Face à une crise de l’eau annoncée, et à son corollaire trop souvent évoqué, les guerres de l’eau du XXIe siècle, les solutions de la gestion intégrée paraissent parfois de faible poids en regard de l’ampleur des difficultés à résoudre, ne serait-ce qu’à cause des difficultés de mise en œuvre de solutions concertées entre de multiples pays aux intérêts divergents. Gérer, à l’échelle d’un bassin versant, les besoins de plusieurs pays, et, dans chaque pays, de plusieurs secteurs souvent concurrents, n’est pas une mince entreprise, surtout si une méfiance durable s’est installée entre les différents gouvernements. Avec l’avènement des technologies modernes de génie civil, la possibilité de détourner de très importants volumes d’eau, dans une optique « fordienne » du triomphe de l’ingénierie, a réactualisé la possibilité de transférer, sur de grandes distances, une eau qui s’écoule loin des centres de consommation.
Transferts massifs d'eau : un essai de typologie
Large-scale water transfers: an attempt at a classification
In the face of predicted water shortages and their rather over-hyped corollary–twenty-first century wars over water resources–the solutions of integrated management sometimes seem outweighed by the size of the difficulties to be overcome, if only because of the problems of putting into practice solutions which must be agreed between a number of countries with varied interests. Managing the needs of several countries, and often of several competing sectors in each one, on the scale of a catchment area, is no small undertaking, especially if there is a history of mistrust between the different governments. Modern civil engineering techniques prompt a fresh look at the possibility of diverting very large volumes of water originating far from centres of consumption over great distances.
L’accroissement rapide des besoins en eau au cours du XXe siècle et l’avènement de méthodes de construction modernes font qu’aujourd’hui, les projets de transferts massifs d’eau sont de nouveau sérieusement envisagés dans différentes parties du monde pour répondre à des situations de plus en plus critiques. Si l’eau se fait rare ici, pourquoi ne pas aller la chercher là où elle est abondante ?
De cette question, en apparence toute simple, procèdent les grands projets de dérivation de l’eau douce. Les aqueducs, une fois construits, permettent le transfert de vastes quantités d’eau sur de grandes distances. Les Soviétiques, en Asie centrale, et les Américains ont fait de cette technique d’apport de volumes considérables, un élément central de leur stratégie de mise en valeur de terres agricoles, avec les canaux issus des fleuves Syr et Amou, pour les premiers ; avec les multiples canaux du Midwest et de la côte ouest, dont le Colorado est devenu une artère majeure, pour les seconds.
L’argument de la rationalité de l’usage de l’eau là où l’on en avait besoin s’est doublé, depuis peu, de celui de la nécessité morale de l’aide des pays fortement dotés en eau potable envers ceux qui en manquent. Il deviendrait ainsi immoral de refuser d’exporter de l’eau vers les régions où l’on en a besoin. De fait, les nouveaux projets d’exportation massive d’eau ont semblé fleurir, à Terre-Neuve, en Autriche, en Espagne, en France (Rhône) et même en Iran où pourtant l’approvisionnement en eau est une contrainte majeure. Quelles sont les différentes techniques de transferts massifs ? Dans quelle mesure ces projets procèdent-ils de la même rationalité, à savoir satisfaire un besoin criant en eau ? D’autres logiques, politiques, sociales, économiques ne viennent-elles pas interférer avec l’attrait que présentent parfois les projets de transferts massifs ?
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