Le débat sur l’engagement militaire pose une question cruciale : la Nation est-elle prête à envoyer ses soldats mourir pour ses alliés ? Le général Fabien Mandon, chef d'état-major des Armées, rappelle cette réalité glaçante, non par bellicisme, mais par devoir. Une Nation forte doit assumer ce sacrifice, si nécessaire, pour dissuader et protéger.
Billet – « Accepter de perdre ses enfants » : Qui devrait dire cela ? (T 1778)
© A. Derewiany / Armée de l'air et de l'espace
“Accepting the possibility of losing our children”: Who should say that?
The debate on military commitment raises a crucial question: is the nation prepared to send its soldiers to die for its allies? General Fabien Mandon, Chief of the Defence Staff, reminds us of this chilling reality, not out of warmongering, but out of a sense of duty. A strong nation must accept this sacrifice, if necessary, to deter and protect.
Depuis la guerre en Ukraine, il m’est arrivé régulièrement, lors de rencontres, d’être interrogé sur ce conflit et à chaque fois d’entendre cette question : pourquoi n’intervenons-nous pas pour défendre l’Ukraine. Lors de ma réponse, invariablement, à un moment, je retournais à mes interlocuteurs cette question essentielle et personnelle : êtes-vous prêts à voir vos enfants mourir pour l’Ukraine et invariablement je comprenais que c’était une question qu’ils ne se posaient pas. Et invariablement, j’ajoutais que je regrettais que cette question essentielle ne fasse partie des débats parlementaires : la Nation est-elle prête à envoyer ses enfants mourir pour l’Ukraine ou tout autre pays qui serait attaqué par la Russie ?
Ce débat n’a pas eu lieu et je n’en connais pas les raisons, mais je peux les deviner ne serait-ce qu’en relisant les réactions de la classe politique et des médias aux propos du général Fabien Mandon, chef d’état-major des Armées (Cema), lors de son adresse aux maires à l’occasion de la 107e édition du congrès des maires de France. Sans me livrer à une analyse approfondie de ces réactions, je peux cependant constater qu’elles se répartissent en deux catégories : les propos du chef d’état-major des Armées sont anxiogènes et va-t-en guerre ; et ce n’est pas à lui de les tenir.
Le rôle du Cema est d’assurer le commandement des forces armées françaises lorsqu’elles sont engagées en opération par la décision du président de la République, chef des Armées, et qu’elles y sont maintenues après un débat au Parlement. Cet engagement des forces armées en opération est bien une décision politique, dans un pays démocratique comme le nôtre, et jamais une décision du Cema. En revanche, il est de sa responsabilité de s’assurer que les forces qui seront placées sous son commandement opérationnel sont aptes à assumer les missions qui leur seront confiées par la Nation. Il lui incombe ainsi en anticipation, face à l’évolution du monde, à l’augmentation des risques de conflits et à la résurgence de nouvelles menaces, d’alerter les autorités politiques de son appréciation de l’aptitude de ces mêmes forces. C’est de sa responsabilité et de son devoir vis-à-vis de la Nation, mais également vis-à-vis des femmes et des hommes qui seront engagés sous son commandement. La Nation, par ses élus, serait fondée à lui demander des comptes s’il attendait la décision du président de la République d’engager des forces en opérations pour annoncer qu’il ne les estimait pas aptes.
Les forces aptes à être engagées en opérations sont des femmes et des hommes équipés de matériel leur permettant de mener avec efficacité les missions qui leur sont confiées. Cela signifie qu’ils sont entraînés à utiliser ces matériels dans des conditions de combat de haute intensité pour garantir la réussite des opérations en maîtrisant les risques de dommages pour eux-mêmes, leurs alliés et les populations civiles. Dit autrement, le rôle du Cema est de garantir au président de la République et à la représentation nationale que les forces armées sont aptes à être engagées pour exécuter les missions qui leur seront ordonnées, dans le respect des règles d’engagement édictées, tout en garantissant à ces mêmes forces un niveau de protection maximal face aux menaces auxquelles elles seront confrontées. Il ne peut pas leur garantir que tous « rentreront à la maison », mais au moins leur promettre que tout a été fait pour. C’est vital, mais surtout c’est un devoir de la Nation vis-à-vis de celles et ceux qui acceptent d’exposer leur vie pour elle et de leurs familles. Souvenons-nous de la polémique autour de l’embuscade d’Uzbeen en 2008 et des demandes exprimées par les familles. Au-delà du terme de victime employé par les familles et jugé inapproprié pour désigner des soldats tués au combat, il faut entendre cette détresse de familles, habituées à des décennies de paix que venaient troubler, de temps à autre, quelques morts dans des opérations extérieures. Elles découvraient dans la chair de leur chair, que la guerre peut tuer et que leurs enfants qui avaient fait le choix des armes, avaient accepté qu’un jour, ils puissent mourir pour la Nation, pour que d’autres puissent vivre en paix. Lorsque je commandais la base aérienne d’Orléans, un commando appartenant au CPA 10 (commando parachutiste de l’air) avait été tué en Afghanistan. Lors de ses obsèques, aux Invalides, sa maman m’avait confié que son fils lui avait dit avant de partir : « Maman, si je meurs, ce sera pour la France ». Il avait 25 ans. Lorsqu’en 1992, avec mon équipage, nous plongions avec notre Transall sur la piste de Sarajevo, nous savions que nous étions la cible de tireurs tout au long de l’approche et lors du déchargement au sol. Du jour au lendemain, durant cet été 1992, j’ai compris que la guerre était revenue en Europe. Cela ne me réjouissait pas, mais j’acceptais ce risque, plusieurs fois par jour, pour soutenir les habitants de cette ville assiégée et dire « non » à ceux qui la prenaient en otage.
Le dernier à vouloir la guerre est le chef d’état-major des Armées, qu’il s’appelle Thierry Burkhard ou Fabien Mandon. Le premier disait qu’il fallait « gagner la guerre avant la guerre », le second qu’il faut montrer sa force pour dissuader la Russie de toute agression envers un des pays de l’alliance. Les responsables militaires œuvrent sans relâche à éviter que les conditions d’un affrontement soient réunies tout en tenant leurs forces prêtes à servir, s’il avait lieu. C’est dans cette perspective, que l’on ne peut occulter, que le général Mandon a prononcé cette phrase : « le pays doit être prêt à perdre ses enfants » dans le cas d’une confrontation avec la Russie. Être fort pour éviter l’affrontement implique d’être prêt à engager les forces armées, s’il le fallait, soutenues par une Nation soudée et solidaire. Une Nation faisant preuve de force morale.
Les propos du Cema ne sont, selon moi, en aucun cas ceux d’un va-t-en guerre, mais ceux d’un homme qui a accepté de très lourdes responsabilités, au côté du président de la République, chef des Armées. Il a choisi de le faire, devant les maires, acteurs premiers de la cohésion et des forces morales de la Nation. Nos enfants qui ont choisi le métier des armes, qu’ils soient d’active ou réservistes, ont besoin de cette solidarité. Le Cema n’a fait que le rappeler ; il est dans son rôle comme l’aurait été le chef des armées s’il avait choisi de le faire. ♦
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