« La menace communiste sur l’Asie du Sud-Est ne réside pas tant dans l’agression du dehors que dans des mouvements insurrectionnels. L’Indonésie en sera la prochaine victime » écrivait en juillet 1954 un journal anglais. Au croisement des Océans Indien et Pacifique, l’Indonésie surveille, de Sumatra aux confins de l’Australie, les carrefours de trois continents. Sa ceinture d’émeraude est longue de trois mille milles et sa superficie égale à celle des États-Unis. Ses trois mille îles et îlots constituent la région la plus riche du globe. Au II^e siècle de notre ère, Ptolémée parle déjà des fabuleux trésors de ces terres au-delà de l’Inde. Vaste comptoir de matières premières stratégiques et autres, elle fournit près des deux cinquièmes du caoutchouc, des neuf dixièmes de la quinine et de l’huile de palme et d’un sixième de l’étain consommés dans le monde. Sa conquête par les États totalitaires marquerait un pas décisif vers leur domination mondiale.

Le jour où Pékin disposera de forces navales et aériennes suffisantes, l’importance stratégique de l’Insulinde apparaîtra comme décisive. Sixième puissance du monde par le nombre de ses habitants (près de 80 millions), l’Indonésie semble cependant une proie facile : sa population, en grande majorité malaise — mélange de sang mongol et caucasien — bien que musulmane pour les neuf dixièmes, n’a pas encore prouvé ses qualités guerrières. Sous le revêtement séculaire de l’Islam apparaissent des souvenirs de l’hindouisme et des sectes spiritualistes du bouddhisme. Dans la poésie, dans la danse et le drame religieux, pullulent les héros du Sakountala et du Mahabharata. L’on y perçoit des façons de sentir bien plus voisines de l’âme indonésienne que de celles qu’inspire la foi conquérante coranique.

Artiste à l’esprit vif et souple, aux charmes prenants, grand navigateur et bon cultivateur, le Malais témoigne de l’instabilité du velléitaire. Vindicatif, assez cruel à l’occasion, il est fils de ces tropiques où le seul fait de vivre coûte un notable effort. Son indolence, à Java notamment, et un certain complexe d’infériorité en font une victime désignée des doctrines subversives.