Le discours de Jacques Chirac à l’Île Longue a suscité de vives réactions en Allemagne, et a été perçu comme une provocation dangereuse dans l’environnement actuel de négociations difficiles avec l’Iran. L’Allemagne devra cependant prendre ses responsabilités dans le domaine de l’armement nucléaire, au nom de l’interdépendance des pays européens. La dissuasion joue toujours un rôle fondamental dans les relations internationales et confère à l’un le pouvoir d’influencer l’autre en empêchant l’emploi de la force. Confrontée à l’échec de l’intervention du président français et au malaise allemand face aux questions de sécurité et de défense, la dimension européenne doit être privilégiée afin d’établir et de renforcer une stratégie commune indispensable dans le monde d’aujourd’hui.
L'Allemagne et le renouvellement de la stratégie nucléaire française
Germany and the renewal of French nuclear strategy
Jacques Chirac’s speech on l’Île Longue provoked a vigorous reaction in Germany, and has been perceived as a dangerous provocation in the context of the ongoing and difficult negotiations with Iran. However, Germany should accept its responsibilities in the field of nuclear armament, for the sake of the interdependence of the countries of Europe. Deterrence still has a fundamental role in international relations, and gives one country the power to influence another by preventing the use of force. In view of the setback of the French President’s intervention and German unease in security and defence matters, the European dimension must be given a special role in establishing and reinforcing a common strategy, indispensable in today’s world.
Nul besoin de long discours pour décrire les réactions suscitées, dans le monde politique allemand, par les déclarations de principes de Jacques Chirac à l’Île Longue le 19 janvier 2006 concernant la doctrine nucléaire française (1). La menace exprimée par le Président d’avoir si besoin est recours à des frappes nucléaires ciblées contre les États voyous et le terrorisme a été largement condamnée dans l’opinion publique allemande. Du côté de la gauche allemande, cette annonce a provoqué une agitation aussi intense que brève. L’abaissement du seuil d’intervention nucléaire, envisagé ouvertement et avec insistance par le président Chirac, ne pouvait certes pas laisser attendre de réactions positives de la part de larges pans de la social-démocratie allemande et des Verts (sans même parler du Linkspartei), opposés depuis toujours, pour des raisons d’ordre moral, à la possession d’armes nucléaires. Cette réaction était prévisible, mais d’autres députés — des libéraux et quelques conservateurs isolés — se sont eux aussi montrés réservés, voire très préoccupés (2).
Ces déclarations ont été très mal reçues car elles ont entre autres donné l’impression que le chef de l’État se livrait à une escalade inutile et jouait dangereusement avec le feu dans le contexte des négociations encore menées à l’époque par Londres, Paris et Berlin avec Téhéran au sujet de la politique nucléaire iranienne. Étant donné la façon dont la France mettait en avant la valeur politique et militaire de son arsenal nucléaire, l’Iran allait être justement incité à produire ses propres armes nucléaires afin d’assurer sa sécurité, a-t-on alors pu entendre. La provocation française et une possible réaction iranienne allaient immanquablement affaiblir les efforts accomplis pour renforcer le régime de non-prolifération, auquel l’Allemagne se sent particulièrement tenue.
Au vu de la virulence des réactions, le gouvernement fédéral allemand s’est efforcé de calmer le jeu. Il a surtout essayé de repousser la menace d’un débat de fond sur la politique nucléaire allemande qui aurait dû avoir lieu dès le début de son mandat. Il a officiellement souligné le fait que le discours de Jacques Chirac s’inscrivait dans la continuité de la raison d’État française et que rien n’avait changé, ce qui le conduisait à s’étonner de la violence des réactions. Cependant, il a dû admettre presque dans la même phrase qu’une adaptation de la force de dissuasion nucléaire française aux nouvelles menaces serait compréhensible.
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