La visite de Mohammed ben Salmane aux États-Unis peut être vue comme un succès stratégique et économique. La visite du prince héritier a renforcé le partenariat américano-saoudien, avec des contrats historiques (270 milliards de dollars), des avancées en IA, terres rares et nucléaire civil. Malgré les tensions (Khashoggi, Israël), Riyad confirme son rôle clé pour Washington, tout en diversifiant ses alliances (Chine, Russie).
Chroniques du Moyen-Orient – Que retenir de la visite du prince héritier saoudien à Washington ? (T 1777)
Le président Donald Trump participe à une réunion bilatérale avec le prince héritier et Premier ministre Mohammed ben Salmane d'Arabie saoudite, le mardi 18 novembre 2025, dans le Bureau ovale. (© Official White House Photo by Daniel Torok / Flickr)
Middle East Chronicles —What can we learn from the Prince MBS visit to Washington?
Mohammed bin Salman's visit to the United States can be seen as a strategic and economic success. The Crown Prince's visit strengthened the US-Saudi partnership, with landmark contracts ($270 billion) and advancements in AI, rare earth elements, and civilian nuclear energy. Despite ongoing tensions (Khashoggi, Israel), Riyadh has reaffirmed its key role for Washington while simultaneously diversifying its alliances (China, Russia).
La visite que le prince Mohammed ben Salmane (MBS) a effectué aux États-Unis les 18 et 19 novembre derniers a été remarquée dans le monde et peut être considérée comme un succès pour l’intéressé et pour l’Arabie saoudite. En effet, il a eu droit à un traitement royal de la part du président Trump – garde d’honneur, salutation au canon, survol d’avions de combat, dîner de gala à la Maison Blanche – et cet événement est perçu comme le signe d’un ravivement du partenariat stratégique américano-saoudien sur de nouvelles bases. Il est toujours question de pétrole et de sécurité, mais la coopération s’étend désormais à de nouveaux domaines, notamment dans le technologique. Certes cependant, les médias américains ont évoqué l’affaire Khashoggi et celles de la famille Trump dans le Golfe, mais ils ont été immédiatement rabroués par le président lui-même.
Il est clair que l’Arabie saoudite occupe aujourd’hui une place importante dans la réflexion stratégique américaine. Outre la signature d’un Strategic defense agreement qui désigne l’Arabie saoudite comme un allié majeur hors Otan, Donald Trump promeut un nouveau Moyen-Orient, porté par les investissements financiers et les partenariats des États-Unis avec leurs alliés du Golfe, principalement l’Arabie saoudite. De fait, alors que les Émirats arabes unis (EAU) ont longtemps bénéficié d’un statut particulier aux yeux de l’administration Trump, la balance penche désormais en faveur du royaume. On sait que les deux pays du Golfe sont en compétition sur de nombreux sujets, tels que la course à l’intelligence artificielle (IA), la diversification économique ou l’attraction des investissements et talents étrangers. À ce titre, il est intéressant de relever que le président Trump a donné son feu vert à la vente de F-35 à l’Arabie saoudite, alors que la promesse d’en vendre aux EAU en échange de leur normalisation avec Israël n’a pas été tenue. De même, le Président américain a accepté la demande saoudienne de s’impliquer dans les négociations pour un cessez-le-feu au Soudan, alors qu’Abou Dabi est accusé de soutenir les paramilitaires.
Sur le plan diplomatique, la question de la reconnaissance d’Israël par l’Arabie saoudite – prioritaire pour Donald Trump – n’a, apparemment, guère progressé, à en juger par la réponse publique du prince selon laquelle elle ne pourrait pas intervenir tant qu’il n’y aurait pas une voie crédible vers un État palestinien. Cela montre que cette normalisation est peu envisageable aux yeux de Riyad avec le gouvernement de Benjamin Netanyahou. On sait d’ailleurs qu’Israël aurait fait pression sur Donald Trump pour lier la promesse de F-35 à l’Arabie saoudite à sa reconnaissance d’Israël, d’autant plus que cela nuirait à son avantage militaire qualitatif dans la région. Il est en réalité probable que Riyad recevrait des avions moins avancés que ceux d’Israël, mais la décision n’est pas encore passée par le Congrès.
En réalité, c’est le volet économique qui a porté les fruits les plus concrets. Lors du Forum d’affaires américano-saoudien, qui s’est tenu le 19 novembre, le président Trump a déclaré que 270 milliards de dollars de contrats ont été signés avec des douzaines de compagnies. Le prince héritier saoudien aurait également porté la promesse d’investissements saoudiens aux États-Unis de 600 milliards à 1 000 milliards de dollars. L’IA et les terres rares apparaissent comme les domaines privilégiés des accords.
Un protocole sur un « partenariat stratégique d’IA » a été signé par les deux ministres des Affaires étrangères pour permettre au royaume l’accès à des systèmes américains sophistiqués, tels que les semi-conducteurs. Washington a désormais autorisé la vente de 70 000 puces IA à des compagnies saoudiennes et émiriennes. Une partie de ces puces devrait être cédée par NVIDIA à HUMAIN, la société saoudienne d’IA soutenue par le gouvernement. Par ailleurs, cette société saoudienne développera conjointement avec XAI d’Elon Musk des centres de données dans le royaume, dont une installation de 500 mégawatts, ainsi qu’une autre de 100 mégawatts avec Advanced Micro Devices, Cisco Systems.
La société américaine MP Materials a annoncé la construction d’une raffinerie de terres rares en Arabie saoudite avec le ministère saoudien de la Défense (49 %) et le groupe saoudien MAADEN (51 %). Des discussions seraient également en cours pour collaborer à la production de magnets dans le royaume.
Un accord de coopération sur le nucléaire civil a été annoncé par la Maison Blanche. Aucune information n’a pour le moment filtré sur le contenu de ce deal ; mais on sait que le royaume exigerait de pouvoir enrichir l’uranium – dont il possède des ressources – sur son territoire, ce que Washington refusait jusque-là. Plus précisément, il y aurait des discussions en cours avec la société coréenne KEPCO pour la signature prochaine d’un contrat de construction en Arabie saoudite de deux réacteurs, pour un montant de 26 ou 27 milliards de dollars (l’offre coréenne inclut des technologies de la firme américaine Westinghouse). Dans cette affaire, MBS aurait fait monter les enchères en agitant la possibilité de bâtir son nucléaire civil avec la société chinoise CNEC. Le contrat coréen est, néanmoins, suspendu à l’aval du Congrès, au titre de l’accord 123.
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Cette visite du prince héritier saoudien à Washington peut être considérée comme un succès personnel de MBS mais aussi de l’Arabie saoudite, considérée à nouveau comme un partenaire stratégique important des États-Unis dans le monde.
Cela ne signifie pas pour autant que MBS renoncera à son émancipation de la tutelle américaine traditionnelle et à sa politique de pluri-alignement (partenariat avec la Chine, coopération pétrolière avec la Russie, dialogue avec l’Iran, participation à l’Organisation de Shanghai, etc.). Toutefois, la relation particulière avec les États-Unis est réaffirmée et s’étend – outre les questions de sécurité et de défense – à de nouveaux domaines, en particulier dans les nouvelles technologies et les terres rares.
Naturellement il faut faire la part des déclarations d’intentions, qui ne se réalisent pas toujours – y compris les 1 000 milliards d’investissements aux États-Unis et les F-35 – mais il est certain que le PIF investira dans l’IA américaine et que certains des accords annoncés seront réalisés. Ce « moment américain » ne doit cependant pas inhiber la France et l’Europe pour avoir leur part dans la mise en œuvre des grands projets de la « Vision 2030 ». ♦
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