
« Une vérité s’impose : la République islamique d’Iran, sous la férule des mollahs, a édifié une stratégie d’influence d’une sophistication redoutable ». Telle est cette vérité qui émerge d’une large enquête menée par deux grands reporters, spécialistes du Moyen-Orient en général et de l’Iran en particulier. En s’appuyant sur leurs observations et leurs recherches en France et au Moyen-Orient, et sur de nombreux entretiens avec des témoins allant du simple citoyen iranien au membre des services de renseignement occidentaux, La Pieuvre de Téhéran jette une lumière crue sur la stratégie d’influence iranienne qui, loin d’être un fantasme, est une arme utilisée par Téhéran depuis la fondation de la République islamique d’Iran (soit 46 ans) pour préserver ses intérêts à l’intérieur et infléchir le cours des événements à l’extérieur. Mais si cette stratégie est aussi vieille que le régime iranien, force est de constater que les attaques terroristes du 7 octobre 2023 et leurs conséquences ont marqué un regain d’agressivité de l’Iran dans son entreprise de déstabilisation de l’Occident, qu’il s’agisse d’intimider (assassinats ciblés, otages, désinformation) ou au contraire de faire preuve d’offensive de charme vers certaines cibles choisies, en particulier dans les milieux universitaires et politiques.
Pour comprendre les rouages de la manœuvre iranienne, les deux auteurs plongent en premier lieu dans le cœur du pouvoir de Téhéran, où les apparences sont souvent trompeuses et où hiérarchie ne rime pas forcément avec pouvoir. On y découvre la matrice idéologique du régime et sa filiation avec les Frères musulmans. On y comprend la place des Gardiens de la Révolution (Pasdarans) et des brigades de la force Al-Qods, poing du régime à l’extérieur de ses frontières. Et on y trouve la démonstration du lien très fort entre conservateurs et réformateurs, qui sont en réalité les deux faces d’une même pièce, alors même que de nombreux commentateurs occidentaux sont, selon les auteurs, leurrés par le mirage d’une possible réforme de l’intérieur grâce au courant « réformiste » auto-proclamé.
En deuxième lieu, Emmanuel Razavi et Jean-Marie Montali s’attachent à décrypter la grande variété des agents d’influence de Téhéran. Des agents qui sont parfois de vrais combattants aux ordres directs de Téhéran mais, bien souvent, des agents plus passifs, qui relayent, parfois malgré eux, les éléments de langage de la République islamique d’Iran. Les deux reporters nous montrent ainsi comment, depuis octobre 2023, le soutien à la cause palestinienne est devenu une caisse de résonance pour les arguments iraniens en faveur du Hamas et contre l’existence d’Israël. Universitaires, politiques, étudiants, naïfs ou complaisants, sont devenus les hérauts d’une « indignation sélective » – en faveur du peuple palestinien – qui sert le narratif du pouvoir iranien. On lira ici avec intérêt l’analyse du verbatim de la gauche française, qui renoue selon les auteurs avec l’aveuglement de 1979.
En dernier lieu, La Pieuvre de Téhéran met en avant le fossé immense entre le peuple iranien et ses dirigeants. Au gré des pages, on voit poindre la misère et la colère des Iraniens, qui nourrissent un profond ressentiment contre le régime en place et qui manifeste son peu d’intérêt pour la question palestinienne dont les mollahs se sont fait les champions. Un peuple qui souffre des sanctions imposées à son pays, mais qui ne comprend ni la naïveté de l’Occident, ni sa politique d’apaisement souvent stérile, comme l’ont montré les Accords de 2015 (JCPOA) ou le chantage récurrent autour des otages.
Soulignons enfin l’analyse des auteurs sur les liens historiques singuliers entre la France et l’Iran, mêlant coopération et défiance, et qui placent aujourd’hui Paris en position de cible privilégiée de la stratégie d’influence iranienne. Une réalité bien connue des services de renseignement français, mais rarement du grand public. Ce livre entend justement y remédier. ♦