Synthèse des actes des principaux intervenants du colloque « Politique spatiale et souveraineté européenne », sous la présidence de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des Affaires étrangères et président du Grand Toulouse. Ce colloque organisé le 17 novembre 2006 par PanEurope-France, en partenariat avec la ville de Toulouse et la communauté d’agglomération du Grand Toulouse, a pour objet de mettre en évidence les liens qui existent entre la définition et la mise en œuvre d’une politique spatiale, l’indépendance et la souveraineté de l’Europe.
Colloque PanEurope France - Politique spatiale et souveraineté européenne
Space policy and European sovereignty
A summary of the proceedings of the Space Policy and European Sovereignty Symposium, presided over by M. Philippe Douste-Blazy, Minister for Foreign Affairs and President of the Greater Toulouse region. This Conference was organised by PanEurope France on 17 November 2006, in partnership with the city of Toulouse and the Greater Toulouse urban area community, with the aim of publicising the connection between the definition and implementation of a space policy, and European independence and sovereignty.
L’Europe par l’espace, une volonté politique
L’homme n’a pas attendu que sa planète devienne un village mondialisé pour rêver d’atteindre les étoiles : mais sa démarche pour y parvenir aura pris du temps et les succès obtenus ne sont que les premiers pas d’une conquête dont nul n’est en mesure d’imaginer la dimension future. D’ores et déjà, la place prise par l’espace est devenue indispensable dans une multitude d’usages, dont on aurait le plus grand mal à se priver. Une seule certitude s’impose : l’aventure de l’espace sera sans limite et sans fin.
L’espace est voué à donner à ses conquérants la priorité et la supériorité pour connaître, surveiller, contrôler, protéger, empêcher, défendre, contraindre, détruire, bouleverser, prévoir, informer, diffuser, guider, soigner… Ceux qui en ont déjà la maîtrise, comme ceux qui l’auront, tiendront le monde et sa relation à l’univers. Fort de cette conviction, PanEurope France a développé et approfondi son appel à une Europe-puissance, disposant des technologies de souveraineté à travers un colloque fondateur en avril 2004. Depuis, nous avons décliné ce concept devant de nombreux publics français et européens en bénéficiant d’un accueil, et plus encore d’une adhésion, qui nous ont encouragés à en compléter le contenu.
Il nous est apparu qu’il ne suffisait plus de présenter les caractéristiques et les progrès technologiques de l’industrie spatiale pour susciter l’intérêt de l’opinion, mais qu’il fallait dorénavant traiter l’espace comme un fait politique majeur, s’appuyant nécessairement sur une prise de conscience de l’opinion et sur la volonté de l’Europe d’y répondre. Ce choix délibéré nous a amenés à organiser à Toulouse « capitale européenne de l’espace » un colloque destiné à éclairer les décideurs politiques européens et à les inciter à prendre, sans plus tarder, les décisions indispensables. C’est sur cet objectif que durant une journée nous avons débattu dans la Salle des Illustres au Capitole, grâce à l’hospitalité de la municipalité et avec en conclusion une intervention de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des Affaires étrangères et président du Grand Toulouse.
Alain Terrenoire
La politique spatiale, un impératif pour l’Europe
La souveraineté technologique, c’est-à-dire la maîtrise de certaines technologies cruciales, est la clef de l’indépendance de l’Europe, dans un monde multipolaire en constante évolution. Cette indépendance, qui n’exclut ni les partenariats ni les alliances, est pour les Européens un impératif absolu s’ils veulent assurer leur sécurité, améliorer leur mode de vie, préserver leur identité et peser sur les affaires du monde.
Le monde multipolaire est devenu le théâtre d’une compétition acharnée pour l’accès aux ressources primordiales de l’humanité : énergie, matières premières, eau, nourriture, etc.
L’âpreté de cette compétition engendre des besoins de plus en plus considérables d’acquisition de données en temps réel, sur l’état de la planète et les flux de traitement de l’information, de biens et de services qui la parcourent continuellement.
Cette situation se traduit par la conception et la mise en œuvre de systèmes techniques civils et militaires spatiaux, globaux, de plus en plus complexes et invasifs. Les systèmes spatiaux deviennent ainsi un des éléments majeurs de la souveraineté des grandes puissances.
Dans une époque où les États-Unis, la Chine, l’Inde, la Russie ne manifestent aucun état d’âme quant à l’affirmation de leur souveraineté, et, s’engagent, parallèlement, dans le lancement de programmes spatiaux à trente ans, l’Union européenne, malgré des apparences brillantes mais trompeuses, n’a pas de réelle politique spatiale. Elle se préoccupe encore moins de définir le contenu et les contours d’une souveraineté qui lui permettrait d’être maître de son destin. Or, l’une n’allant pas sans l’autre, il existe de ce fait une relation « biunivoque » entre politique spatiale et souveraineté.
Il est urgent que les Européens réagissent et définissent une politique spatiale conçue à la fois comme un impératif de souveraineté en même temps qu’un enjeu de société.
Un impératif de souveraineté
H.G. Wells disait que pour comprendre et contrôler le monde il fallait adopter le « point de vue de l’aviateur ». C’est ce que les Américains expriment par leur doctrine du space control. Cette idéologie spatiale, nouveau volet du concept d’idéologie territoriale développé par certains géopolitologues contemporains, inspire la plupart des stratégies des acteurs du monde multipolaire. Celles-ci se traduisent, pour les États-Unis et la Russie, par la poursuite de l’effort engagé depuis longtemps, et pour les puissances émergentes, telles que la Chine et l’Inde, par des programmes à vingt-cinq ans très élaborés. Ces programmes font tous appel, bien entendu, à des financements publics considérables, sans lesquels il ne peut y avoir, contrairement à ce que pensent certains Européens, de politique spatiale digne de ce nom.
Pour leur part, les États-Unis viennent de rappeler avec une extrême vigueur dans une directive présidentielle publiée discrètement le 31 août 2006 les objectifs géopolitiques et de souveraineté de leur stratégie spatiale (1). La lecture de ce document mérite attention tant elle reflète la volonté des Américains de préserver leur leadership, d’accroître encore leur avance et d’interdire à quiconque, fussent-ils leurs alliés naturels, d’interférer avec cette politique d’hégémonie et de maintien du gap technologique. Même si, dans cette directive, le président insiste sur certains principes déjà connus, notamment l’importance du space power, dans la conception d’une stratégie globale de sécurité et de supériorité, certains commentateurs, voient dans ce texte le franchissement d’une nouvelle étape capitale. Ils le perçoivent comme le signe avant-coureur d’un futur conflit pour la maîtrise des armements de l’espace, allant jusqu’à évoquer un véritable coup d’État spatial, avec, en ligne de mire, les ambitions chinoises.
Pour ce qui concerne l’Union européenne, on est malheureusement encore loin du compte dans la prise de conscience du caractère stratégique de la politique spatiale, même si l’on doit reconnaître que les programmes Galiléo et Global Monitoring for Environment and Security (GMES) constituent, malgré les incertitudes politiques et financières qui subsistent encore sur leur avenir, l’ébauche d’une politique spatiale communautaire.
En effet, à la différence des autres acteurs du monde multipolaire, les Européens ne semblent pas percevoir combien leur indépendance et leur liberté d’action, dans un monde dangereux, dépendent de leur détermination à mettre en œuvre, au niveau de l’Union, une politique spatiale à la fois civile et militaire, malgré les bonnes intentions exprimées dans différents rapports, livres verts ou blancs, pourtant parfaitement clairs sur ce sujet, mais restés, pour le moment, sans grand écho. En outre, grâce à leur forte capacité d’intégration, les systèmes spatiaux, assemblage de la plupart de ces technologies cruciales pour l’indépendance des États que sont l’énergie, la défense, la sécurité, les Nanotechnology, biotechnology, infotechnology and cognitive science (NBIC), constituent le sanctuaire de la souveraineté technologique.
Un enjeu de société
Au-delà de cet impératif de sécurité et de souveraineté, la conquête et la maîtrise de l’espace représentent un véritable enjeu de société pour le présent comme pour le futur. Cet aspect de la question est rarement pris en compte, dans une réflexion politique le plus souvent cantonnée, par manque de vision, à des aspects purement techniques ou financiers. Cette dimension sociétale échappe, de ce fait, la plupart du temps, à une opinion publique, qui, en cette période de crise latente et d’inquiétude est, naturellement, peu portée à considérer les politiques spatiales comme prioritaires.
Elles le sont pourtant au moins à deux titres : la maîtrise de l’information, la mobilisation des générations futures.
Maîtriser l’information
Pour ce qui est du premier point, il est clair que l’objectif essentiel des stratégies spatiales, stratégies qui se traduisent concrètement par la mise en place de réseaux satellitaires, n’est autre que la maîtrise de systèmes d’information, c’est-à-dire de systèmes d’observation, de diffusion, de télécommunication, de navigation ou de géolocalisation qui sont tous indispensables, aujourd’hui, au fonctionnement des États, de l’économie et de la société.
L’espace devient ainsi, le premier vecteur de diffusion de la connaissance. On comprendrait mal, dans ces conditions, que l’Union européenne qui se propose de devenir la première économie de la connaissance, selon les termes du sommet de Lisbonne, ne se dote pas de l’outil qui en devient le support essentiel.
Si, dans un autre domaine, on prend l’exemple de Galiléo, les choses prennent un tour encore plus concret, on s’aperçoit, en effet, que ce système, à l’instar de tous les systèmes de géolocalisation, va progressivement devenir un instrument de traçabilité instantanée de l’ensemble de nos activités. Il est aisé, devant une telle évidence, d’en mesurer tous les effets et de se convaincre ainsi que l’Europe ne peut s’en remettre à d’autres pour gérer un tel outil. Ce serait une erreur politique grave dont les conséquences seraient à terme incalculables. La mise en place de Galiléo ne devrait donc subir aucun retard, tant celle-ci correspond à une nécessité absolue. Toute tentative visant à freiner, limiter ou entraver son déploiement ne pourrait être interprétée que comme une volonté de porter atteinte, plus ou moins subrepticement à l’indépendance de l’Europe et à maintenir celle-ci sous tutelle spatiale.
Il est malheureusement loin d’être certain que l’ensemble de la classe politique, et, d’autant plus que l’opinion publique européenne, insuffisamment informée, soient conscientes du caractère impérieux de cette nécessité.
Mobiliser les générations futures
Concernant le second point : l’avenir des générations futures, il est évident que les grands projets spatiaux peuvent devenir de formidables programmes mobilisateurs pour la jeunesse. C’est ainsi qu’ils sont perçus en Inde, en Chine, et, bien entendu, aux États-Unis grâce au programme de conquête de Mars à l’horizon 2030.
Quel meilleur moyen pour éviter la fuite des cerveaux que de faire rêver une jeunesse en manque de perspectives, en attente de vocations, tout en donnant une réalité à ces rêves ! Quand on apprend que la Nasa vient de créer un fonds d’investissement exclusivement dévolu au financement des technologies nécessaires à la conquête de Mars et, que de surcroît, elle en a confié la direction à un Français, on se prend à imaginer les immenses possibilités qui s’offrent aux Européens pour peu qu’ils veuillent bien s’en donner la peine !
L’Europe doit reprendre le chemin de l’aventure. C’est affaire de volonté politique et de mobilisation en profondeur, par tous les moyens disponibles d’une pédagogie politique de masse, du demi-milliard d’habitants qu’elle est sur le point de compter aujourd’hui. À cet égard le rôle joué par la très influente Mars Society américaine, auprès des jeunes notamment, mérite d’être médité, tout comme la récente initiative prise conjointement par Google et la Nasa, visant à mettre à la disposition du grand public les images de l’exploration spatiale.
Il est essentiel de rendre à l’effort spatial européen son élan de jadis, en lui donnant toute sa dimension politique et géopolitique, mais probablement aussi sa dimension onirique, car lorsque la politique et la science ne font plus rêver, il n’est plus ni de science ni de politique. Conquérir l’espace c’est « réenchanter » le monde, c’est « réenchanter » aussi la politique, impérieuse nécessité en ces temps de désarroi.
Jean-Claude Empereur
L’Europe doit affirmer sa souveraineté dans l’espace
L’Europe doit devenir une puissance spatiale capable de faire jeu égal avec les États-Unis. L’ambition paraîtra démesurée car, depuis trente ans, ces derniers se sont donné les moyens d’une domination quasi absolue dans l’espace. Ils n’entendent pas la perdre, comme le montre la déclaration récente du président Bush en date du 31 août 2006, définissant une nouvelle politique spatiale. Ce texte affirme que la souveraineté des États-Unis dans l’espace est pour eux un droit inaliénable. Nulle nation ou entreprise ne sera autorisée à la contester (2). En cette fin d’année 2006 par ailleurs, les ambitions de la Nasa sur la « conquête et l’occupation durable de la Lune » viennent d’être annoncées : elle appelle à concourir à ce projet d’autres Agences, mais précise clairement qu’elle en conservera la maîtrise absolue. Autrement dit, la collaboration annoncée ressemble étrangement à l’opération du F35 Joint Strike Fighter, grâce à laquelle pendant près de quinze ans, le département de la défense a réussi à paralyser toute l’industrie mondiale de l’aviation militaire (hors Dassault).
Contester la domination américaine
Cela étant dit, nous affirmons ici que l’Europe ne doit pas accepter ces prétentions américaines visant à l’enfermer dans un rôle secondaire. Elle doit rivaliser point par point, en utilisant ses moyens propres, avec les puissances spatiales dominantes, qu’il s’agisse de l’Amérique aujourd’hui, de la Chine demain ou des autres puissances spatiales émergentes.
L’Europe est encore une puissance spatiale, car elle bénéficie d’investissements décidés dans les dernières décennies. La France a été le principal moteur de la politique spatiale européenne, suivie (de loin) par l’Italie et l’Allemagne. La participation individuelle des autres pays européens reste symbolique. Elle s’exprime collectivement au sein de l’Agence spatiale européenne (ESA) et des crédits affectés à l’espace par l’Union européenne.
Malheureusement, les décisions budgétaires des ministres européens de l’espace, en préparation pour 2007-2008, risquent de ne permettre au mieux que la reconduction des actions en cours, sans garantie de continuité au-delà des quatre à cinq ans à venir. Or ne pas progresser signifie reculer. Par ailleurs, la dimension stratégique des politiques spatiales a considérablement changé depuis quelques années. La politique spatiale devient une composante essentielle de l’avenir des civilisations, sous trois dimensions prioritaires désormais non séparables : la sécurité et la défense, la protection contre les crises environnementales, la fourniture de nouveaux services aux activités humaines.
Les politiques spatiales ont par ailleurs un effet moteur de plus en plus grand sur la recherche scientifique, l’innovation technologique et, au-delà, sur la dynamisation des imaginaires. Les programmes d’exploration de l’espace et des planètes, robotisés puis humaines, jouent désormais un rôle déterminant en ce sens.
On peut donc affirmer que sans une politique spatiale ambitieuse, il ne peut plus exister de grande puissance géopolitique. Il n’existe que des « nains géopolitiques ». C’est ce qu’ont parfaitement compris les États-Unis depuis les origines. Mais dans cette volonté de domination, les puissances émergentes, Chine et Inde, sont décidées à ne laisser aucun monopole à l’Amérique. Le Japon et la Russie, de leur côté, réactivent leurs politiques spatiales traditionnelles.
L’Europe seule, tant au niveau des États qu’à celui des institutions européennes, n’a pas pris conscience de ces nouveaux défis. Elle est en train de devenir un des « nains politiques » évoqués ci-dessus, faute de savoir se donner les ambitions spatiales à la hauteur des enjeux de survie.
La France, pour ce qui la concerne, au lieu de continuer à jouer au sein de l’Europe le rôle de leader reconnu et accepté qui avait été le sien, semble hésiter. Les gouvernements récents n’ont pas donné à l’espace la priorité qui s’imposait. Ils n’ont pas su convaincre les opinions de la nécessité de le faire ; mais en sont-ils seulement convaincus eux-mêmes ? La période électorale qui s’ouvre pourrait sans doute être une occasion de rebond, mais elle pourrait aussi marquer l’enterrement définitif des ambitions spatiales françaises.
Cependant, la France ne peut jouer seule durablement. La mise en sommeil du projet de Traité constitutionnel prive l’Europe des organes politiques nécessaires pour mener, hors de la contrainte de l’unanimité, une stratégie spatiale cohérente, financée avec les moyens suffisants. Il ne faut donc pas attendre un nouveau traité. En Europe et en France, les forces politiques qui veulent poursuivre le développement d’une stratégie spatiale de souveraineté européenne doivent s’entendre pour mener des politiques ambitieuses communes sous la forme de la coopération renforcée. Cela suppose de pouvoir s’appuyer sur les agences existantes l’Agence spatiale européenne (ESA) et l’Agence européenne de l’armement (AED), et surtout d’augmenter les budgets de ces agences sans faire appel au budget communautaire ; à commencer par les crédits affectés aux programmes en cours, Galiléo et GMES notamment. Cela permettra par ailleurs de mettre en place de nouveaux grands programmes bien individualisés capables de jouer le rôle de locomotives.
De nouveaux programmes spatiaux
Ces programmes devront dorénavant exploiter la dimension duale (défense et sécurité, militaire et civile) qui caractérise désormais tous les grands programmes spatiaux dans le monde. Il ne s’agit pas seulement de faire des économies mais d’atteindre un seuil global d’efficacité. Les retombées commerciales de ces programmes, si elles peuvent être intéressantes, ne doivent en aucun cas servir de critères de choix aux décisions. Il s’agit de programmes de souveraineté, entièrement régaliens, à financer comme tels.
Un de ces programmes devrait porter, dans le cadre de l’Agence européenne de défense, sur l’alerte avancée et la protection de l’espace spatial européen, ainsi que des intérêts vitaux de l’Europe dans le spatial.
Pour le moyen terme, l’équivalent du programme américain « Retour sur la Lune » devra être décidé, avec les importants investissements en lanceurs, orbiteurs, atterrisseurs, stations au sol, informatique de haute performance et robotique que cela suppose. Des collaborations internationales sont envisageables à cette fin, mais elles ne doivent pas porter sur des segments essentiels dont l’Europe se trouverait privée en cas de défaillance des partenaires.
Pour le plus long terme encore, un programme européen « Destination Lune » devrait être le banc d’essai d’un programme d’exploration robotique puis humaine visant la planète Mars.
Tout cela exige des enceintes politiques fortes qui n’existent pas encore. En France, il devra s’agir d’un Conseil de l’espace présidé par le président de la République. En Europe, il faudra mettre en place, dans le cadre des coopérations renforcées, un Conseil européen des chefs d’État pour l’Espace regroupant les pays décidés à investir (hors de tout esprit de « juste retour ») en proportion de leurs ressources. Il s’agirait aujourd’hui de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne, de la Belgique et du Luxembourg.
Les présidences successives de l’Union, assurée par l’Allemagne en 2007 puis par la France en 2008, devraient permettre d’afficher ces diverses ambitions et de prendre les mesures nécessaires.
Les Agences, notamment l’ESA, ont déjà entrepris de s’adapter aux nouvelles donnes technologiques et stratégiques. Ces réformes devront être encouragées par les pays leaders européens de l’espace.
Jean-Paul Baquiast
PanEurope France et l’espace
Le thème de la souveraineté européenne en matière spatiale peut faire l’objet de quelques remarques que l’on trouvera peut-être utopiques, mais qui correspondent en fait à la vision idéale que PanEurope-France se fait de la construction européenne dans ce domaine.
Une ambition européenne mesurée
La première remarque porte sur les ambitions actuelles de la PESD. On ne saurait contester les indéniables avancées réalisées en quelques années par l’Union européenne dans le domaine de la gestion des crises internationales et il est vrai que le dispositif dont elle s’est dotée fonctionne de façon très satisfaisante. Les structures politico-militaires de l’Union permettent désormais d’intervenir de façon précoce et efficace pour éteindre le début de l’incendie dès lors que survient une crise susceptible de dégénérer en conflit armé.
Modestie
On notera cependant que l’ambition de l’Union européenne reste modeste dans ses objectifs et dans les moyens mis en œuvre. L’objectif se limite au traitement des crises et laisse soigneusement de côté la question, ô combien délicate, de la défense collective des pays de l’Union qui reste l’apanage de l’Otan.
Quant aux moyens militaires eux-mêmes, que ce soient les 15 groupements tactiques multinationaux, les fameux GT 1500, susceptibles d’intervenir dès les prémices décelables de la crise, ou qu’il s’agisse de l’objectif 2003, la mise sur pied d’une force d’environ 60 000 hommes appuyée par 400 avions de combat et une centaine de navires de guerre, l’ambition européenne reste modeste à l’échelle d’un continent de 500 millions d’habitants et au regard de l’Europe-puissance que le mouvement PanEuropéen et d’autres encore entendent promouvoir.
La modestie de l’ambition européenne a une traduction très directe en termes d’espace militaire :
• Point d’agence européenne de renseignement stratégique, autonome et indépendante, reposant sur l’acquisition du renseignement par moyen satellitaire, afin d’analyser les menaces.
• Point de système véritablement européen en matière d’observation et de télécommunications militaires. Tous ceux qui existent sont en fait soit des systèmes nationaux, certes interopérables, soit des systèmes réalisés en coopération dans le cadre intergouvernemental ; mais ces systèmes travaillent au profit des États et non pas au niveau de l’Union elle-même.
• Point de projet spécifiquement européen de contrôle de l’espace pour se doter d’une hypothétique défense antimissiles.
• Enfin, bientôt mais pas encore de système européen de guidage et de localisation par satellite avant l’arrivée de Galiléo, dont l’accouchement reste encore bien difficile, notamment pour ses applications militaires.
Telles sont dans l’immédiat les conséquences du caractère mesuré de cette ambition.
Autonomie européenne de décision et de conduite ?
La deuxième remarque découle du constat précédent.
L’UE dispose-t-elle actuellement et disposera-t-elle à horizon visible d’une capacité autonome de décision et de conduite des opérations militaires lorsque l’Otan en tant que telle n’est pas engagée ? Poser la question, c’est donner la réponse et la détermination du Conseil européen d’Helsinki en décembre 1999 n’a pour l’instant pas eu de répercussion réellement déterminante sur la composante spatiale pourtant indispensable à une telle autonomie.
Il existe un décalage manifeste entre les déclarations de principes et la réalité non pas sur le terrain, mais dans les airs.
On notera en effet que la Stratégie européenne de sécurité adoptée par le Conseil de l’Union européenne en décembre 2003 (document intitulé « Une Europe sûre dans un monde meilleur ») fait une large place à la nécessité pour l’Europe de contrôler la prolifération des armes de destruction massive et des vecteurs susceptibles de les véhiculer. On y lit notamment qu’« une évaluation commune de la menace constitue la meilleure base d’une action commune ».
Une telle ambition supposerait un dispositif de contrôle très élaboré reposant en grande partie sur des observations d’origine satellitaire qui fait actuellement défaut.
Nucléaire militaire
Enfin, la troisième remarque, au caractère délibérément provocateur, porte sur ce qui est depuis des décennies un sujet tabou dans les enceintes européennes dès lors que l’on parle de défense. Il s’agit du nucléaire militaire et de la stratégie de dissuasion qu’il engendre. La prolifération nucléaire est pourtant un sujet d’actualité tant par le cas de la Corée du Nord que par celui de l’Iran ou d’autres encore qui nourrissent l’ambition de se doter de l’arme.
Au sein de l’Union, deux pays la possèdent, chacun utilisant ses propres réseaux satellitaires de guidage et de communication et il n’existe aucune volonté de coordination des politiques de dissuasion de ces deux acteurs et encore moins de mise en commun des moyens.
Un jour viendra, très lointain sans doute, où l’Union européenne en arrivera à l’idée qu’il lui est nécessaire de se doter d’une défense autonome et souveraine pour le cas où ses intérêts vitaux seraient menacés, notamment dans l’hypothèse où ceux-ci ne coïncideraient pas avec ceux des États-Unis. L’Europe voudra à terme — en tout cas, c’est le vœu que nous formons à PanEurope — prendre sa place de puissance souveraine dans le monde multipolaire dont les acteurs seront, peu ou prou, tous nucléaires : États-Unis, Chine, Inde, Russie, voire Iran ou d’autres, et ne pourra éluder la dimension nucléaire de la défense suprême. Dans cette perspective, encore très hypothétique et en tout cas lointaine, il faut dès maintenant — et plus qu’actuellement — porter à l’espace militaire tout l’intérêt qu’il mérite en tant que facteur de sécurité majeur, voire déterminant, et les acteurs politiques doivent définir en la matière une perspective sur le long terme et lui accorder une priorité compte tenu de son importance pour l’avenir de l’Union.
Général (CR) Jacques Favin-Lévêque
Sécurité et défense : les enjeux du programme Galiléo
Le projet Galiléo est stratégique pour l’Europe, tant au plan politique, économique ou technologique qu’en matière de sécurité et de défense.
Il existe actuellement dans le monde deux systèmes de radionavigation par satellites, l’un américain Global positionning System (GPS), l’autre russe (Glonass), partiellement opérationnel. Tous deux ont été conçus dans une optique militaire, et tous deux sont contrôlés et financés par des organismes militaires. Le GPS s’est progressivement ouvert aux applications civiles, dont le champ s’accroît très rapidement depuis quelques années. La Russie a la volonté de faire de même avec Glonass.
C’est à la fin des années 90 que l’Union européenne a pris conscience de l’enjeu stratégique d’un tel système et décidé de soutenir le programme Galiléo. Ce programme, financé par des budgets civils, vise à assurer l’autonomie de l’Europe, non seulement pour les applications commerciales de la radionavigation par satellites, qui exigent de plus en plus une continuité de service (non garantie par le GPS), mais aussi pour les applications gouvernementales.
Galiléo est ainsi le premier grand projet européen d’infrastructure, financé et contrôlé par l’Union européenne. Son envergure globale et sa nouveauté pour l’Europe en font un test de la coopération institutionnelle et industrielle au niveau européen.
L’utilisation des systèmes globaux de navigation par satellites pour la défense
La connaissance des informations précises de positionnement et de temps (synchronisation) devient fondamentale dans le domaine civil comme dans le domaine militaire (3). Les systèmes de navigation basés sur les signaux GPS constituent aujourd’hui les moyens les plus précis et les plus économiques pour la navigation, le positionnement et la synchronisation des systèmes d’armes.
L’emploi de récepteurs GPS capables de recevoir le signal militaire crypté GPS/PPS se généralise dans les forces militaires des États-Unis et de leurs alliés ayant reçu l’autorisation requise. Cette tendance est irréversible.
Jusqu’à ce que le système Galiléo soit déployé, la seule solution Global navigation Satellite System (GNSS) reste le GPS, dans la mesure où un accord bilatéral a été signé entre chaque utilisateur et les États-Unis. Les Européens dépendent totalement des décisions des Américains : ceux-ci peuvent unilatéralement, à tout moment, décider de couper ou de brouiller les signaux ouverts, ou d’interrompre la distribution des clés d’accès au signal crypté GPS/PPS. Cette doctrine américaine concernant l’usage du GPS est parfaitement logique, mais elle a de sérieuses conséquences politiques, économiques et industrielles pour les Européens. Seul Galiléo, grâce à ses caractéristiques, notamment le signal gouvernemental sécurisé, permettra à l’Europe d’acquérir sa pleine autonomie en la matière.
Un système européen civil qui peut répondre aussi aux besoins de sécurité et de défense
Les principes de Galiléo
Avec Galiléo, programme civil sous contrôle civil, l’objectif de l’Europe est de disposer d’un système de positionnement et de datation européen autonome et robuste, de couverture mondiale, fournissant un signal précis, compatible et interopérable avec les systèmes existants GPS et Glonass, avec une garantie de continuité de service et un message d’intégrité.
Les cinq services de Galiléo
Galiléo fournira cinq services, validés par le Conseil des ministres de l’UE en décembre 2004 : un service ouvert, Open Service (OS), disponible gratuitement pour tout utilisateur ayant un récepteur Galiléo ; un service commercial, Commercial Service (CS), qui offrira des prestations à valeur ajoutée moyennant le paiement d’un droit ; un service de sauvegarde de la vie humaine, Safety of Life (SoL), comportant une information d’intégrité du signal de haut niveau, pour des applications telles que la navigation aérienne ; un service gouvernemental réglementé, Public regulated service (PRS), accessible aux autorités publiques en toutes circonstances, qui constituera un outil essentiel pour la gestion de crises et les activités gouvernementales ; enfin un service de recherche et secours, Search and Rescue (SAR), qui apportera d’importants avantages par rapport aux systèmes actuels, notamment en matière de précision de localisation et de retour d’information vers le « naufragé ».
La sécurité du système : un enjeu majeur pour l’Europe
Galiléo sera une infrastructure stratégique nécessitant la mise en œuvre de mesures de sécurisation spécifiques et rigoureuses. Comme le font les États-Unis pour le GPS, l’UE et les États membres seront en mesure de contrôler l’utilisation de l’information, de refuser l’accès des signaux à des utilisateurs malintentionnés, de garantir la disponibilité du service PRS pour les utilisateurs gouvernementaux autorisés, notamment en situation de crise, et de protéger les installations critiques.
Il importe en effet que les capacités de positionnement et de navigation offertes par le système Galiléo ne puissent être utilisées pour nuire aux intérêts de l’Union européenne, de ses membres ou de leurs alliés. L’UE doit donc être en mesure de faire face à des tentatives de déstabilisation ou d’usage hostile du système.
Il importe en outre que les services gouvernementaux puissent continuer à utiliser en toute sécurité et sans dégradation de performances l’information de positionnement et datation du système. C’est la raison de l’existence du service sécurisé PRS, qui fournira un signal crypté et résistant contre les risques de brouillage et de leurrage. Grâce au cryptage, seuls les utilisateurs autorisés auront accès au PRS, comme pour le signal militaire du GPS. Cela suppose une organisation de gestion des clés d’accès appropriée, cohérente avec le niveau de sécurité élevé requis pour l’ensemble du système.
La crédibilité et le succès commercial du projet Galiléo reposent largement sur les caractéristiques de l’infrastructure et des opérations du système en matière de sécurité et sur l’existence du service gouvernemental sécurisé, partie intégrante de l’architecture de sécurité.
Les applications de sécurité et de défense du PRS
Galiléo est un programme civil sous contrôle civil, géré dans le cadre du premier pilier de l’UE. Cependant, le Conseil des ministres de l’UE s’est bien gardé de toute exclusion dans les usages gouvernementaux du PRS ; service gouvernemental qui doit pouvoir être utilisé par tous les acteurs gouvernementaux qui le souhaitent, en particulier le département de la défense.
Les usages de défense ne nécessitent aucune modification du système, ils ne généreront donc aucun surcoût pour le système. Cependant, il importe que les États utilisateurs acquièrent un niveau de confiance élevé dans les performances et le niveau de sécurité du système, notamment pour le PRS, tant au niveau technique qu’au niveau opérationnel, et que ce niveau de sécurité soit reconnu par nos principaux alliés : c’est un des enjeux du projet Galiléo.
L’UE a adopté en juillet 2004 une action commune mettant en place le cadre nécessaire à la prise de décision en cas de crise : en cas d’urgence, le haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune prendra les décisions nécessaires concernant l’utilisation du système. Galiléo sera ainsi le premier outil européen au service de la Pesc.
Interopérabilité et complémentarité avec le GPS
Cependant, l’UE souhaite que Galiléo et GPS restent inter-opérables et complémentaires (objectif de redondance). L’accord de coopération, signé entre l’UE et les États-Unis en juin 2004, pour la promotion, la fourniture et l’utilisation combinée des signaux Galiléo et GPS, a ouvert de nouvelles perspectives. Cet accord permet la superposition des signaux ouverts et la juxtaposition des signaux sécurisés ; et à terme l’UE et les États-Unis visent à mettre en œuvre le même signal ouvert optimisé.
Les utilisateurs pourront recevoir les signaux sur le même récepteur. L’Union européenne tient beaucoup à cette complémentarité et cette interopérabilité entre Galiléo et GPS. Des études de simulation ont montré que les utilisateurs peuvent en attendre des améliorations significatives : précision, disponibilité de service, intégrité, sécurité, robustesse (résistance au brouillage ou au leurrage), etc.
Conclusion
En lançant le programme Galiléo, l’Union européenne a clairement indiqué sa volonté d’acquérir son autonomie dans le domaine des systèmes globaux de navigation par satellites (GNSS) et a progressivement pris conscience de l’importance des questions de sécurité.
Première grande infrastructure stratégique mise en place par l’Union européenne, le système Galiléo disposera des caractéristiques nécessaires lui permettant de générer de multiples applications, non seulement pour le marché de masse et le marché commercial, mais aussi dans le domaine de la sécurité et de la défense. Galiléo sera ainsi le premier outil européen au service de la politique étrangère et de sécurité de l’UE.
Il reste, bien entendu, à déployer en totalité ce système et à acquérir la confiance des utilisateurs en faisant la preuve de ses apports et de son haut niveau de sécurité. C’est en effet l’utilisation effective de ce système, à la fois en Europe et dans le monde, qui en fera son succès.
Patrick Bellouard
Le programme européen GMES, enjeu de souveraineté
La capacité scientifique et technique est un rouage essentiel de l’expression moderne de la souveraineté.
La souveraineté, c’est la capacité d’agir de l’État, aux plans politique, social et économique, tant au niveau national qu’au niveau international. Sans le contrôle de certaines technologies, la souveraineté, tout simplement, ne peut pas être exercée.
Les grandes puissances en sont convaincues : l’espace est un outil de souveraineté. Les États-Unis avec le concept de Space Dominance, la Russie, et les puissances émergentes, en premier lieu la Chine, l’Inde, et dans une moindre mesure des pays comme le Brésil augmentent d’année en année leurs budgets spatiaux. À titre d’exemple, le citoyen américain dépense dans le spatial plus de 100 euros par an alors que le citoyen européen n’en dépense que 15.
Une stratégie autonome
Le moyen d’assurer une souveraineté européenne est d’adopter résolument une stratégie autonome, mais non hégémonique grâce à une volonté politique pour un programme spatial ambitieux.
La commission européenne, les États membres, et l’Agence spatiale européenne (ESA) élaborent en ce moment la politique spatiale européenne. La lecture de certains documents préliminaires montre qu’il reste du travail à faire pour aboutir à une politique spatiale suffisamment forte et concrète.
La France, pionnier et acteur essentiel de l’espace en Europe, a montré la voie par ses succès, les systèmes Spot, Hélios, Syracuse. La France et l’ESA ont montré la voie pour un accès garanti à l’espace avec le programme Ariane. Les États réunis dans l’agence Eumetsat et l’ESA ont montré la voie d’un usage international de l’espace tout en préservant les acquis technologiques et scientifiques européens.
Une vision européenne
Manifestement, aujourd’hui la volonté politique européenne pour un espace fort et donc une Europe forte n’est pas suffisamment solide. Les programmes européens Galiléo, GMES existent, se développent, mais les budgets européens restent à un niveau qui ne permet pas une vision souveraine de l’Europe. Nous attendons de la politique spatiale européenne la vision que les citoyens européens méritent.
Une vision : pour une exploration scientifique de l’espace à la recherche d’exoplanètes, des origines de l’univers, et des mécanismes des grands phénomènes stellaires ; pour une place forte de l’Europe dans la coopération scientifique internationale ; pour des avancées technologiques gages de création d’emploi et de richesses par le marché commercial de l’espace et de ses applications ; qui doit s’exprimer par des propositions de programmes ambitieux pour un usage indépendant de l’espace au service du citoyen européen.
L’Agence spatiale européenne, bras armé de l’Europe, a engagé sa réflexion sur les réformes qui lui permettront de développer les futures infrastructures spatiales, d’assurer le rôle d’architecte d’ensemble et de concrétiser la politique européenne par des programmes scientifiques et applicatifs.
Avec son Agence spatiale le Centre national d’études spatiales (Cnes), la France doit être un moteur puissant de l’Europe spatiale par sa vision stratégique, ses propositions de programmes et d’applications, et par sa volonté de réaliser un vrai réseau des centres techniques européens.
En matière de préparation de la nouvelle politique spatiale européenne, soyons conscients que les échéances sont à très court terme. La politique européenne de l’espace sera proposée fin janvier 2007 pour une adoption en mai 2007.
La conférence ministérielle de l’ESA en 2008 décidera de la réforme de l’Agence spatiale et devra obtenir la mobilisation des pays européens pour de nouveaux programmes. Cette conférence dressera par ses décisions majeures le paysage spatial européen pour les années futures.
Global Monitoring for Environment and Security (GMES)
Quel devra être ce paysage européen pour l’environnement et la sécurité du citoyen européen ?
Pour garantir son autonomie politique et préserver ses intérêts économiques dans la négociation internationale, l’Europe se doit de disposer de capacités d’observation, d’analyse et d’évaluation indépendante. Cette indépendance est également nécessaire pour vérifier le respect des traités par tous les signataires. C’est l’enjeu fondamental et fondateur du programme, Global Monitoring for Environment and Security (GMES).
Au XXIe siècle, les questions d’environnement et de sécurité prennent une place très importante dans les préoccupations quotidiennes des citoyens. La place accordée tant dans l’agenda politique que dans les médias démontre à quel point est essentielle la problématique liée au développement durable.
Il s’agit donc pour GMES d’établir une capacité européenne de surveillance mondiale pour l’environnement et la sécurité. Les enjeux en sont multiples : humains, économiques et politiques.
GMES a ainsi vocation de constituer, à terme, un système exhaustif d’aide à la décision publique, capable d’acquérir, de traiter et de diffuser des informations utiles pour affronter ces enjeux.
Les technologies spatiales sont un outil idéal pour une surveillance globale, permanente et fiable de l’environnement, de l’atmosphère, des océans et des terres émergées.
Disposer de toutes les compétences
Pour atteindre les objectifs de GMES, Alcatel Alenia Space (AAS) dispose de toutes les compétences relatives au segment spatial, au segment sol et aux systèmes de bout en bout.
Dans le domaine de la météorologie, Alcatel Alenia Space est maître d’œuvre pour l’agence Eumetsat des satellites Meteosat, de l’instrument Iasi (Interféromètre atmosphérique de sondage infrarouge) qui établit les profils de température et d’humidité de l’atmosphère et des infrastructures sol qui permettent de diffuser les données.
L’océanographie est une compétence mondialement reconnue d’AAS, les programmes Topex et Jason supportent le développement de l’océanographie opérationnelle et leurs données contribuent à la compréhension du climat et au développement des capacités de prévision.
Nous sommes également très fortement impliqués dans les programmes d’observation de la Terre qui utilisent les technologies les plus avancées, tant dans le domaine optique (Spot, Hélios, Pléiades, Envisat), que dans le domaine radar (Cosmo-SkyMed).
Disposer des technologies des satellites ne suffit pas, il est aussi nécessaire de maîtriser leur mise en œuvre et de les exploiter dans un environnement de technologies multiples : images, réseau de données, réseau de coordination, données issues de capteur sol.
Alcatel Alenia Space dispose des meilleures compétences dans ce domaine, au niveau le plus complexe d’intégration, comme le démontre le rôle que nous jouons dans le programme d’observation Cosmo-SkyMed dont nous sommes le maître d’œuvre. Ce système est la composante italienne de la coopération franco-italienne Orfeo. La composante française étant Pléiades. Cosmo-SkyMed met en œuvre les technologies de radar imageur pour assurer une couverture tous temps de la Terre entière. Alcatel Alenia Space est chargé de la réalisation de l’ensemble des composantes de ce système.
La connaissance est une composante nécessaire pour assurer la sécurité du citoyen européen. Un autre défi pour une Europe souveraine est de disposer de la capacité d’intervenir en toutes circonstances, et notamment dans les situations les plus difficiles dans et hors de nos frontières.
Les satellites sont un élément indispensable pour la gestion des crises de tous ordres, les défis humanitaires, les catastrophes environnementales alors que les infrastructures de communication et de transport terrestres sont détruites ou endommagées.
Un exemple simple de nos réalisations est le conteneur humanitaire Emergesat développé avec le Cnes, qui intègre toutes les fonctions de base en support à l’action humanitaire projetée : les communications (satellites et radio), la télé-médecine, la localisation, des moyens de vidéo conférence et de partage de données. Déposé par hélicoptère sur la zone de crise, il est déployable en quelques minutes.
Sécurité environnementale
Les outils spatiaux sont au cœur de la sécurité environnementale de l’Europe et de la terre entière.
Par leurs capacités en matière d’observation de la Terre, de télécommunication et de localisation, les satellites permettent d’intervenir dans toutes les plages d’une gestion de crise : la prévention, la prévision, l’alerte, la phase de crise et la phase post-crise.
Un programme comme GMES n’est pas seulement une question de déploiement d’infrastructure. Il s’agit aussi de disposer des acteurs opérationnels qui exploiteront les systèmes et les applications et fourniront les services.
Il est maintenant temps de mettre en place les conditions de maintien opérationnel de deux grands volets du programme GMES avec : une coordination européenne des protections civiles, afin de contribuer à la sécurité du citoyen européen vis-à-vis de risques qui se jouent des frontières ; une agence européenne d’océanographie opérationnelle qui exploitera les solutions actuelles et futures qui viennent compléter les systèmes spatiaux de météorologie.
L’ESA a su avec succès confier à des opérateurs l’exploitation opérationnelle de différents systèmes. Citons Eumetsat pour la météo et Eutelsat pour les télécoms. Inspirons-nous de ces exemples.
Pascale Sourisse
Observation de la Terre : le programme Cosmo-Skymed
Le développement qualitatif évident des services offerts par les plates-formes spatiales rend ces outils de plus en plus importants pour l’enrichissement et la consolidation du patrimoine cognitif des différents pays, dont on peut bénéficier à des fins et usages aussi bien militaires que civils. Ce domaine est, en fait, en expansion permanente sous l’angle qualitatif ainsi que pour ses possibles applications, entraînant des retombées sur une vaste gamme de domaines d’activité. À l’heure actuelle, les activités embrassent nombre de secteurs qui représentent un élément capital pour la situation informative : du contrôle de l’environnement à la production de cartographie, du champ de l’identification et de la vérification des ressources à celui des systèmes de communication, de l’aide à la navigation aux applications à des fins de renseignement.
La comparaison entre la dépense publique européenne et américaine dans le domaine spatial montre que l’Europe se place globalement, à l’échelle mondiale, largement au deuxième rang, avec un ratio d’environ 1 à 4,5 par rapport aux États-Unis ; mais une différence importante ressort entre le monde civil et le monde militaire : en effet, pour l’investissement civil européen, le ratio est de 1 à 2,5 par rapport à celui américain, tandis que, dans le domaine militaire, ce ratio se réduit à environ 1 à 20.
Après avoir pris acte de cette situation au niveau européen, il faut considérer que la mondialisation, à côté du nouveau scénario des relations internationales, a amené à surmonter plusieurs des incompréhensions du passé. Le thème des technologies applicables pour satisfaire aux nouvelles caractéristiques globales de sécurité peut aujourd’hui être abordé ouvertement et sans embarras : on est tous persuadé qu’à une menace transversale il faut répondre avec autant de transversalité, en harmonisant et en partageant les outils, y compris technologiques, aptes à la contrecarrer. À cette fin, nous devons être en mesure de définir conjointement les ripostes opératives aptes à faire face à ces défis, en regroupant nos ressources et en ayant de plus en plus recours aux innovations technologiques et à des politiques d’approvisionnement efficaces.
À cette intention, il faut exploiter les niches d’excellence technologiques, industrielles et opérationnelles, rendant efficace, compétitive et productive la base industrielle correspondante, à travers des processus de dépense intelligente exploitant au mieux le concept de best value for money moyennant la mise en œuvre de capacités technologiques au rapport coût-efficacité particulièrement performant.
Le principe étant désormais acquis que la sécurité est un besoin commun que tous les citoyens ont le droit d’exiger de la part des institutions, la séparation sanctionnée dans le passé au sein du domaine spatial entre le monde civil et le monde de la défense et celui de la sécurité disparaît.
L’espace est, bien au contraire, un secteur dans lequel il y a beaucoup de points en commun entre technologie militaire et civile, ce qui permet une meilleure exploitation du concept d’application « duale » et entraîne la synergie entre les deux mondes, en vue d’obtenir des systèmes technologiquement plus avancés à un coût inférieur, ce qui comporte des avantages évidents pour les deux.
La connaissance de la situation
Le premier pas à franchir est, en tout cas, celui de la « connaissance de la situation », et à cette fin, les technologies et les systèmes innovateurs qui entrent en jeu dans ce domaine concernent surtout les secteurs de l’observation de la Terre (et des capteurs y associés) et des télécommunications. Il s’agit de technologies et de systèmes souvent « duaux » qui peuvent, donc, faire l’objet d’échanges parmi des pays et des organisations différents, aussi bien dans le domaine des connaissances de base que dans celui de l’exploitation des ressources disponibles.
Observation de la Terre
Aujourd’hui en tout cas, même si la complémentarité des différentes sources d’information est incontestable et la connaissance et l’évaluation de la situation est toujours fondée sur la synthèse de données provenant de l’ensemble des sources, celle qui prend de plus en plus d’importance est indubitablement la collecte d’images d’origine satellitaire qui, de par leur nature, peuvent aisément être intégrées dans une dimension globale, ce qui entraîne la réduction des délais de traitement de l’information.
Dans ce cadre, les programmes de l’observation de la Terre revêtent une importance capitale ; en effet, les récentes crises internationales ont mis en lumière la nécessité de disposer de systèmes d’observation en mesure de fournir un cadre de situation fiable et complet, apte à satisfaire aux besoins de l’ensemble des acteurs engagés sur des scénarios territoriaux de plus en plus vastes.
Les images satellitaires, depuis longtemps très exploitées lors des engagements militaires classiques, notamment en vue de la préparation et de la projection des forces dans les théâtres d’opérations, ont récemment acquis une importance renouvelée et accrue, en s’affirmant en tant que source première de renseignement et de données pour l’accomplissement de la mission institutionnelle confiée aux organes préposés à la défense et à la sécurité nationales.
De plus, les récents attentats terroristes sur la scène internationale ainsi que la lutte pour l’affirmation de la maîtrise de l’information ont mis en évidence combien il est important que le niveau décisionnel puisse disposer, dans les plus brefs délais, d’un cadre de situation exhaustif en mesure de représenter n’importe quel théâtre d’opérations mondial. Cela signifie que les systèmes spatiaux doivent, de plus en plus, constituer un ensemble homogène, pleinement intégré avec les systèmes « non spatiaux », en vue de l’obtention de capacités adaptées aux besoins de l’utilisateur final.
L’un des avantages majeurs du satellite réside dans sa discrétion, car il permet, à la différence d’un aéronef, d’obtenir des renseignements concernant des zones géographiques n’importe où dans le monde de manière discrète et non intrusive, grâce à sa capacité de ne pas violer l’espace aérien. La maîtrise de l’information, allant de pair avec la supériorité aérienne, navale et terrestre, est, par conséquent, assurée par la supériorité spatiale, pour satisfaire les besoins militaires et en renseignement pendant le temps de paix ou de crise et, lors d’opérations, pour soutenir l’activité nationale dans les domaines politique, économique, diplomatique, de sécurité et de défense.
De plus, les systèmes spatiaux se prêtent bien à utiliser au maximum le concept de partage des ressources (resource sharing) ; en effet, alors que pour les autres moyens aussi bien militaires que civils il semble presque impossible de partager les ressources entre deux partenaires différents (par exemple il est impossible de partager en temps réel l’emploi opérationnel du même bateau ou du même avion) ; en revanche, grâce à la technologie satellitaire, il est possible aujourd’hui de partager totalement l’emploi du même système satellitaire entre partenaires différents, tout en respectant les aspects relatifs à la sécurité.
Il sera possible ainsi d’appliquer avec les systèmes satellitaires le concept de « partage des ressources » avec tous les avantages de cette situation afin d’augmenter les collaborations du secteur dans le contexte international.
Le programme Cosmo-SkyMed
Le programme Cosmo-SkyMed est un exemple concret d’application « duale », susceptible d’être exploité aussi bien pour des exigences institutionnelles (maîtrise des risques environnementaux, sécurité et défense) que pour des applications scientifiques et commerciales.
Ayant vérifié, au cours de la réunion bilatérale, que le ministère de la Défense français avait un besoin semblable à son homologue italien, et prenant en compte les besoins civils (ministères de la Recherche italien et français), les deux chefs de gouvernement ont signé à Turin, en 2001, un Accord pour l’observation de la Terre à usage dual, fondé sur des programmes avec des capteurs radar italiens (4 satellites Cosmo-SkyMed) et optiques français (2 satellites Pléiades). Suite à la ratification du Parlement, l’accord est devenu loi de l’État en janvier 2004.
L’Accord intergouvernemental a même permis à la Défense italienne d’avoir accès au système militaire français Hélios II, en échange de l’accès de la défense française au mode militaire de Cosmo-SkyMed ; c’est ainsi que l’on a réalisé en Europe un échange de moyens satellitaires entre deux pays, concernant deux systèmes développés chacun avec ses propres ressources nationales.
Le ministère de la Défense italien et l’Agence spatiale italienne ont donc su saisir les opportunités qui se sont présentées sur le nouveau scénario international. En effet, même si le concept « dual » représente sur le papier une excellente solution, il n’existe pas, aujourd’hui, de systèmes d’observation de la Terre dotés de cette capacité (si ce n’est comme retombées a posteriori du secteur civil ou militaire sur l’autre). Cosmo-SkyMed représente donc la première application « duale » d’observation de la Terre.
Conclusion
Pour conclure, nous pouvons affirmer que la Défense italienne, malgré la pauvreté de ses ressources, a les idées claires en matière d’objectifs à atteindre dans le domaine spatial, à l’horizon 2015, dans un cadre européen. Notre intention est d’exploiter l’expérience positive de coopération notamment avec les pays partenaires des programmes Hélios I et Hélios II, pour lancer de nouveaux programmes européens dans le domaine de l’observation de la Terre Multinational Space-based Imaging System (MUSIS) et des télécommunications, Sicral 2 & Athena-Fidus (Franco Italian Dual Use System).
On souhaite également valoriser au maximum le succès de la collaboration avec l’Agence spatiale italienne dans le cadre du programme Cosmo-SkyMed, en s’inspirant d’elle pour mettre en œuvre, même au niveau européen, la « dualité », dans toute l’acception du terme, à travers une collaboration entre le monde civil et le monde de la défense et sécurité.
L’espace représente donc une dimension stratégique, contribuant à obtenir l’objectif de rendre compétitive l’économie européenne, à travers une synergie de plus en plus poussée entre le monde civil et le monde militaire avec les applications « duales » en mettant l’accent sur l’innovation, les sciences, la recherche spatiale, l’observation de la Terre et les télécommunications.
Amiral Roberto Leonardi
Discours de clôture
L’espace, il faut le rappeler, est un enjeu stratégique pour la France et pour l’Europe ; un enjeu essentiel à la fois pour les possibilités d’application qu’il offre et pour notre sécurité. Le Cnes s’attache depuis quarante ans à mettre en œuvre d’une façon ambitieuse et réaliste les orientations définies par les gouvernements successifs.
L’espace, grâce aux efforts entrepris, bénéficie aujourd’hui au grand public pour une part essentielle : nous pensons à la navigation par satellites, à l’observation de la Terre, aux prévisions météorologiques, aux acquis de la télémédecine qui apportent protection et garanties aux personnes seules et vulnérables. Chacun sent bien que les applications quotidiennes de la conquête spatiale sont nombreuses. Les grands défis de l’avenir, la fracture écologique, le développement durable, la réduction de la fracture « Nord-Sud » sont par ailleurs étroitement liés aux technologies spatiales. Pourtant, les bénéfices que l’on peut tirer de la maîtrise de l’espace restent sous-exploités, les possibilités d’application étant considérables. La fiabilité de nos systèmes spatiaux est le fruit d’une longue politique d’investissement en recherche et développement poursuivie avec une grande intelligence et une faculté d’anticipation remarquable, depuis plus de quarante ans.
L’espace est également un enjeu pour notre défense et notre sécurité et il nous faut poursuivre la réflexion engagée sur ce thème avec nos partenaires européens.
La réflexion se poursuit ailleurs dans le monde. Aujourd’hui la politique spatiale américaine rendue publique récemment par le président Bush affiche une attitude plus volontariste, en mettant l’accent sur le space control et la défense spatiale. D’autres grands partenaires dans le monde sont engagés ou ont des ambitions dans le domaine spatial.
Comme nous le savons les budgets d’investissements publics consacrés à l’espace sont six fois plus importants aux États-Unis ce qui leur donne une avance importante et durable. Le risque d’un décrochage technologique est à craindre : il aurait pour conséquence de placer notre industrie dans une situation de sous-traitance inadaptée et de marginaliser l’Europe dans un domaine essentiel pour son avenir. C’est aussi notre autonomie qui est ici en jeu.
Face à un tel différentiel de puissance, la France ne peut agir seule. Le cadre européen constitue le champ naturel de la coopération internationale, comme le prouve la réussite du modèle de l’Agence spatiale européenne (ESA) qui s’est engagée, en décembre 2005 à Berlin, à utiliser les lanceurs européens pour ses propres satellites. Le président de la République s’est exprimé à Cannes en mars 2006 en précisant qu’il en serait de même pour nos propres satellites gouvernementaux. L’ensemble des États européens, et d’abord l’Allemagne et l’Italie, sont aujourd’hui invités à suivre cette voie. Nous devons faire en sorte que la valeur ajoutée des satellites en matière de sécurité et d’objectifs opérationnels soit mieux prise en compte à l’échelle européenne. L’expérience française des systèmes spatiaux à usage militaire doit être un aiguillon pour l’Europe de la défense.
S’impliquer
L’Europe doit s’impliquer en priorité pour une meilleure compréhension entre les grands acteurs de l’espace et un renforcement de la coopération au service de la sécurité. Différentes idées sont sur la table. L’une d’entre elles, qui mérite d’être explorée plus avant, serait celle d’un code de « bonne conduite » ou de « bonnes pratiques ». Les Européens doivent avoir toute leur part dans cette réflexion. Nous devons également être davantage en mesure de tirer pleinement parti des technologies spatiales afin de renforcer la sécurité dans les relations internationales.
L’espace est un enjeu à forte dimension européenne. Notre situation de chef de file a une signification dans la mesure où elle permet d’exercer un effet d’entraînement sur nos partenaires européens. Toute action qui consisterait à maintenir ou accentuer notre position privilégiée aux dépens de la solidarité européenne serait mal comprise. Pourtant, comme l’ont montré les réflexions de cette journée, de nombreux défis sont à relever à très court terme pour relancer le processus de définition d’un outil spatial européen et promouvoir la notion concrète d’autonomie stratégique européenne.
Galiléo est une bonne illustration de la capacité de l’Europe à se mobiliser au service de grands projets innovants. C’est pour assurer son autonomie et son indépendance dans une technologie dont les applications vont occuper une importance croissante, que l’Europe a décidé de construire son propre système de navigation par satellites.
La France a pris une part déterminante dans la conception et le lancement de ce projet. Il est aujourd’hui bien engagé. De nombreuses applications sont d’ores et déjà envisagées ou sont en cours de développement, grâce à des initiatives locales ou de la Commission européenne, qui publiera prochainement un Livre vert sur le sujet.
On peut déjà prévoir une très large gamme d’utilisations dans de très nombreux domaines, tels que les transports, l’agriculture, la surveillance et la protection de l’environnement, la sécurité civile et la lutte contre les incendies, la santé, la gestion des infrastructures…
Nous devons aujourd’hui veiller, avec nos partenaires, à ce que les négociations en cours du contrat de concession garantissent les objectifs et les ambitions du programme au niveau technique, tout en assurant un équilibre entre les engagements financiers du concessionnaire et ceux de la puissance publique européenne.
La coopération avec les pays tiers contribuera à faire de Galiléo le nouveau standard international auquel il pourra prétendre grâce au niveau de ses performances. Nous devrons bien sûr être attentifs à ce que cette coopération permette au système européen d’occuper la place à laquelle il a vocation sur les marchés institutionnels et commerciaux, sans pour autant mettre en cause la maîtrise des Européens sur cet outil et sa sécurité.
GMES (Global Monitoring of Environment and Security) est un autre grand projet fédérateur pour l’Europe. Il vise à contribuer pour une part essentielle à l’environnement et à la sécurité. Le dernier Conseil espace, rassemblant le Conseil compétitivité et l’Agence spatiale européenne en novembre 2005, en a établi la feuille de route ; démarrage concret de ce programme spatial européen d’observation. avec le lancement avant 2008 des trois services pilotes opérationnels, surveillance du milieu marin, interventions civiles d’urgence et surveillance des terres émergées.
Deux autres services opérationnels devraient être lancés dans les mois qui viennent, d’abord le service Atmosphère, qui s’intéressera à la qualité de l’air, à l’effet de serre et à l’ozone. Conformément au choix des pays européens en matière de développement durable, conformément au Protocole de Kyoto, il s’agit là d’engagements clairs de l’Union afin de promouvoir une véritable « conscience écologique mondiale ».
Viendra ensuite le service Sécurité dont le champ réel d’application reste à définir même s’il est déjà clairement entendu qu’il pourra contribuer pour une part essentielle à l’indépendance de l’Europe en matière de recours aux systèmes spatiaux en cas de situation critique. Ce service permettra à terme l’utilisation de l’observation spatiale et des systèmes associés dans la lutte contre les menaces terroristes, la prolifération, le crime organisé.
Le risque d’un usage offensif des satellites doit être pleinement pris en compte. Face aux enjeux de sécurité internationale liés à l’espace, la France définit sa politique à partir de trois principes ou idées de base : le libre accès pour tous à l’espace pour des applications pacifiques ; la préservation de la sécurité des satellites en orbite ; la prise en compte des intérêts légitimes de défense des États.
Cette position ne doit pas nous empêcher, dans le cadre européen, de renforcer notre autonomie stratégique et notre capacité de réaction face aux éléments de déstabilisation et d’insécurité, qui menacent les populations et les États dans leur ensemble. L’Europe spatiale doit enfin se renforcer sur le plan institutionnel.
L’Europe spatiale est au cœur de l’actualité et de l’agenda européen. Un certain nombre d’étapes décisives sur le plan institutionnel nous attendent dans les prochains mois. La présidence allemande de l’Union au premier trimestre 2007 coïncide avec la tenue d’un quatrième Conseil espace chargé d’élaborer et de présenter une véritable politique spatiale européenne, ainsi qu’un programme spatial pour la période 2007-2013.
La France se positionne aujourd’hui dans une stratégie d’ensemble impliquant l’Union européenne et l’Agence spatiale européenne. Elle souhaite que l’Union européenne assure pleinement ses obligations dans le domaine de l’espace et de la façon la plus efficace. Il s’agit d’encourager l’évolution des statuts de l’Agence afin d’en améliorer le fonctionnement et afin de faire face notamment aux enjeux de l’élargissement ; en d’autres termes de mieux répartir les missions en Europe entre les acteurs : l’UE financerait le déploiement des infrastructures spatiales et sol de taille européenne, en particulier le Centre spatial de Kourou ; l’ESA assurerait le développement initial des infrastructures spatiales européennes, en menant par exemple des actions de recherche et de développement ; les États, au sein de réseaux d’agences et de centres techniques comme le pôle spatial toulousain, contribueraient au développement des compétences dans les premières phases des programmes ainsi qu’au développement d’applications en aval ; les industriels, chargés de la maîtrise d’œuvre développeraient les marchés relatifs aux satellites et aux services.
Ce schéma n’a rien de figé, il n’a rien d’impératif : il s’agit de créer les conditions d’une vraie ambition européenne pour l’espace.
La France pour sa part s’attachera, lorsqu’elle présidera l’Union européenne, à promouvoir cette logique, à encourager le développement du GMES en vue d’en faire un programme opérationnel, mis au service de la sécurité des citoyens ; et le gouvernement veillera à faire très rapidement la synthèse de ces idées et propositions afin d’en parler à nos partenaires et de pouvoir être en mesure, au moment de notre présidence, de recommander des actions concrètes.
Je suis persuadé que rapprocher l’Europe des citoyens au moyen de projets visibles peut également passer par l’horizon spatial ; et qu’une pédagogie est possible permettant aux Européens de s’approprier un milieu qu’ils connaissent finalement assez mal.
Les enjeux environnementaux, la gestion des terres émergées, de l’océan, des catastrophes naturelles, du climat ou la sécurité des transports et des sites sensibles, par exemple, sont des sujets de préoccupation majeurs. Ils doivent servir une nouvelle ambition pour l’Europe spatiale, une ambition fondée sur une meilleure surveillance de l’espace et sur une gestion du trafic spatial maîtrisée et régulée.
La voix de l’Europe sur cette question doit reposer sur une approche concertée, multilatérale, garantie par des institutions comme le Comité des utilisations pacifiques en espace extra-atmosphérique (CUPEA). L’enjeu stratégique est clair : il est de savoir si la communauté internationale est disposée à se montrer solidaire afin de garder à l’espace son caractère sûr et stabilisant. ♦
(1) Presidential Decision Directive NSC/NSTC, National Space Policy, 31 août 2006.
(2) Déclaration de G.W. Bush : « Freedom of action in space » in US National Space Policy (www.ostp.gov/html/) ; consulter aussi cette page : www.technewsworld.com/. Cette déclaration et les commentaires de la Maison-Blanche et du Congrès qui ont suivi affirment plus ouvertement que jamais le droit des États-Unis à la domination de l’espace, et leur droit à en éliminer tous ceux qui représenteraient une menace voire seulement une concurrence en ce domaine.
(3) Armements guidés GPS : 5 à 10 % en 1991 (Golfe), 35 % au Kosovo, 70 % en Afghanistan, 80 % en Irak.