Dans une récente chronique, nous avons évoqué les réductions d'effectifs dans la coopération militaire française en Afrique. Cet article présente l'ensemble de la politique de notre pays dans ce domaine. L'auteur est officier dans l'armée camerounaise ; titulaire de nombreux diplômes dont celui de Saint-Cyr-Coëtquidan, il est membre fondateur du Centre d'analyse et de prospective géopolitique d'Afrique centrale. Cet article avait été rédigé avant les événement en Côte-d'Ivoire.
La nouvelle politique de coopération militaire de la France en Afrique
À la fin du XIXe siècle, la IIIe République chercha à rétablir la puissance de la France amoindrie par la défaite de la guerre de 1870. Cette volonté se traduisit par la conquête d’un vaste empire colonial dont l’Afrique noire faisait partie. La fin de la Seconde Guerre mondiale marque un tournant important dans la pensée militaire française. Épuisée par les deux conflits mondiaux, la France accepte la disparition de son empire colonial qui s’émancipe avec l’accession de nombre d’anciennes colonies à la souveraineté internationale dès 1958 ; l’indépendance de la Guinée déclenche le mouvement en Afrique noire. Cet après-guerre constitue une phase de transition caractérisée par l’évolution de la situation politique du continent africain. L’immobilisme politique français de cette époque s’accompagne paradoxalement, militairement, de changements importants, tant concernant la doctrine que l’implantation du dispositif en Afrique noire.
Dès 1945, le commandement français prend conscience de la nécessité d’adapter ses conceptions aux réalités de l’après-guerre. Cette attitude lui est imposée par l’évolution politique et sociale que connaît le continent africain, par l’importance stratégique qu’il revêt désormais dans la défense métropolitaine. Gaston Monnerville déclarait, le 25 mai 1945, devant l’Assemblée consultative, que « sans empire, la France ne serait aujourd’hui qu’un pays libéré. Grâce à son empire, la France est un pays vainqueur » (1) ; et grâce aux progrès techniques, notamment dans les domaines des transports, des communications, qui viennent modifier profondément les données stratégiques de base. Si traditionnellement la doctrine militaire française considérait cette partie du continent comme un réservoir de matières premières, d’hommes, et comme la clé de certaines positions sur les voies de communication impériales, ces notions seront nuancées par l’entrée du monde occidental dans ce qu’on appellera l’ère nucléaire et la guerre froide. En effet, l’empire français en Afrique noire, constitué essentiellement de l’Afrique équatoriale française (AEF) et de l’Afrique occidentale française (AOF), est non seulement un espace pour « tenir le rang » de la France dans le concert des nations selon le général de Gaulle, mais aussi une profondeur stratégique indispensable dans la lutte contre la poussée communiste. Les autorités militaires françaises seront amenées, en conséquence, à repenser les données de base de la stratégie afin de les adapter aux nouvelles exigences de l’heure. Cette réflexion ne conduira toutefois pas à une reconversion de la politique militaire traditionnelle. Les principes fondamentaux se maintiennent ; tout au plus pourrait-on parler d’une adaptation plutôt que d’un changement de la doctrine.
Ainsi, le problème qui se pose désormais à la métropole ne consistera pas seulement à utiliser au mieux les ressources que lui offre l’Afrique en tant que réservoir de matières premières ou comme plate-forme stratégique, mais, et surtout, à conserver intacte et à maintenir la stabilité politique et sociale du continent. En d’autres termes, les fondements de base de la stratégie militaire française reposent sur le maintien de la sécurité interne. Celle-ci conditionne toute l’organisation stratégique de l’ensemble du continent, et par voie de conséquence, la politique militaire générale de la France. L’Afrique ne peut fournir à la métropole un appui permanent économiquement et militairement, en temps normal ou dans la perspective d’un nouveau conflit majeur, que si l’évolution politique et sociale qu’elle subit est orientée dans un sens favorable. Il s’agit pour le gouvernement français de prendre un certain nombre de mesures propres à assurer et à maintenir l’intégrité interne du continent, c’est-à-dire, dans la pratique, la stabilité politique et sociale. Il convient de préparer, militairement, une mise en condition stratégique du continent africain, en réalisant et en développant une infrastructure militaire fondée sur des zones de communications et des bases d’appui qui permettront de satisfaire les besoins logistiques et opérationnels éventuels.
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