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  • Parmi les livres – Ukraine, Russie et Occident (T 1729)

Parmi les livres – Ukraine, Russie et Occident (T 1729)

Eugène Berg, « Parmi les livres – Ukraine, Russie et Occident (T 1729)  », RDN, 21 juillet 2025 - 8 pages

La guerre en Ukraine, entrée dans sa troisième année, a pris une dimension géopolitique et civilisationnelle, opposant la Russie de Poutine aux démocraties. Plusieurs ouvrages récents analysent ce conflit sous divers angles historiques, politiques et sociaux. Ils explorent les relations complexes entre la Russie et l'Ukraine, la répression interne en Russie, et les dynamiques de pouvoir en Ukraine. Dans ces ouvrages présentés par l'ambassadeur Eugène Berg, la guerre en Ukraine est perçue comme un conflit global, avec des implications profondes pour l'Europe et le monde.

Among the Books —Ukraine, Russia and West

The war in Ukraine, now in its third year, has taken on geopolitical and civilizational dimensions, pitting Putin's Russia against democracies. Several recent books analyze this conflict from various historical, political, and social perspectives. They explore the complex relations between Russia and Ukraine, internal repression in Russia, and power dynamics in Ukraine. In these works, presented by Ambassador Eugene Berg, the war in Ukraine is viewed as a global conflict with profound implications for Europe and the world.

Manifestement après la mort d’Alexeï Navalny (16 février 2024), la chute d’Avdiivka dans l’oblast de Donetsk (17 février) et la réunion de Paris (26 février) des vingt-et-un chefs d’État et de gouvernement des pays apportant une aide à l’Ukraine, la guerre, qui vient d’entrer dans sa troisième année, a pris une nouvelle dimension. Elle n’est plus, ce qu’elle n’a jamais réellement été, un combat entre deux peuples supposés pour Moscou être frères, mais apparaît comme un conflit géopolitique, civilisationnel et stratégique affrontant la Russie de Poutine aux démocraties. On ne s’étonnera donc pas de la multitude des ouvrages qui se succèdent pour tenter d’élucider les nombreuses facettes de cet affrontement global.

Mémoires russes brisées

Fig1La troisième édition de l’Atlas historique d’Ivan III de la Russie à Vladimir Poutine (Autrement, 2024, 96 pages) de François-Xavier Nérard et Marie-Pierre Rey (1) permet de mieux comprendre les aspects historiques et conflits de cette vieille relation Russie-Ukraine, deux branches issues d’un même tronc (la Rus’ de Kiev), qui ont connu des sorts disparates, se sont différenciées, séparées, opposées avant d’entrer en violente collision. Le Khanat de Crimée a incendié Moscou (1571) ; les Suédois ont pris Novogorod (1611-1617) ; les Polonais, Smolensk (1618) ; Napoléon, Moscou (1812) ; Hitler, la Crimée et une partie du Caucase (1941) ; autant de souvenirs qui ne se sont jamais vraiment effacés ou ont été plutôt instrumentalisés par le pouvoir qu’il ait été celui des tsars, des bolcheviques, ou celui de Poutine, qui se doit d’être fort pour protéger sa population, empêcher sa dispersion ou étouffer son aspiration à la liberté ou à l’autonomie. C’est ce fil historique que prétend incarner Poutine et avec lequel il a enchaîné son peuple.

Fig2La dissolution, de l’organisation non gouvernementale (ONG) Mémorial International, le 28 décem-bre 2021, est passée totalement inaperçue, dans le fracas de la guerre annoncée. Or, la plus ancienne et la plus éminente ONG russe, fondée en 1989, et dont le premier président avait été le grand physicien et dissident soviétique, Prix Nobel de la paix, Andreï Sakharov, « avait représenté une étape décisive dans le contrôle de la société civile russe, le musellement de toute voix dissidente et le verrouillage définitif du récit national. Sa dissolution a constitué le prélude à la guerre ». Dans Mémorial face à l’oppression russe, l’ancien journaliste en Russie Étienne Bouche en décrit la genèse, l’œuvre, si méritoire, ainsi que les nombreux obstacles auxquels elle s’est confrontée. Ce faisant il nous plonge dans l’histoire de l’insoumission soviétique apparue au début des années 1960, qui a lutté contre la dictature communiste. Une épopée que l’on croyait reléguée dans un lointain passé, mais qui resurgit avec une violence redoublée. Afin de légitimer ce nouveau récit national, le régime a inscrit les éléments fondamentaux dans la Constitution, révisée en 2020. Il a édicté une série de lois mémorielles, la plus notoire étant l’article 354. 1 du Code pénal de la Fédération de Russie qui criminalise la « négation ou la réhabilitation du nazisme », de manière très large, car sont criminalisés la « transmission d’informations fausses sur les activités de l’Union soviétique durant la Seconde Guerre mondiale », la « diffusion de renseignements irrespectueux sur les faits de gloire militaire de la Russie » et « le dénigrement des anciens combattants de la Grande Guerre patriotique ». C’est donc bien à une inertie de la peur que l’on a affaire. C’est parce que la population russe ne croit en rien, que l’idéologie d’État a pu se loger dans les consciences. Elle apportait des réponses : en désignant les responsables de son malheur – tantôt les oligarques, quelquefois l’intelligentsia, le plus souvent l’Occident et justifiait son ressentiment.

La Fascination russe

Fig3Rédactrice en chef de l'édition en langue russe de Radio France internationale (RFI), Elsa Vidal revient sur une question guère nouvelle, celle de la fascination que n’a cessé d’exercer la Russie qu’elle ait été celle des tsars, de la « lumière venant de l’Est » ou de l’actuelle sous la houlette de « l’homme fort Poutine ». Avant-hier, aux beaux temps de l’alliance franco-russe (1891-1917) il s’agissait de disposer d’un levier vis-à-vis de l’Allemagne wilhelmienne, d’exister par rapport aux Anglo-Saxons (voyage du général de Gaulle à Moscou, décembre 1944), puis s’opposer à la politique des blocs, en se retirant en 1966 de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (Otan), mais qu’en est-il aujourd’hui ?

En 2003, le président français Jacques Chirac, le chancelier allemand Gerhard Schröder et Vladimir Poutine s’étaient réunis à Compiègne pour marquer leur opposition à l’intervention américaine en Irak. Néanmoins, à l’heure actuelle depuis le discours de Poutine à Munich de 2007 (2), de la guerre en Géorgie de 2008, puis de la guerre en Ukraine, les circonstances ont radicalement changé. Le réalisme, souvent revendiqué en France par ceux que l’on appelle les « gaullo-mitterrandistes », qui professent une fidélité à l’héritage du général de Gaulle est-il toujours de mise ? Les réalistes s’opposent traditionnellement aux « atlantistes », qui font de l’alliance avec les États-Unis la priorité de notre politique étrangère. En particulier, après la disparition de l’URSS, la disparition de l’Otan à la suite de la dissolution de l’alliance militaire du bloc de l’Est (le Pacte de Varsovie) aurait pu envoyer un signal de confiance. Cette époque n’est plus et l’opposition réalistes–atlantistes (néoconservateurs) n’est également plus l’outil pertinent pour s’en saisir, plaide l’auteure.

À commencer par le fait que cela ne nous permet pas de connaître les intentions des dirigeants russes – ni des multiples groupes qui les composent –, ni les évolutions de la société et de l’opinion russes, car le régime russe craint la contagion démocratique. À défaut d’avoir fait de la Russie un pôle attractif pour ses citoyens et ceux de sa périphérie, il a fait de nos démocraties l’ennemi. En cela, il a pris en otage sa propre population et, pour se maintenir, il est forcé d’approfondir son hostilité contre l’Occident et de multiplier ses attaques. Non pas parce que nous sommes décadents, faibles et mauvais, mais parce que le modèle démocratique fonctionne et attire. En revanche, si nous nous arrachons à notre fascination pour cette Russie fictive, nous pourrons enfin nous affranchir du poids du passé et saisir les défis que le monde actuel pose à notre pays. C’est seulement à partir de là que nous serons en situation de tirer parti de nos atouts, mais aussi de nos limites et de jouer, enfin, le rôle qui peut être le nôtre. Ces nobles paroles ne tombent pas dans le vide. Depuis la mort d’Alexeï Navalny et les paroles d’Emmanuel Macron sur l’« envoi de troupes au sol » en Ukraine, elles revêtent une réelle signification.

L’opération spéciale, l’Ukraine aujourd’hui

Fig4Paul Gogo, qui écrit dans Ouest-France, a effectué de nombreux reportages sur le terrain depuis 2014. Il a assisté à bien des événements marquants de la guerre comme l’offensive de l’armée ukrainienne lancée le 26 mai 2014 pour reprendre l’aéroport de Donetsk, puis il a été correspondant à Moscou en 2017. Dans Opération spéciale. Dix ans de guerre entre Russie et Ukraine, vus et vécus depuis le Donbass, il dépeint l’état de paranoïa dans lequel la Russie et ses dirigeants se sont enfermés à partir de 2020 du fait de la pandémie de  Covid-19 – une perte de relation avec le reste du monde qui explique en partie l’arrivée de la guerre avec en toile de fond la modification de la Constitution en juillet et la tentative d’empoisonnement de Navalny en août. Le dernier tiers de l’ouvrage est consacré à la guerre déclenchée le 24 février 2022, avec des descriptions pointues des hostilités et notamment du drame de Marioupol.

Fig5Si les écrits sur la guerre sont légion et souvent répétitifs, en revanche bien rares sont ceux portant sur l’Ukraine actuelle, à savoir l’articulation entre le personnel politique et les divers clans des oligarques. Dans L’Ukraine, la République et les oligarques, Comprendre le système ukrainien, le journaliste Sébastien Gobert montre que l’œuvre de construction d’un État ukrainien n’a pas été accomplie. L’État est resté faible. Les partis politiques peu structurés, comme ce fut le cas en Russie avec « Russie unie » le parti gouvernemental. La compétition entre les clans régionaux (ceux de Lviv, de Kyiv, de Kharkiv, de Donetsk), et la lutte entre les différents oligarques, désireux de maintenir leurs positions et de faire en sorte qu’aucun d’entre eux n’émerge et ne recueille seul les faveurs du pouvoir, n’ont jamais cessé. L’absence d’un État neutre et arbitre a donné prise à la Russie sur les orientations du pays. D’autant plus que Gazprom détenait le puissant levier du gaz : seule la Russie disposait d’une station, permettant de mesurer les flux de gaz, destinés pour partie au marché intérieur ukrainien, la plus grande partie ne faisant que transiter vers les pays européens. Cette « seconde indépendance de l’Ukraine » refléta les tensions institutionnelles, régionales, économiques, stratégiques et les conflits entre oligarques qui bouillaient depuis l’indépendance. 

Sur le plan institutionnel, le conflit entre président, Premier ministre et président de la Rada (Conseil suprême d’Ukraine) n’a jamais cessé. L’équilibre des pouvoirs avec une justice indépendante n’a pas été assuré. Pourtant, cette Révolution orange vantée de bien des côtés n’a pas abouti à l’émergence de la « Troisième République » ukrainienne, après la Première République populaire de 1918-1919 et la Seconde, celle de l’indépendance, après 1991. Pour ce faire, il eût fallu refondre l’intégralité du système politique, repenser le système judiciaire et entamer la « désoligarquisation » du pays. Il aurait fallu aussi passer à un système de valeurs non plus calqué sur la tradition moscovite ou kyivienne, mais bruxelloise. La Rada adopta ce même mois la loi « anti-oligarques ». Ce texte tant attendu définissait le statut d’oligarque sur la base de quatre critères : l’influence sur les médias de masse ; la possession d’une entreprise en situation de monopole ; la participation à la vie politique ; une fortune dépassant les 89 millions de dollars (77 millions d’euros). Les personnes qui rempliront ces critères seront astreintes à déclarer publiquement tous leurs biens et subiront l’interdiction de financer des partis politiques, de rencontrer en intimité de hauts fonctionnaires et de participer à des privatisations. Si la guerre a considérablement réduit la richesse des oligarques dont la fortune a baissé de 20 milliards de dollars et encore plus diminué leur influence politique, elle ne l’a pas pour autant éliminé comme elle n’a pas par enchantement supprimé la corruption. Une série de scandales ont éclaté lors du deuxième semestre 2022. Le soutien de Zelensky lors de sa campagne de 2019, Ihor Kolomoïsky a été déchu de sa nationalité en juillet 2022. Divers limogeages sont intervenus à la direction des services (SBU), comme des instances judiciaires, avec l’éviction du procureur général, mais surtout dans l’armée, organe le plus sensible. Il faut savoir gré à Sébastien Gobert, installé dans le pays depuis 2011, d’avoir livré un tableau aussi détaillé de l’intérieur et d’avoir synthétisé l’évolution intervenue depuis deux ans. Il est vrai que le pouvoir de Volodymyr Zelensky devient de plus en plus concentré, voire solitaire et que le communicant qu’il est resté se mêle de plus en plus de la conduite des opérations militaires. Cependant, la démocratie ukrainienne reste vivante et la société civile demeure vigilante. En se rapprochant de l’Union européenne (UE), l’Ukraine doit refléter ces valeurs qui constituent la raison d’être de notre Europe.

Fig6Dans La guerre en Ukraine, Jacques Hogard, ancien commandant de la Légion devenu consultant, jette – c’est le sous-titre de son livre – un « regard critique sur les causes d’une tragédie ». S’appuyant largement sur des citations émanant des critiques de l’engagement européen et français en faveur de l’Ukraine, notamment du président hongrois Viktor Orban, il plaide « tant qu’il est encore temps » pour l’arrêt des hostilités. Ce qui implique un arrêt du soutien militaire à l’Ukraine, sa neutralisation immédiate et un retour sur l’engagement pris par les Européens de lui ouvrir les portes de l’adhésion à l’UE. En somme c’est l’« ami américain » qui est le seul bénéficiaire de cette tragédie qui a poussé à la guerre…

Correspondant de Time Magazine, Simon Shuster est le seul correspondant étranger qui a été immergé de longs mois dans l’intimité de Volodymyr Zelensky qu’il avait interviewé au début de l’année 2019 avant son élection. Son récit serré, vivant, documenté au titre évocateur Nous vaincrons qui garde ses distances s’avère un document précieux sur le fonctionnement du pouvoir à Kyiv avant et après le début de la guerre. C’est ainsi qu’après avoir côtoyé si longtemps Zelensky, Simon Shuster avoue n’être pas parvenu à percer sa véritable personnalité. Il se demande constamment si celui-ci n’a pas succombé à l’« exercice solitaire du pouvoir ». Il note combien le choc de la guerre l’a métamorphosé en quelques semaines : « sa peur de l’indignité a été plus forte que la peur de la mort ». La description des premières semaines de la guerre constitue à cet égard un morceau d’anthologie. En dehors du Président et de son entourage, le lecteur trouvera des portraits fouillés des généraux Valery Zaloujny et d’Oleksandr Syrsky, ce dernier ayant été également pressenti en 2021 à prendre la tête de l’armée ukrainienne.

Fig7Au-delà de ces aspects psychologiques, ce qui importe dans cet ouvrage est le suivi, mois par mois, de la conduite des opérations militaires où, à chaque étape, des décisions stratégiques se sont imposées. C’est ainsi qu’en septembre 2022 Volodymyr Zelensky a confié au seul Syrsky la reprise des régions du Nord-Est autour de Kharkiv, alors que Zaloujny voulait se concentrer sur le sud, ce qui a retardé, sinon entravé la si attendue contre-offensive lancée début juin 2023 qui s’est soldée par un échec. Cette relation s’arrête à l’été 2023, c’est-à-dire à un moment où tous les espoirs étaient permis, ce qui n’est plus, on le sait bien, le cas. À ce moment, le président ukrainien savait que son action au service de son pays – à savoir la détacher définitivement de l’orbite russe et opérer une mutation en profondeur de sa société – était loin d’être terminée. Depuis, le chemin à parcourir est devenu plus long et bien plus douloureux.

Fig8Anne Nivat, reporter de guerre qui s’est aiguisée les dents lors de la seconde guerre de Tchétchénie (1999-2000), a résidé dix ans en Russie et s’est rendue à de nombreuses reprises en Ukraine. Elle était particulièrement bien placée pour rendre compte de la guerre telle qu’elle est vécue et perçue des deux côtés. Quand tout est décrédibilisé, le reportage est ce qui reste, écrit-elle dans La haine et le déni, avec les Ukrainiens et les Russes dans la guerre. Elle sait se glisser dans la peau de ses interlocuteurs et décrire leurs états d’âme, leurs certitudes ou leurs doutes, mais aussi leurs espoirs. « Nous, on fait la guerre, pendant que vous en êtes encore à faire de la politique. » Ce cri lancé par l’immense majorité des Ukrainiens mesure bien le fossé émotionnel qui nous sépare de ce peuple martyr, et combien la guerre a été perçue en Europe depuis 1945 comme quelque chose d’extérieur, d’étranger qui ne nous touchait pas. Relatant l’expérience de multiples combattants, elle montre combien l’affrontement galvanise, mais rend indifférent à tout et dissout aussi les familles. Anne Nivat a recueilli de nombreux témoignages dans plusieurs coins de la Russie de Kaliningrad, à Oulan-Oudé en Bouriatie (région qui fournit un fort contingent de victimes). En dehors de grandes villes, Moscou, Saint-Pétersbourg, et quelques villes millionnaires russes comme Novossibirsk, Ekaterinbourg, Nijni-Novgorog, Kazan, Tcheliabinsk, Omsk, où les jeunes urbains privilégiés restent « protégés », c’est dans la province russe profonde, la gloubinka, que le spectre de la guerre croît. Pour bien des Russes, dont la seule source d’information émane de sources officielles, et qui ne se sont jamais sentis comme des Européens à part entière, même s’ils ont ressenti un engouement pour leur mode de vie, la vérité est claire comme le cristal : « Si on ne gagne pas, on deviendra l’esclave de l’Occident ». Parmi cette majorité de Russes patriotes, qui suivent les mots d’ordre et les explications émanant du centre, émergent tout de même quelques figures d’opposants, des femmes surtout, juristes, avocats, professeurs, qui se sont élevés contre l’embrigadement des leurs. Beaucoup d’« exilés de l’intérieur » comme on formulait du temps de l’URSS, disent survivre comme en prison, voilà bien la preuve vive que la Russie en est revenue soixante-dix ans en arrière aux dernières années de Staline. Attend-elle un nouveau dégel ? Aperçoit-elle la fin de la catastrophe ? Sombre-t-elle dans le pessimisme au point de ne plus désirer d’enfants ? Anne Nivat prend le pouls de ces deux peuples qui ont vécu côte à côte pendant des siècles et se démolissent, le grand détruisant le plus petit, plutôt que de l’observer lui échapper. On s’immerge peu à peu dans le conflit à l’écoute de tant d’âmes brisées, qui ne comprennent pas toujours ils en sont réellement. Ses interlocuteurs ne voient pas quelle paix pourrait sortir de l’affrontement actuel appelé à durer et auquel on s’accommode faute de mieux. Il est difficile de regarder sans juger, et on sait bien que les émotions nous faussent la perception. C’est bien là une des spécificités de cette guerre qui a frappé à notre porte, à deux heures et demie de vol de chez nous.

Poutine contre la France

Fig9L’ouvrage de Patrick Forestier revêt tout son sens depuis les paroles prononcées par le président Macron à l’issue de la réunion du 26 février de Paris. L’auteur, qui couvre l’actualité internationale depuis quatre décennies, montre, multiples exemples à l’appui, que pour la Russie, la France, après les États-Unis, est devenue l’ennemi principal. On le voit d’abord par l’intensité des activités d’espionnage, d’infiltration, de cyber-opérations et de manipulation. Est-ce un hasard si les révélations de renseignement au profit de l’URSS refont surface et frappent par leur ampleur, leur durée et leurs répercussions ? Patrick Forestier y dédie un copieux chapitre. Toutefois, le cœur de son livre est consacré à la campagne de déstabilisation et d’élimination de la présence française en Afrique. Ayant été envoyé spécial de Paris Match en mars 2011 à Benghazi, il a pu se rendre compte combien le renversement du foutraque colonel Kadhafi a marqué le début du chaos. Le pillage des arsenaux libyens a armé les rébellions au Sahel. Quant à Dmitri Medvedev, alors Président russe qui ne s’est pas opposé à la décision du Conseil de sécurité autorisant l’intervention franco-britannique, il ne cherche depuis qu’à se racheter de cette faiblesse en adoptant une attitude belliciste extrême au sujet de l’Ukraine, espérant par-là rester dans la course à la succession de Poutine.

En revenant à l’Ukraine, si l’issue de la guerre reste inconnue, Patrick Forestier est convaincu qu’en cas de défaite de Kyiv, Vladimir Poutine ne s’arrêtera pas là. Les notions de « puissance d’équilibre » et d’« autonomie stratégique » ne sont pas comprises par les partenaires de la France. L’Ukraine n’est qu’une étape. Cependant, le combat de l’Occident pour l’indépendance, la liberté et la démocratie n’est pas perdu, même si celui-ci se heurte à une sorte d’alliance plus ou moins formelle de la Russie orthodoxe, avec la Chine et la Corée du Nord, marxistes et athées, et l’Iran, cette théocratie religieuse belliqueuse, ce que je nomme pour ma part le « nouvel empire mongol ». ♦


(1) François-Xavier Nérard est un maître de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialisé en histoire sociale de l’Union soviétique. Marie-Pierre Rey est professeur d’histoire russe et soviétique à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et directrice du Centre de recherches en histoire des Slaves, de l’Institut Pierre Renouvin.
(2) Dont des extraits ont été reproduits dans la RDN n° 697 de mai 2007 (https://www.defnat.com/).

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