La conférence de l’OSCE « Helsinki +50 » avait pour but de commémorer le 50e anniversaire de l’Acte final d’Helsinki. Organisée par la présidence en exercice finlandaise de l’OSCE, le défi état d’éviter d’offrir une tribune à la Russie pour défendre ses positions relatives à la guerre qu’elle mène en Ukraine tout en ouvrant les discussions sur le devenir de l’organisation qui est mise à mal par les violations, principalement russes, de l’Acte final d’Helsinki. Limitée dans ses ambitions, cette conférence n’a pas produit de résultats tangibles. Seule initiative qui aurait pu être lancée dans un autre contexte, la présidence a mis en place un fonds de financements volontaires pour aider au fonctionnement de l’OSCE dont le budget normal est entravé par certains États.
Helsinki +50 : Esprit, es-tu là ? (T 1745)
Helsinki +50 : Is There Anybody There?
The OSCE "Helsinki +50" conference aimed to commemorate the 50th anniversary of the Helsinki Final Act. Organized by the Finnish Chairmanship-in-Office of the OSCE, the challenge was to avoid providing a platform for Russia to defend its positions regarding the war it is waging in Ukraine while opening discussions on the future of the organization, which is undermined by violations, mainly by Russia, of the Helsinki Final Act. Limited in its ambitions, this conference failed to produce tangible results. The only initiative that could have been launched in a different context was the Chairmanship's establishment of a voluntary funding fund to assist in the operation of the OSCE, whose normal budget is hampered by certain states.
La présidence en exercice finlandaise de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a organisé, le 31 juillet 2025, à Helsinki la conférence « Helsinki +50, Respecting the Legacy, Preparing for the Future » (1). Cet événement international avait pour but de commémorer, à défaut de célébrer, le cinquantième anniversaire de la signature de l’Acte final d’Helsinki, du 1er août 1975, un document unique et fondateur de ce qui allait devenir l’OSCE (2).
La conférence a eu lieu dans la salle historique (Finlandia Hall) où les chefs d’État et de gouvernement des 35 pays parties à la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) avaient alors apposé leur signature sur le document final dont la Finlande, passée depuis du statut de neutralité à celui de membre de l’Otan, devenait le dépositaire. Il s’agissait d’un événement proposé, conduit et financé par la présidence et non d’une réunion OSCE stricto sensu.
Il est peu de dire que ce rassemblement n’a pas déclenché un enthousiasme débordant et que l’attention limitée qu’il a attirée en est rapidement retombée.
À l’époque de l’adoption de l’Acte final, les relations internationales, Est-Ouest pour l’essentiel, vivaient un moment favorable de détente hors de tout affrontement significatif. Un état d’esprit ouvert et des intérêts respectifs bien compris avaient alors présidé à l’acquiescement de cet insigne accord. Ainsi est-il d’usage de se référer, non sans nostalgie, à l’« Esprit d’Helsinki ». Cinquante ans ont passé et, de la fin de la guerre froide aux attaques terroristes aux États-Unis de 2001 et à l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, beaucoup d’éléments relatifs à la sécurité de l’espace euro-atlantique et eurasiatique ont été bouleversés.
Le corps de l’Acte final d’Helsinki est constitué par le Décalogue dont les dix principes sont censés guider et régir les relations entre les États signataires ; toutefois, le document n’est pas juridiquement liant. Ces principes ont été régulièrement ignorés par des États participants et leurs violations ne cessent de s’aggraver.
Dès lors, est-il toujours approprié, justifié ou opportun d’invoquer l’esprit d’Helsinki ?
* * *
La conférence a rassemblé plus d’un millier de participants (dont deux Russes et trois Biélorusses), venus des 57 États participants ainsi que d’organisations internationales et nationales, gouvernementales ou non. Dans un contexte différent, cette conférence aurait pu se tenir en tant que sommet ministériel comme cela avait été envisagé en 2021 ; le dernier sommet est celui d’Astana en 2010. Les circonstances en ont décidé autrement et la présidence finlandaise de l’OSCE a su opportunément adopter un autre format.
Après une session d’ouverture réservée aux intervenants de haut niveau, quatre sessions étaient orientées sur les thèmes suivants : respecter (comment renforcer le respect des principes d’une sécurité européenne), répondre (comment les États et la société civile peuvent répondre aux menaces sur la paix, les droits de l’homme et la démocratie), préparer (quelles leçons tirer des 50 ans passés pour les 50 ans à venir) et principes en action (impact de l’OSCE et du fonds créé par la présidence). Les déclarations convenues se sont enchaînées sans surprises au cours d’une journée où le défi des intervenants consistait principalement à trouver d’autres phrases et mots pour énoncer arguments et postures, déjà entendus tant de fois. Aucune prise de position ferme et forte ne s’est manifestée sur le rôle futur de l’OSCE mais les rappels d’usage sur la congruence de sa fonction et les continuelles ruminations sur les inefficacités structurelles de l’organisation n’ont pas manqué. Tel un serpent de mer, la question du mode de décision par consensus est une nouvelle fois apparue ; le double discours est, à cet égard, consternant. Encensé comme un élément de prise de décision politique fiable et solide quand tout va bien, il est aussitôt décrié et vilipendé dès qu’un problème majeur surgit. Pour certains, il conviendrait d’adapter les règles du jeu en fonction des phases de celui-ci et de qui joue quoi. Un autre sujet pendant et récurrent, la personnalité juridique, a été abordé.
La société civile, par le biais de nombreuses organisations non gouvernementales, était largement représentée. Cette présence a été critiquée notamment par la Biélorussie qui y voit un dévoiement et un détournement de l’OSCE par rapport à sa mission première relative à la sécurité (3). Cette critique, certainement exagérée, n’est pas sans fondement ; ces organisations participaient à la réunion pour promouvoir leur secteur d’activité au détriment, sans doute involontaire, d’une vision générale des problématiques d’ensemble. En effet, il est notoire que la promotion d’intérêts particuliers provoque souvent des clivages contre-productifs.
Les observateurs auront remarqué que l’Union européenne n’était pas représentée à la conférence par un haut responsable mais seulement par son ambassadeur auprès de l’OSCE à Vienne. Cette absence mérite d’être soulignée car, en dehors de toute autre interprétation possible, elle marque une distance entre les deux organisations et le fait que l’OSCE ne peut (et ne veut ?) être considérée comme une extrapolation de l’UE qui ne souhaite pas lui être trop étroitement associée. La Russie aura bien noté cette absence ; elle a adressé, en guise de bonne compréhension, deux missiles dans le voisinage direct de la délégation de l’UE à Kyiv le 28 août suivant (4).
En clôturant la conférence, la présidence finlandaise de l’OSCE n’a pas été avare en félicitations et remerciements tout en soulignant l’importance de l’événement et la richesse des contributions. Elle a mis l’accent sur trois impératifs pour l’OSCE : une vision pour le futur ; un engagement de tous dans la discussion ; et des moyens pour traduire la vision en action (5). Ce dernier point sera le plus facile à réaliser (infra). Les deux premiers sont étroitement liés et interdépendants : une vision pour le futur ne peut être définie que si tous les États expriment leurs approches et si une synthèse peut se dégager. La Russie doit être activement associée à ce processus sauf à ce qu’il apparaisse comme un pur exercice de style ou une discussion de coterie.
Le secrétaire général de l’OSCE a fort justement souligné que l’important, aujourd’hui, pour l’organisation, est davantage les 50 ans à venir que ceux passés. La priorité est donc de terminer les guerres et de se recentrer sur les principes fondamentaux d’Helsinki (6).
La présidence de l’OSCE a saisi l’opportunité de cette conférence pour lancer un fonds spécial destiné à pallier les difficultés budgétaires rencontrées par l’organisation, aucun budget unifié (commun) n’ayant pu être adopté depuis 2021 (7). Bien que louable, cette initiative confirme le travers pris par l’OSCE depuis déjà longtemps : celui d’une organisation dont les actions sont financées par un nombre limité de ses membres, principalement européens aujourd’hui, donnant ainsi l’impression d’exister et d’œuvrer à leur profit et sur la base d’une approche occidento- ou euro-centrée. Il est ainsi aisé pour la Russie de critiquer cette décision qui peut sembler destinée à la contourner ou à la marginaliser.
Le lendemain de la conférence, le 1er août, se tenaient des discussions visant à définir une vision pour le futur de l’OSCE (8). Non présent lors de cette session, le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, explique ce même jour dans un média russe que l’OSCE doit prendre en compte les nouvelles réalités géopolitiques pour conforter et justifier sa propre existence (9) et que l’organisation est victime de l’hypocrisie occidentale (10). Selon une politique bien établie, la Russie critique l’OSCE mais n’entend pas la quitter ; du reste, personne n’y aurait intérêt.
On cherchera en vain dans la presse internationale la moindre relation de cette conférence et des deux journées d’échanges et discussions (11) malgré la présence de quelques représentants de haut niveau dont le Président ukrainien, Volodymyr Zelensky, le secrétaire-général des Nations unies, Antonio Guterres, et le Président finlandais Alexander Stubb. Dans son intervention, celui-ci présente l’alternative, un peu surfaite, que l’OSCE doit affronter : Yalta ou Helsinki (12). Il souligne l’importance croissante prise par la dimension humaine avec certains succès dont on peut penser qu’ils ont masqué une autre réalité : le refus par des États de l’espace oriental de l’OSCE d’accepter de bonne foi toutes les règles liées aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales.
Dans les mois qui ont précédé la conférence, la présidence de l’OSCE avait sollicité les 57 États participants afin de recueillir leurs positions et suggestions sur les thèmes annoncés. Au mois de juin, elle leur adressait en retour une lettre de synthèse où il apparaissait peu vraisemblable qu’une réforme de l’organisation pût être proposée ou menée (13).
* * *
Cette conférence organisée par la présidence de l’OSCE a probablement eu le mérite de réunir de nombreux responsables, de promouvoir certains échanges et de contribuer au maintien à flot d’une organisation qui conserve une potentielle pertinence pour peu qu’elle ne soit pas dévoyée, aussi bien par ses contradicteurs que par les opportunistes. On ne voit pas que des avancées aient pu y être réalisées mais la présidence aura assuré le service et montré sa disponibilité ; enfin, chacun aura pu y confirmer, voire répéter, ses engagements sans que cela prête à beaucoup de conséquences : les bonnes intentions sont une chose, leur concrétisation en est une autre. Un conclave aussi limité et modeste avait bien peu de chances de parvenir à un quelconque résultat. Seul point positif : le schisme n’a pas eu lieu.
L’esprit d’Helsinki s’est évanoui depuis bien longtemps et il est vain de se perdre en incantations pour en appeler le renouveau ; aucun effort sincère et général n’est fait en ce sens et chacun s’attache à ses intérêts loin de tout sens des réalités et de toute volonté de compromis. C’est pourtant bien cette voie qu’il faudra, à un moment ou à un autre, emprunter. ♦
(1) « Helsinki +50 Conference: Respecting the Legacy, Preparing for the Future », OSCE, 5 juin 2025 (www.osce.org/).
(2) Vinet Guy, « Acte final d’Helsinki : retour sur un accord international unique », RDN, n° 882, été 2025, p. 207-214 (https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article.php?carticle=23775&cidrevue=882).
(3) « All of OSCE attempts at peacekeeping in post-Soviet space fail —Belarusian MFA », Agence TASS, 30 juillet 2025 (https://tass.com/world/1996155).
(4) Powers Chris et Moller-Nielsen Thomas, « Russia strike damages EU Ukraine delegation in Kyiv », Euractiv, 28 août 2025 (https://www.euractiv.com/section/politics/news/russia-strikes-eu-ukraine-delegation-in-kyiv/).
(5) « Helsinki +50 Conference on 31 July, Closing Remarks by the Chairperson-in-Office and Minister for Foreign Affairs of Finland » (https://valtioneuvosto.fi/).
(6) « Helsinki +50 Conference on 31 July, Keynote Speech by the Secretary General » (www.osce.org/).
(7) « OSCE Chairperson-in-Office launches Helsinki +50 Fund » (https://www.osce.org/chairpersonship/595831).
(8) « Helsinki +50 discussions will contribute to building a vision for the OSCE » (www.osce.org/).
(9) « Lavrov believes time to reflect on viability of OSCE », Agence TASS, 1er août 2025 (https://tass.com/).
(10) « 50 years of the Helsinki Act: disappointment and new challenges », Pravda Estonia, 1er août 2025 (https://estonia.news-pravda.com/en/russia/2025/08/01/14882.html).
(11) En France, l’événement apparaît incidemment dans Le Figaro : Pierson Élisabeth, « Guerre en Ukraine : pour Sergueï Lavrov, l’Allemagne et l’Europe suivent la voie d’un “Quatrième Reich” », Le Figaro, 1er août 2025 (www.lefigaro.fr/).
(12) « Speech by President of the Republic of Finland Alexander Stubb in the Helsinki +50 Conference at the Finlandia Hall on 31 July 2025 » (www.presidentti.fi/).
(13) « Un demi-siècle après Helsinki : l’OSCE peut-elle conserver sa pertinence ? », Gazeta Express, 31 juillet 2025 (www.gazetaexpress.com/).