L’ambition de l’auteur de ce livre, universitaire et enseignant à l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, est de « donner des clés historiques de comparaison entre les univers islamique et européen en étudiant leurs repères temporels, spatiaux, sociaux, leurs références religieuses et leurs appartenances communautaires et politiques, et ce, à travers toute leur chronologie et toute leur géographie ». Le sous-titre du livre, « Histoire croisée de deux civilisations », donne bien la tonalité qu’Olivier Hanne a entendu donner à son travail : « Sur un sujet aussi complexe et aussi piégé [prend-il soin de nous avertir], si l’on ne veut pas raisonner à vide, il faut en passer par la notion de civilisation, car c’est bien de cela qu’il s’agit derrière l’impression d’apparente incompatibilité entre l’Europe et l’Islam : l’impossible rencontre entre deux univers dont les définitions englobent la religion, mais aussi la dépassent ».
Plus précisément, « en quoi les civilisations européenne et islamique ont-elles été différentes et le sont-elles encore ? Le sont-elles de manière générale ou existe-t-il des points d’accord et de comparaison qui permettent d’établir un dialogue, voire une vie commune, un “vivre ensemble” comme le veut l’expression actuelle ? ».
D’où les trois parties selon lesquelles s’articule le livre : les repères (« les marqueurs culturels qui donnent aux sociétés leur ancrage dans le temps, l’espace et la société ») ; les références (« les autorités invisibles [textes sacrés, lois morales, divinités] qui préexistent et donnent aux individus leurs injonctions quotidiennes ») ; les appartenances qui « fixent la personne dans un ensemble politico-religieux auquel elle doit s’identifier et participer ».
Il serait vain de tenter de résumer en peu de mots un ouvrage d’une telle densité. Nous n’évoquerons donc ici, à titre d’exemple, que deux réflexions particulières, l’une concernant la naissance d’une identité européenne, l’autre sur la notion de frontière.
Dans l’Europe naissante qui va de l’Espagne wisigothique jusqu’aux terres byzantines, il y a déjà, pour Olivier Hanne, une conscience d’appartenance. L’Européen a conscience d’appartenir à un tout qui peut être ramené à la romanité, sans doute plus qu’au christianisme. Ainsi, « l’affrontement avec l’islam va être le catalyseur d’une certaine identité européenne, comme si celle-ci s’était développée par opposition plutôt que sur une conscience positive ». La menace musulmane sur les littoraux de la Méditerranée aux VIIIe et IXe siècles a pour conséquence de fédérer les peuples chrétiens contre les « Sarrazins ». Le terme « Européen » pour désigner une identité apparaît en 754 dans une chronique anonyme de Cordoue à propos de la bataille de Poitiers de 732.
Si la frontière est absolument essentielle chez les Européens (« En Grèce et dans l’Italie ancienne, toute création urbaine commence par fixer ses limites sacrées, lesquelles deviendront ensuite ses murailles »), il en est différemment en terre d’Islam : « Parce que l’Islam puise ses références dans le monde sémitique oriental et dans le semi-nomadisme, la frontière n’existe pas ; le cœur de l’identité du groupe est confié à des villes symboles (La Mecque, Médine, Kerbala) et au divin que l’on transporte partout ». Cela a des incidences géopolitiques et explique notamment que la frontière en Afrique est restée parfaitement théorique jusqu’au XIXe siècle. ♦