Avec l’évolution de la pensée stratégique il convient d’aborder aujourd’hui le conflit dans une approche plus globale qu’auparavant. Les conflits actuels n’étant plus le théâtre d’affrontements entre deux nations, la stratégie et la tactique évoluent face à une « hybridation » des modes d’actions.
La représentation pour penser la complexité (T 4)
Nos moyens d’investigation et d’action laissent loin derrière eux nos moyens de représentation et de compréhension ; cette sentence de Paul Valéry, exprimée en 1944 (1), reflète assez bien la complexité dans laquelle évolue la réflexion stratégique aujourd’hui. Certes, cette dernière bénéficie des formidables outils d’acquisition de l’information, de procédures de planification rodées et de principes d’action éprouvés… mais elle peine à saisir, appréhender, penser la complexité des conflits en cours et à venir. L’utilisation de la modélisation systémique par la symbolisation du « mobile » dont l’élaboration vise, comme le précisait Alexander Calder, à « rendre visible », à « comprendre en recréant » peut, selon nous, permettre de dessiner à dessein cette complexité : la multiplicité des acteurs et des paramètres, leurs relations et interactions et un ensemble d’équilibres évolutifs. Dans le contexte actuel des opérations, il apparaît nécessaire de dépasser la définition usuelle du centre de gravité limitée à la seule notion de source de puissance pour l’enrichir des notions d’équilibre, de mouvement et de culture.
Contexte des opérations : symétrie, asymétrie, forces hybrides.
Durant la guerre d’Indochine (1946-1954), la journaliste Brigitte Friang fut stupéfaite de la réponse d’un officier d’état-major français, lorsqu’elle lui avait demandé ce qu’il pensait du général Giap, à l’époque chef de la guérilla Viet-Minh (2). Cette réponse fut : « Comment voulez-vous qu’il gagne ? Il n’a même pas fait l’école de guerre ! ». Giap qui avait lu Clausewitz et Mao, savait parfaitement que chaque adversaire faisait la loi de l’autre et qu’une stratégie alternative de contournement peut s’avérer payante dans les premiers temps d’une confrontation avec une armée traditionnelle. Dans l’histoire de la guerre, ces stratégies alternatives sont nombreuses ; elles sont souvent efficaces car elles perturbent la représentation et la compréhension de l’adversaire, surtout lorsque celui-ci demeure figé sur ses propres règles et ses outils stratégiques périmés.
Le cas du Hezbollah libanais reste emblématique. Les choix politiques du parti de Dieu sont clairs (3) : fonder un État islamique, mener la lutte de libération du territoire libanais, s’inscrire dans les voies religieuses du Wilâyat al-Faqîh – actuellement le guide suprême de la révolution iranienne. Il n’y a pas réellement d’asymétrie dans ces objectifs. Pour remplir ces objectifs politiques, l’organisation du parti de Dieu a été conçue comme hiérarchisée et globale, la lutte armée n’étant qu’une partie des moyens politiques d’atteindre son but. Ses forces militaires sont conçues pour la clandestinité et ses moyens de combats sont adaptés à la nécessité de cacher et de transporter l’armement. Le choix a été fait d’emblée de mettre sur pied une force non régulière pour garder Israël en état d’alerte permanente, pour effrayer les soldats ennemis, empêcher l’adversaire de prendre pied sur le terrain et libérer la terre libanaise. Dans ce cas, la clandestinité est une forme de conflit assumée par manque de moyens (4) mais qui n’est pas synonyme d’asymétrie. Lors des combats, les forces de la branche armée du Hezbollah ont déjà montré qu’elles étaient capables de combattre de manière irrégulière dans les années 1980 et 1990. Toutefois, elles ont aussi démontré leur capacité à combattre de manière régulière, lors de la guerre des trente-trois jours en 2006, selon une tactique proche de celle des opérations distribuées ou de la techno-guérilla (5). Ce qui conduit à rappeler que tout conflit est d’abord politique et que la notion d’asymétrie se rapporte aux voies, un peu aux moyens mais finalement très peu aux objectifs.
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