Les Japonais restent partagés entre le pacifisme et les exigences de leur sécurité. Le pacifisme est peu à peu remplacé par un patriotisme fondé sur la falsification des manuels scolaires, qui révolte les voisins du Japon, tandis que la géopolitique de l’Asie orientale est secouée par les expérimentations militaires de la Corée du Nord et par la révision de la Constitution du Japon. Celui-ci peut-il se libérer de son Histoire ? Il doit d’abord reconnaître les fautes du passé et pourrait ensuite adopter une forme de gaullisme. Le Japon, non nucléaire, jouerait alors en Asie le rôle qui revient à la seconde puissance économique.
Hiroshima et Yasukuni : le Japon prisonnier de son histoire
Hiroshima and Yasukuni: Japan, a prisoner of its history
The Japanese are still torn between pacifism and national security requirements. Pacifism is gradually being replaced by patriotism built on the falsification of school history books, which appals Japan’s neighbours, while East Asian geopolitics are being buffeted by North Korean weapon tests and the revision of the Japanese Constitution. Can Japan break free from its history? It must first acknowledge the errors of the past, and could subsequently adopt a form of Gaullism. A non-nuclear Japan could then play a role in Asia appropriate to the world’s second economic power.
Il y a plus de soixante ans le Japon découvrait l’horreur des bombardements nucléaires et chaque année des cérémonies rappellent ces événements que le monde entier souhaite ne jamais voir se reproduire. Peu après ces deux bombardements, le Japon terminait une longue guerre qu’il avait menée « pour l’autodéfense et la préservation » de son Empire ; les soldats morts au combat, ainsi que quatorze responsables de la guerre, sont honorés au sanctuaire de Yasukuni. Aujourd’hui Hiroshima, Nagasaki, Yasukuni sont beaucoup plus que des lieux de mémoire, douloureux pour tous les Japonais : ils tracent une frontière dans leur histoire du XXe siècle et déterminent, encore aujourd’hui, leurs choix politiques les plus importants.
Au XIXe siècle aucun pays d’Asie, si ce n’est le Japon, n’avait réussi à abandonner aussi soudainement un système politique féodal pour rattraper, en quelques dizaines d’années, son retard sur l’Occident et devenir un État moderne. Le Japon était alors, comme la Corée et la Chine, une sorte de royaume ermite enfermé à l’intérieur de ses frontières, lorsque les puissances occidentales l’obligèrent à ouvrir ses ports aux navires étrangers. Cette ouverture forcée mobilisa le patriotisme nippon, mélange d’éthique du samurai et de dévotion pour l’Empereur et c’est un patriotisme inflexible qui permit au Japon, en accélérant sa modernisation, de préserver son indépendance. En 1945 le patriotisme nippon, assimilé au militarisme, fut condamné par l’occupant américain et le vaincu, privé de ses mythes nationaux, se réfugia dans son passé. Alors qu’au XIXe siècle le Japon s’était libéré sans effort de plusieurs siècles d’histoire pour entrer plus vite dans la modernité, aujourd’hui l’attachement passionné qu’il porte à son passé le paralyse, comme s’il était devenu prisonnier de son histoire.
D’autres peuples que les Japonais restent prisonniers de leur histoire, attribuant à la fatalité leurs éternelles querelles de voisinage : Grecs et Turcs, Israéliens et Palestiniens, Indiens et Pakistanais… Certains ennemis héréditaires, tels les Polonais et les Russes, ou les Allemands et les Français, arrivent à se libérer de l’enchaînement des massacres. Après trois guerres, dont deux mondiales, Allemands et Français ont enfin compris qu’ils devaient se réconcilier en construisant une Europe, où leurs deux pays formeraient un couple uni à jamais. Une étape importante de leur réconciliation fut l’apaisement d’un passé tumultueux, grâce aux travaux des historiens, qui ont montré que les torts étaient répartis des deux côtés du Rhin.
Il reste 88 % de l'article à lire
Plan de l'article