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  • Non, la Russie ne déménagera pas ! (T 1776)

Non, la Russie ne déménagera pas ! (T 1776)

Guy Vinet, « Non, la Russie ne déménagera pas ! (T 1776)  », RDN, 04 décembre 2025 - 9 pages

L'étranger proche de la Russie en 2025 (Wikimedia Commons)
L'étranger proche de la Russie en 2025 (Wikimedia Commons)

Dans la vie en collectivité comme sur la scène internationale, on ne choisit pas ses voisins. Dans les rapports interétatiques, la géographie tient donc un rôle prééminent qu'on ne saurait mésestimer. Dans l’actuel environnement qui voit la Russie envahir l’Ukraine et avoir hypothétiquement d'autres prétentions, l’Europe doit envisager ses relations avec son grand voisin sur la base d'un solide réalisme privé de toute naïveté.

No, Russia will not move!

In community life as well as on the international stage, one does not choose one's neighbors. Geography therefore plays a preeminent role in interstate relations that cannot be underestimated. In the current environment, where Russia is invading Ukraine and may have other ambitions, Europe must consider its relations with its large neighbor based on a sound realism devoid of any naiveté.

« Plus on considère le déroulement des siècles, plus la géographie y joue un rôle » Robert D. Kaplan, La revanche de la géographie, 2012

Dans son ouvrage éponyme, le géographe Yves Lacoste nous explique en quoi « la géographie, cela sert d’abord à faire la guerre » (1). L’affirmation peut sembler un peu sèche et brutale ; elle a eu le mérite d’attirer l’attention du plus grand nombre sur cette discipline souvent délaissée ou marginalisée qu’est la géographie. L’auteur veut surtout nous faire comprendre, indirectement, combien cette discipline peut être importante, voire déterminante, aussi bien dans le cours d’une guerre que dans les éléments qui y mènent. La géographie est à l’origine « une science qui a pour but la description de la terre, l’étude des accidents de sa surface et de ses divisions conventionnelles » (2). Au-delà de cette approche classique, voire scolaire, elle permet, selon le professeur Yves Lacoste, de mieux identifier et poser les problèmes géopolitiques avec leurs éventuelles conséquences stratégiques.

Si les exemples ne manquent pas pour venir soutenir cette thèse, l’actualité nous en fournit une illustration patente avec la guerre de la Russie en Ukraine.

Nous avons eu déjà l’occasion de rappeler dans un précédent article (3) que, quoique l’on pense de la Russie dans le contexte de sa guerre contre l’Ukraine et dans la perspective d’un très hypothétique règlement durable de ce conflit, le pays occupe aujourd’hui et pour longtemps un emplacement géographique donné sur le continent eurasiatique. Il s’agit là d’un élément évident et intangible de géographie qui commande, de la part de l’autre Europe, celle de l’Ouest, une prise en compte politiquement conséquente.

La prégnance de la géographie

D’un côté, la géographie en tant que description et étude de la morphologie physique des espaces territoriaux n’évolue que sur le temps géologique et permet d’appréhender les territoires dans leurs données techniques. D’un autre côté, la géographie peut également considérer l’homme en tant qu’animal social et politique dans son milieu naturel avec les contingences liées au pouvoir. Ainsi, la géographie politique relie l’homme à son espace d’existence par sa conception et sa gestion politique de celui-ci. Cette géographie est dynamique en ce qu’elle associe la dimension spatiale au paramètre politique qui est, par nature, évolutif. Dans un espace géographique donné, l’homme va d’abord le prendre en compte pour en tirer des éléments de son existence et de sa survie ; ultérieurement, il va y asseoir son pouvoir et chercher, pour diverses raisons, à l’étendre. C’est ce que nous enseigne l’histoire aussi bien ancienne que plus récente de la présence humaine sur les divers continents. Concrètement, les pouvoirs locaux ou étatiques vont concourir pour le contrôle de territoires, gagner des espaces qui viendront à leur tour renforcer, possiblement, les pouvoirs concernés. Les recherches de gains territoriaux étaient, au départ, motivées par des besoins d’ordre économique : espaces exploitables, ressources naturelles, contrôle de voies de communication ou accès à la mer. Elles pouvaient être aussi purement politiques en se manifestant par une volonté expansionniste. Ainsi, longtemps, les frontières ont été floues, mouvantes ou poreuses, même quand le concept d’État s’est développé, en Europe occidentale d’abord. Comme le raconte Stefan Zweig dans Le monde d’hier, il était encore possible au début du XXe siècle de voyager dans toute l’Europe sans passeport (4).

La fin du XXe siècle a vu des périodes contradictoires se succéder. D’abord, la notion de frontière a pris force et vigueur avec l’émergence de nouveaux États consécutive aux décolonisations et à la fin de la guerre froide ; ceux-ci, en s’installant dans l’ordre international, manifestaient leur volonté d’affirmer leur souveraineté dans un périmètre géographique et politique reconnu (5). Ensuite, le temps de la mondialisation a marqué l’affaiblissement des États ; puis ceux-ci ont pris leur revanche avec leur retour sur la scène mondiale par le biais des nationalismes. Les frontières interétatiques d’un État marquent les limites géographiques de son pouvoir politique et de sa juridiction. Cela ne contredit pas les capacités ou stratégies d’influence de ces États hors de leurs frontières, mais pose des limites principiellement inattaquables à leur pouvoir. Un puzzle international s’est ainsi constitué dont la plus grande partie des pièces recherchait une certaine stabilité.

À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, l’ordre international souhaité par le président américain Truman s’était heurté au communisme soviétique et il en était résulté un ordre caractérisé par ce qu’il a été convenu d’appeler la guerre froide et la logique de blocs. À la chute de l’URSS, les États-Unis apparaissent comme la seule superpuissance – hyperpuissance selon le ministre Hubert Védrine (6) – et parlent d’un nouvel ordre mondial qui est, en fait, le leur.

En Europe, la fin de la guerre froide a entraîné les fragmentations de l’Union soviétique et de la Yougoslavie. L’éclatement de cette dernière, sur fond de remontée des nationalités, a conduit aux guerres balkaniques des années 1990. L’effondrement de l’URSS, aiguisé par des rivalités et enjeux de pouvoirs internes, a provoqué des affrontements localisés dans les Pays baltes et dans le Caucase. Dans les deux cas, il en est résulté une forme d’incertitude géopolitique qui trouve principalement son origine dans le changement de statut de limites administratives devenues frontières internationales. La plupart des nouveaux États issus de l’Union soviétique souhaitaient leur indépendance mais n’y étaient pas prêts à l’exception évidente de la Russie dont la capitale rassemblait déjà toutes les institutions attachées à la souveraineté et assurait une sorte de continuité de l’URSS. L’éclatement de cette dernière a trouvé appui, de manière ironique, sur l’idéal wilsonnien de l’autodétermination des peuples.

L’empire démystifié

Ainsi, pour Moscou, la fin de l’URSS marque une perte de statut ; cela n’était supportable qu’en apparence et, rétrospectivement, il peut sembler surprenant qu’elle pût être si facilement et durablement acceptée par le pouvoir russe de l’époque : elle a d’abord été digérée superficiellement avant de créer des phénomènes de rejet. Capitale d’un empire depuis les Romanov jusqu’en décembre 1991, Moscou devenait celle d’une des républiques de cet empire défunt. Le parallèle avec la Vienne de l’après 1918 n’est pas totalement incongru ; mais alors que cette dernière, capitale vaincue par les armes et désavouée par les peuples, n’avait d’autre choix que d’accepter un nouveau destin imposé par les vainqueurs, Moscou de l’après-guerre froide n’allait pas tarder à se reprendre. Après avoir joué les premières années de la décennie 1990 le jeu de l’ouverture, sur financement occidental, la Russie allait se détacher d’un ordre, décidé par les États-Unis, où elle ne se reconnaissait pas. L’empire russe/soviétique était un ensemble terrestre d’un seul tenant, sans colonies ou territoires outre-mer ; il était doté d’un pouvoir centralisé très fort pour assurer et tenir son unité. La fin de la guerre froide allait miner cette belle cohérence, toujours sous la menace des nationalismes périphériques (7). La Russie impériale, qui n’avait cessé de s’étendre depuis plusieurs siècles en agrégeant régions périphériques et populations disparates, ne pouvait concevoir la perte de certains territoires et notamment celui considéré comme constitutif de ses origines, l’Ukraine. À cet égard, le jugement du politologue polono-américain Zbigniew Brzezinski en 1997 « sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire » (8) prend aujourd’hui une résonance particulière. Incidemment, il faut rappeler que, par essence, les frontières d’un empire terrestre sont mobiles, vouées à l’extension, comme le souligne Robert D. Kaplan : « c’est le lot des puissances terrestres qui n’ont d’autres solutions pour survivre que de conquérir leurs voisins » (9). Si l’empire se rétracte, il perd son statut comme ce fut le cas pour les empires centraux et ottoman à l’issue de la Première Guerre mondiale.

De la sorte, la géographie faisait un retour remarqué dans le cours de l’histoire. Le diplomate américain Henry Kissinger pouvait ainsi résumer le dilemme russe des années 1990 : « L’effondrement des empires engendre deux causes de tensions : les efforts mis en œuvre par leurs voisins pour profiter du centre impérial et ceux déployés par l’empire en déclin pour rétablir son autorité à la périphérie (10). » Pourtant, déjà en 1988, l’historien américain Paul Kennedy avertissait : « Ceux qui se réjouissent des difficultés actuelles de l’Union soviétique et qui misent sur la chute de cet empire devraient se souvenir que, généralement, de telles transformations sont très coûteuses et qu’elles ne se déroulent pas toujours comme prévu (11). » Vingt ans plus tard, en 2008, le politologue américain Robert Kagan souligne que « les Russes considèrent ce règlement de l’après-guerre froide comme rien d’autre qu’une reddition imposée par les États-Unis et l’Europe à un moment où leur pays était faible » (12). Dans le même esprit, quand le président Poutine qualifie, en 2005, l’effondrement de l’Union soviétique de « plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle », il n’en souhaite pas la résurrection, mais il déplore le rôle perdu de la Russie dans le monde. Depuis, il n’a eu de cesse de retrouver voire de maintenir une influence significative dans son étranger proche d’abord, puis sur la scène internationale. Cette remarque de Vladimir Poutine trouve un écho malheureux avec le président américain Barack Obama lorsqu’il qualifie la Russie de « puissance régionale » en mars 2014 à La Haye, au moment où elle saisissait la Crimée ; en dépit d’une certaine justesse dans certains domaines, cette déclaration constituait une véritable provocation pour Moscou. En effet, et malgré certains problèmes, la Russie reste le plus grand pays de la planète et couvre 17 fuseaux horaires : ce n’est pas sans influence sur l’imaginaire russe.

Un couple mal apparié

Sur le continent européen, la cohabitation géographique entre les États de l’ouest et l’empire russe s’est régulièrement révélée problématique et empreinte de paradoxes. Pierre le Grand s’est largement inspiré de son long voyage en Europe avant son sacre pour tenter de moderniser son pays et créer Saint-Pétersbourg. La Grande Catherine avait lu Montesquieu et entretenait des relations épistolaires suivies avec Voltaire sans pour autant réformer son système de gouvernance. Au XIXe siècle, la société politique russe était encore parcourue par une ligne de fracture opposant « européistes » et « slavophiles » (13), ces derniers restant en position de force. Ces rappels mettent en lumière une sorte de tradition d’attirance-répulsion entre les deux ensembles que la Première Guerre mondiale et la Révolution d’octobre 1917 ont exacerbé. Aujourd’hui, la commune participation de l’Union européenne (UE) et de la Russie à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ne signifie aucune connivence géopolitique ou géoéconomique. Elles évoluent sur des trajectoires divergentes depuis la fin des années 1990 et l’écart n’a fait que se creuser jusqu’aux coups de force de Moscou contre la Géorgie en 2008, puis contre l’Ukraine en 2014 et 2022.

Cette fracture sur le continent européen trouve un écho, d’une nature bien moins dramatique, entre les deux rives de l’Atlantique. En effet, l’ordre de la guerre froide sous protection américaine permet aux Européens de se constituer progressivement en entité économique et, dans une moindre mesure, politique. Ce mouvement est soutenu, de manière parfois ambiguë, par les Américains. Ils finissent par voir les Européens comme des concurrents commerciaux et économiques alors qu’ils doivent toujours être les garants de leur sécurité. Cette approche duale porte atteinte à la notion d’Occident unifié ainsi que le note Robert Kagan en 2003 : « Désormais, les Européens parlaient de l’Europe comme d’un nouveau pôle dans un nouveau monde multipolaire, d’un contre-poids à l’Amérique » (14). Cette divergence entre Américains et Européens apparaît nettement lors de l’invasion américaine de l’Irak en 2003 et du sommet de l’Otan à Bucarest de 2008 sur la question de l’accession de la Géorgie et de l’Ukraine à l’Alliance atlantique. Le Président russe s’est empressé de réagir à cette approche par une opération militaire en Géorgie quelques mois plus tard.

L’illusion européenne de croire qu’une Russie plus démocratique et plus libérale conduirait à un monde plus intégré politiquement et économiquement – et donc plus apaisé – a fait long feu. L’UE a très largement surestimé sa force d’attractivité dans un monde où les nationalismes ont resurgi sur des cendres encore chaudes et elle a eu tort de considérer qu’elle pouvait contribuer à instaurer un ordre kantien alors que toutes les volontés n’étaient pas réunies. L’Europe des bons sentiments s’est fracassée sur le mur de la réalité russe. Comme disait Marguerite Yourcenar, « c’est avoir tort que d’avoir raison trop tôt ».

Dès la fin de la guerre froide, l’Europe, toute occupée par la question allemande, les conflits surgissant en Yougoslavie et la création de l’UE, s’est montrée bien naïve avec la Russie. Ensuite, et sans ligne stratégique définie, elle a cru opportun d’avancer ses pions en Ukraine et dans le Caucase.

L’accès récent à des archives diplomatiques montre que dès le début des années 1990, la Russie avait une approche hégémonique des États d’Europe centrale et orientale ayant appartenu au Pacte de Varsovie ou à l’Union soviétique (15). Le président russe Eltsine faisait preuve de duplicité manifeste en essayant de convaincre les Occidentaux qu’il était le seul à pouvoir faire évoluer la Russie vers la démocratie, alors qu’il s’ingéniait à faire signer des accords inégaux avec les anciens « satellites » au mépris de la Charte de Paris signée en novembre 1990 dans le cadre de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE).

En Russie, l’histoire récente montre que les tentatives de réformes internes se sont révélées contre-productives à brève échéance : la grande réforme d’Alexandre II en 1861, la déstalinisation de Khrouchtchev en 1956, la Perestroïka de Gorbatchev en 1985, comme les réformes d’Eltsine en 1992. Il est ainsi peu vraisemblable que la Russie poutinienne change de ligne avant longtemps alors qu’elle porte l’héritage de l’empire russe et entend bien en assumer les responsabilités historiques. Sur ses marches occidentales et méridionales, la Russie s’était constituée en articulation et frictions avec l’empire ottoman, l’empire des Habsbourg, le royaume puis empire de Prusse et, succinctement, l’empire napoléonien. Aujourd’hui, et après que les autres empires se furent transformés en États, la Russie demeure le seul pays à conserver une dimension impériale dans cette région (16). Cette caractéristique, portée par les siècles et la géographie, prend la forme d’un expansionnisme russe renouvelé. Cet effort se focalise actuellement sur son flanc occidental avec l’Ukraine comme point de fixation sans qu’il soit possible d’affirmer qu’il s’en satisfera.

Un expansionnisme russe revisité

Lors de l’éclatement de l’Union soviétique, ce sont les trois républiques slaves qui montrent la voie vers les indépendances, sans probablement anticiper le spectre des conséquences. Rapidement, la question des frontières de l’Ukraine va surgir et « le drame soviétique va se jouer autour du grand divorce russo-ukrainien » (17). Les nationalismes périphériques vont suivre alors que la Biélorussie est prise en main par un « homme fort » ; ce dernier va arrimer le pays à la Russie tout en sachant jouer la carte de l’autonomie et en s’attirant, épisodiquement et pour un temps, les bonnes grâces des Européens.

En Asie centrale, les cinq États issus de l’Union soviétique ne présentent pas de forte volonté émancipatrice ; toutefois, ils manifestent volontiers une certaine susceptibilité nationale tout en restant largement dépendants de Moscou à plusieurs égards. Ces cinq pays sont coincés entre leur ancienne puissance tutélaire au nord et la Chine, l’Afghanistan et l’Iran au sud. Seule la Chine peut également avoir une influence sur eux, notamment par leur initiative économico-commerciale des Nouvelles routes de la soie. Actuellement, ils ne représentent pas un sujet de préoccupation pour Moscou.

En revanche, la situation est moins favorable à la Russie dans le Caucase où la Géorgie a manifesté son attirance pour l’UE et l’Otan ; Moscou a mis bon ordre à ces velléités en occupant une partie du pays en 2008 et en promouvant un parti politique qui lui est favorable et qui a remporté les dernières élections présidentielles. L’Arménie n’a pas pu compter sur le soutien russe lors des guerres avec l’Azerbaïdjan (2020 et 2023) mais reste sous dépendance. L’accord de paix signé sous l’égide des États-Unis entre les deux pays, le 8 août 2025, a esquissé un retour à une situation régionale normalisée mais pas encore définitivement stabilisée. Le conflit du Haut-Karabagh a laissé des traces et l’immixtion de Washington dans cette région est certainement vue d’un œil méfiant par Moscou. Le risque d’une éventuelle perte d’influence russe dans cette partie du Caucase pourrait être lourd de conséquences.

Dans sa guerre contre l’Ukraine, et malgré des succès militaires mesurés, le président Poutine refuse obstinément toutes formes de négociations qui n’aboutiraient pas à une capitulation de l’Ukraine. À chaque fois qu’il annonce que la Russie est prête à discuter c’est pour immédiatement ajouter qu’il faut tenir compte des nouvelles réalités et que, in fine, l’Ukraine doit se soumettre. Les prises de position d’abord conciliantes du président Trump n’y changent rien et les Européens sont réduits au rôle de témoins, parfois actifs quand ils essaient d’orienter le Président américain. Depuis le début de son offensive en Ukraine, Vladimir Poutine fait preuve d’une totale résolution.

En parallèle avec son « opération militaire spéciale » en Ukraine, la Russie mène déjà des campagnes de guerres non conventionnelles en Europe et il est difficile de prédire si cet effort continuera lorsque la guerre aura cessé. Il est vraisemblable qu’un objectif russe de long terme est « de réduire les capacités de l’Europe pour une action collective et de convaincre les Européens qu’il n’est pas utile de s’en prendre à Moscou » (18). Le Kremlin ne semble pas donner l’impression de vouloir s’en laisser conter par une Europe méprisée pour sa faiblesse et sa décadence.

Enfin, même s’il a fait adopter une loi qui lui permet de rester au Kremlin jusqu’en 2036, le président Poutine sortira un jour de la photo. Il est vraisemblable que son successeur sera issu de son cercle restreint ; toutefois, il pourrait se montrer plus souple dans l’élaboration d’une trajectoire nationale (19) et faire montre d’ouverture aussi bien politique que commerciale. Cette hypothèse, encore hors de portée, devrait toutefois être considérée sérieusement en Europe qui devrait tenter de l’anticiper en se gardant de tout discours trop incendiaire et maximaliste. Il n’est jamais bon d’insulter l’avenir.

Par ailleurs, on notera que la Russie a connu plusieurs changements de régimes consécutivement à des déboires militaires : après la guerre russo-japonaise de 1905, la Première Guerre mondiale et le retrait désastreux d’Afghanistan en 1989 (20). En suivant cette approche, on aurait sans doute tort d’espérer une défaite russe en Ukraine. Une telle issue, conforme à la règle morale, ne serait certainement pas un retour à un quelconque ordre westphalien.

Conclusion

En dépit et à cause de sa perte de statut de grande puissance, la Russie conserve un pouvoir de nuisance internationale élevé et une capacité d’attiser ou d’élargir des conflits. Sa trajectoire d’hostilité à l’égard de l’Europe s’inscrit dans une longue tradition historique dont on ne voit pas qu’elle puisse s’éteindre de sitôt.

En réalité, la Russie va continuer de mener sa guerre en Ukraine jusqu’à ce qu’elle obtienne un résultat satisfaisant, ce que nul ne saurait vraiment définir aujourd’hui. L’Ukraine va continuer à résister héroïquement, avec un soutien parcimonieux des Européens et limité des Américains, en perdant progressivement certains de ses territoires. Quand le conflit passera en mode « basse intensité » ou « latent » avant d’aboutir, possiblement, à un cessez-le-feu, pour des raisons économiques et humaines, l’UE devra continuer à vivre avec ce voisin embarrassant. Il n’y a pas et il n’y aura pas de solution facile dans cette confrontation, d’abord larvée puis ouverte, entre l’Europe et la Russie. Les Européens ont démontré jusque-là leur incapacité à anticiper les évolutions géopolitiques dans leur environnement international ; ils les subissent sans ligne stratégique. Le chemin est étroit entre les principes du droit international à respecter et le réalisme de cette cohabitation imposée par la géographie. L’Europe doit affirmer et renforcer son aide à l’Ukraine au-delà des discours et gestes convenus, adopter une posture de dissuasion conventionnelle forte et claire à l’égard de la Russie et « en même temps » se dispenser d’un discours qui donne les arguments à la Russie pour sa politique et sa propagande intérieure anti-européenne. Enfin, le conflit n’exclut pas les discussions diplomatiques qu’il sera inévitablement nécessaire de reprendre un jour ou l’autre. Si le multilatéralisme, via l’ONU et l’OSCE, a montré ses limites jusqu’à aujourd’hui, il pourrait se relancer par la volonté des États concernés ; le bilatéralisme, plus traditionnel, devrait se montrer plus pragmatique.

Quelle que soit la fin de cette guerre, les Européens en seront vraisemblablement les grands perdants alors que la Chine, devenue le leader du monde autocratique avec la Russie comme brillant second, sera le premier vainqueur implicite et que les États-Unis sauront tirer opportunément leurs marrons du feu dans les domaines politique et économique. La Russie sera nécessairement signataire de tout accord de cessez-le-feu ou de paix quand l’Europe sera réduite au rôle d’observateur actif en étant invitée à (contre)signer un éventuel document et à participer massivement au financement de la reconstruction de l’Ukraine.

Dans cette attente, l’Union européenne serait bien inspirée d’oublier ses naïves illusions post-guerre froide, ses visions idéologiques contreproductives et sa bien-pensance technocratique délétère pour adopter un positionnement géopolitique frappé au coin d’un réalisme géostratégique et économico-commercial bien trempé. C’est à ce prix qu’elle pourra coexister avec son grand voisin oriental, sans illusion, ni crainte. ♦


(1) Lacoste Yves, La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre, Petite Collection Maspero, 1976.
(2) Grand dictionnaire universel Larousse du XIXe siècle, édition 1872, page 1182.
(3) Vinet Guy, « La guerre russe en Ukraine : entre réalisme et morale dans les relations internationales », RDN, n° 873, octobre 2024, p 109-116 (https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article.php?carticle=23546).
(4) Zweig Stefan, Le monde d’hier – Souvenirs d’un Européen, 1942, rééd. Belfond, 1982.
(5) Foucher Michel, L’obsession des frontières, Perrin, 2007.
(6) Védrine Hubert, Face à l’hyperpuissance, Fayard, 2003.
(7) Kotkin Stephen, « The Five Future of Russia », Foreign Affairs, vol. 103, n° 3, mai-juin 2024, p. 64-83.
(8) Brzezinski Zbigniew, Le grand échiquier, Bayard, 1997, p. 122 et suiv.
(9) Kaplan Robert D., La revanche de la géographie, Éditions du Toucan, 2012, p. 259.
(10) Kissinger Henry, Diplomatie, Fayard, 1996, p. 743.
(11) Kennedy Paul, Naissance et déclin des grandes puissances, Payot, 1989, p. 803.
(12) Kagan Robert, Le retour de l’histoire et la fin des rêves, Plon, 2008, p. 26-27.
(13) Kolesnikov Andreï, « The End of the Russian Idea », Foreign Affairs, vol. 102, n° 5, septembre-octobre 2023, p. 60-76.
(14) Kagan Robert, La puissance et la faiblesse, Plon, 2003, p. 133.
(15) Schabert Tilo, « Donne l’Europe à la Russie », Commentaire, n° 189, printemps 2025, p. 65-73.
(16) Garton-Ash Timothy, « Postimperial Empire », Foreign Affairs, vol. 102, n° 3, mai-juin 2023, p. 64-75.
(17) Zorgbibe Charles, L’après-guerre froide en Europe, PUF, 1993, p. 99.
(18) Kendall-Taylor Andrea et Kofman Michael, « Putin’s Point of No Return », Foreign Affairs, vol. 104, n° 1, janvier-février 2025, p. 81.
(19) Gabuev Alexander, « The Russia That Putin Made », Foreign Affairs, vol. 104, n° 3, mai-juin 2025, p. 40-51.
(20) Fix Liana et Kimmage Michael, « Putin’s Last Stand », Foreign Affairs, vol. 102, n° 1, janvier-février 2023, p. 8-21.

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