Intervention de M. Christian Malis lors de la table ronde du 4 juin 2009 organisée par le Comité d’études de défense nationale sur « La pensée stratégique en France », à l’occasion du 70e anniversaire de la revue Défense nationale et sécurité collective.
Prix d'honneur de la RDN 2010 - La renaissance de la pensée militaire française après la Seconde Guerre mondiale
The rebirth of French military thinking after the Second World War
Presentations given at a roundtable discussion on 4 June 2009, organized by the Committee for National Defence Studies (CEDN) on ‘Strategic thinking in France’. The occasion was the 70th anniversary of the journal Défense nationale et sécurité collective.
Comme le dit le général Poirier, ce sont les époques de rupture qui favorisent effervescence et renouveau dans le domaine de la réflexion, et la pensée militaire n’échappe pas à cette règle. La France avait déjà connu à cet égard des épisodes de renaissance intellectuelle : au XVIIIe siècle, et spécialement après la guerre de Sept Ans ; après 1870, à l’époque de Foch (dont un colloque récent soutenu par la Fondation Saint-Cyr a permis de redécouvrir l’action mais aussi l’héritage intellectuel). Périodes de rupture mais aussi suites d’une défaite, autre constante : le rôle de 1940 dans la renaissance intellectuelle d’après-guerre méritera d’être cerné de très près car il est multiforme.
Certains pourront s’étonner que l’on parle de « renaissance de la pensée militaire française » après la guerre, notamment pour la période 1945-1965 qui est l’objet de cette réflexion. Elle a en effet été recouverte d’un certain manteau d’ombre. C’est d’une part l’ombre rétrospective que projette sans doute sur cette période la glaciation intellectuelle de l’époque de la dissuasion, glaciation qui affecte davantage le débat et la discussion — Raymond Aron s’en plaint en 1975 dans un article publié dans la Revue de défense nationale (1) — que la pensée elle-même. Trois raisons à cette glaciation : orthodoxie nucléaire, conséquences de la guerre d’Algérie et du putsch sur la liberté d’expression, modification du processus de décision en matière de politique de défense sous la Ve République par rapport à la IVe. D’autre part, c’est l’effet de la violence des attaques du même Aron à l’encontre des penseurs militaires français en général (ainsi il s’en prend à Foch avec une injustice intellectuelle soulignée dans la thèse récente de Benoît Durieux), mais plus spécialement de Pierre Gallois et d’André Beaufre, avec lesquels il eut des différends intellectuels qui tournèrent à l’aigreur voire à l’inimitié personnelle : il éreinte Pierre Gallois dans Le Grand Débat paru en 1963 (« champion du monde du dogmatisme », « théoricien pour pays pauvre », etc.) et André Beaufre dans une annexe assassine de Penser la guerre, Clausewitz de 1976, à propos de l’ouvrage de Beaufre sur la guerre révolutionnaire.
Enfin, l’ombre de l’empire, avec l’essor spectaculaire de la pensée stratégique américaine. Les États-Unis deviennent brusquement la nouvelle métropole de la pensée militaire, cela pour au moins trois raisons : l’alliance contractée pendant la guerre, sur les questions de défense nationale, entre l’Université et l’État (le gouvernement américain embauche 8 000 universitaires à partir de 1942), alliance qui nous vaudra les fameux « intellectuels de défense », les « crânes d’œuf » de l’époque Kennedy ; l’avance technique américaine sur l’arme atomique qui lui donne toujours un temps d’avance dans la réflexion stratégique ; l’existence de laboratoires spécialisés dans la réflexion stratégique appliquée et ayant accès à la documentation classifiée : les fameux think tanks comme la Rand Corporation.
Il reste 89 % de l'article à lire
Plan de l'article