et la défense économique de celui des Finances, sous la houlette du Premier ministre, responsable de la défense nationale. Or, du fait de l’interpénétration des missions de sécurité intérieure et extérieure, la distinction entre chacune d’elles s’estompe davantage chaque année au profit de la notion de défense — défense ou sécurité ? — globale. Assurément, l’environnement géostratégique a changé depuis la création et l’organisation de nos services de renseignement, trop longtemps habitués à contrer un ennemi bien identifié. La fonction renseignement présente par ailleurs des particularités qui lui sont propres : le renseignement étant synonyme de pouvoir, toute administration est tentée de créer son propre service ; un service devant absolument protéger ses sources a tendance à se cloisonner, à réduire les échanges au minimum possible, et par conséquent à privilégier les échanges bilatéraux aux enceintes multilatérales ; enfin, l’échelon exécutif d’un État doit orienter ses services, au risque de les voir s’auto-orienter. Les orientations données, les rôles répartis, les services coordonnés sont les conditions nécessaires pour parvenir à une vision globale, qui ne peut être l’apanage d’un seul service.
Le renseignement au niveau gouvernemental
Le cycle du renseignement stratégique consiste à fixer les priorités nationales, à orienter les services compétents et à recueillir les analyses produites pour en faire des synthèses et des évaluations de menace. Il est relancé périodiquement, notamment lors des grandes échéances gouvernementales (Conseil de défense, Conseil de sécurité intérieure, Comité interministériel du renseignement - CIR) (2). Or, une première caractéristique du système français est que les autorités gouvernementales, se satisfaisant des notes de renseignement régulièrement diffusées par les services et des synthèses rédigées à l’occasion des réunions de haut niveau, expriment peu leurs besoins, notamment sur le long terme. Une seconde est que l’État ne s’est pas donné les moyens de sa politique en matière de renseignement. Bien que le Secrétaire général de la défense nationale (SGDN) dispose de prérogatives claires en la matière, il n’a pas autorité sur les services spécialisés. Il ne peut que « notifier les objectifs en matière de renseignement, animer la recherche dans les domaines intéressant la défense et en assurer l’exploitation » ; il est également secrétaire du CIR qui, certes, constitue la seule enceinte où des experts appartenant à l’ensemble des services se trouvent réunis autour d’une même table. Néanmoins, dès qu’il s’agit de partager des analyses et de produire des documents de synthèse, des réticences peuvent se faire sentir chez les participants, plus enclins au donnant-donnant, ce qui fait que tous les documents utiles n’y sont pas toujours échangés. Ce dysfonctionnement s’explique par le fait que le SGDN ne dispose pas de moyens juridiques ou réglementaires de contrôle. Sa marge de manœuvre est donc singulièrement restreinte.
Il reste 78 % de l'article à lire
Plan de l'article





