La publication du Livre blanc français, la Présidence française de l’Union européenne et la perspective du retour de la France à l’Otan présentent un cadre fort positif au développement d’une stratégie européenne de sécurité. Une telle stratégie est essentielle si l’UE va interagir de façon positive avec la nouvelle Administration américaine. La coopération franco-britannique en sera un élément crucial.
Une nouvelle pensée stratégique pour l'Europe ?
France, the White Paper and ESDP: strategic thinking for europe?
The publication of the French White Paper, the French presidency of the European Union and the plans to return France to NATO’s integrated military structure offer a positive framework for the development of a European security strategy. Such a strategy is essential if the EU is to engage positively with the new American administration. Franco-British cooperation will be a crucial ingredient.
La publication du Livre blanc sur la défense, la priorité donnée à la sécurité et la défense pour la prochaine présidence de l’Union européenne et le retour de la France dans l’Otan présentent une véritable occasion pour la France et l’UE d’adapter leurs capacités aux menaces du XXIe siècle. Les trois grandes décisions annoncées dans le Livre blanc vont toutes contribuer au renforcement de ces capacités. La priorité accordée, dans l’équilibre budgétaire, à l’équipement, l’entraînement et le renseignement amène la France à s’accorder avec les autres grandes puissances militaires de l’alliance occidentale, les États-Unis et le Royaume-Uni. Le fait de placer ces réformes dans un cadre européen est aussi bien la suite logique du Livre blanc de 1994 que la mise en application directe de toutes les leçons stratégiques tirées depuis la fin de la guerre froide, aussi bien en Europe que dans le reste du monde. Les nations européennes ne peuvent pas faire grand-chose lorsqu’elles sont seules ; ensemble, elles forment une masse critique essentielle. Le retour au commandement militaire intégré de l’Otan constitue autant une harmonisation, évidente et attendue, de l’aspect politique et pratique de la relation entre la France et l’Alliance, qu’un pas nécessaire vers la fin de la querelle destructrice existante entre Atlantistes et Européanistes. Bien sûr, la réalité n’est pas altérée par la seule publication d’un livre ni l’expression d’une ambition politique. Nous devons mener ces trois innovations majeures vers leurs conclusions logiques.
De la réaction à la pensée stratégique
L’une des contributions les plus importantes de ces innovations tient à l’attention portée à la pensée stratégique. La France a mis au point cette compétence durant ses trente ans d’expérience du Gaullisme qui l’obligèrent à se poser des questions difficiles sur l’état du monde et à apporter des réponses contraires à la pensée stratégique communément acceptée. En 1994, Henry Kissinger lui-même disait : « C’est en France que se trouve aujourd’hui la pensée stratégique la plus cohérente, créative et systématique en Europe » (1). Cependant, la France a rapidement perdu cette habitude dès la fin de la guerre froide. Elle a tenté de tirer les leçons de la guerre du Golfe dans les années 90 en modernisant et en professionnalisant son armée. En fait il ne s’agissait que d’une réaction à la douloureuse prise de conscience que ses forces conventionnelles n’étaient pas adaptées aux défis du monde de l’après-guerre froide ; notamment à cause du rôle traditionnel de la dissuasion nucléaire, qui inhibait toute imagination, toute réflexion stratégique. La mobilité, la force de projection et la logistique se révélaient dorénavant nécessaires. De même, l’UE n’a fait que réagir au changement historique occasionné par la chute du mur de Berlin lorsqu’elle a lancé la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) durant le sommet de Saint-Malo en 1998. La fin de la menace soviétique, le désengagement relatif des États-Unis de la scène européenne et la réapparition de l’instabilité au sein de l’Europe (guerre des Balkans) ont contraint les membres de l’UE à organiser leur capacité autonome. La PESD n’est pas l’invention inspirée d’hommes politiques. C’était la réaction nécessaire des Européens face aux changements apparus le 9 novembre 1989, rapidement suivis par ceux du 11 septembre 2001. Là encore, les premières mesures de la PESD n’étaient que des réactions aux événements qui touchaient l’Europe : le besoin urgent de développer des institutions, de créer une capacité militaire, de former des agents civils et de préparer des interventions rendues nécessaires par les crises. Cela ne représentait pas une vision stratégique concernant les nouveaux défis de l’Europe ni des moyens efficaces pour les affronter. La stratégie européenne de défense de décembre 2003 est la première tentative pour penser certaines questions stratégiques nées des chocs du 9 novembre 1989 et du 11 septembre 2001, ainsi que de l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003. Toutefois, ce document est davantage une description de l’environnement stratégique et une représentation du monde, des risques et des menaces, qu’une authentique stratégie.
La triple initiative française a réussi à donner une impulsion à la pensée stratégique européenne. Elle soulève des questions liées à la perception de la menace contemporaine, aux exigences du renseignement, à la recherche de l’efficacité maximale des ressources rares, à l’intégration de la sécurité interne et externe, au moyen le plus efficace d’interagir logiquement avec ses alliés et partenaires face aux défis diffus et multiformes de la mondialisation. Elle fournit également quelques premières réponses à ces questions. En bref, elle offre une perspective globale dans laquelle situer la politique de sécurité française et européenne et donne une direction en proposant des stratégies pour optimiser cette politique. Pour effectivement donner corps à cette promesse de pensée stratégique, la France doit continuer à prendre l’initiative dans de nombreux domaines et surtout être préparée à entrer dans des dialogues ouverts avec ses partenaires européens. Le diable, comme toujours, est dans les détails.
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