
La France a obtenu en janvier 1997 et a conservé depuis, la direction du Département, chargé des Opérations de maintien de la paix (OMP) au Secrétariat général de l’ONU à New York. Elle y envoie des officiers d’état-major dans nombre d’opérations ainsi qu’un contingent au sein de l’intervention onusienne au Sud-Liban, la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), établie en 1978. Les diplomates de la Représentation française sont la « plume » du tiers des résolutions concernant ces opérations qui sont du ressort du Conseil de sécurité (chapitres VI et VII de la Charte). Paris est le deuxième contributeur de Casques bleus après la Chine, mais que le sixième contributeur financier. Ce qui fait, surtout après le départ de la force Barkhane au Sahel, que le rôle de la France, dans ce domaine stratégique, se voit de plus en plus contesté. Pourtant, en dehors des quelques diplomates, militaires ou experts ayant à traiter de ces questions, celles-ci demeurent largement méconnues du public. De même, rares sont les publications sérieuses éditées en langue française, d’où l’intérêt qui s’attache à l’ouvrage fort documenté, précis et très actuel d’Arthur Boutellis, conseiller sénior à l’International Peace Institute (IPI) et enseignant à Columbia et à Sciences Po Paris.
Près d’un million de Casques bleus ont servi dans plus de 70 OMP depuis les premiers arrivés dans le Sinaï en 1957. Une dizaine d’OMP sont en cours (bien que bon nombre soient menacés faute de financements, principalement américain), mobilisant 60 000 soldats pour un coût total de 7,3 milliards de dollars, soit l’équivalent de 7 systèmes Patriot (1), ou 0,15 % des dépenses annuelles mondiales. Comme on pouvait s’y attendre, ces OMP, non prévues par la Charte de l’ONU, ont donné lieu durant la guerre froide à de rigoureuses polémiques surtout à propos de l’ex-Congo belge (l’actuel RDC), ce qui a entraîné une sévère crise financière de l’organisation mondiale, devenue quasi permanente.
On a cru qu’après la disparition de l’URSS, ces OMP connaîtraient un véritable âge d’or, ce qui parut en effet être le cas durant une courte période. Cependant, les rivalités entre puissances, les chocs entre les intérêts et les valeurs n’ont pas manqué de resurgir plus diffuses, plus divers d’où le titre du livre Rivalités pour la paix que l’auteur développe avec minutie, nombre d’exemples à l’appui. Les rapports, les théories, les doctrines se sont multipliés au sein de ce qu’il appelle les trois ONU. Celle des États-membres, celle de la bureaucratie, celle enfin, la « troisième ONU » des ONG, des think tanks, sans laquelle beaucoup d’États moyens, faute de mémoire ou de moyens, ne pourraient remplir efficacement leurs responsabilités au sein du Conseil. Celui-ci est le lieu où se sont affrontés longtemps le P3 (États-Unis, France, Grande-Bretagne) et le P2 (Russie, Chine). Néanmoins, depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche s’esquisse un schéma opposant le P2 (France, Grande-Bretagne) et le P2 +1, les États-Unis faisant fi de la défense des droits de l’homme, de la bonne gouvernance et ayant commencé à voter avec les deux autocraties.
Certes, le discrédit des OMP a débuté avant le second mandat de Trump (les effectifs des Casques bleus sont passés de 100 000 à 60 000 soldats), mais il est fort possible que si la ligne Trump s’accentuait, elle porterait un coup fatal à ces opérations. On ne voit d’ailleurs pas très bien comment l’ONU pourrait intervenir dans les deux principaux conflits en cours, en Ukraine et à Gaza, et avec quel mandat, compte tenu des veto des puissances les plus impliquées. Cependant, tout n’est pas perdu : l’ONU pourrait revenir en Haïti où, en février 2025, le secrétaire d’État américain Marc Rubio a accordé des dérogations au gel des subventions étasuniennes pour permettre le versement de millions de dollars à la MMAS (Mission multilatérale d’aide à la sécurité). L’ONU est confrontée à de sérieuses difficultés. Son secrétaire général António Guterres vient d’annoncer, dans deux lettres rendues publiques le 16 septembre aux États-membres et au personnel de l’ONU, une réduction de « plus de 15 % du budget régulier », soit environ 500 M$, et la suppression d’environ 19 % des postes financés par cette partie du budget. Les comptes d’appui aux OMP sont également soumis à des réductions. Se pose la question de savoir comment préserver et nourrir l’intérêt des puissances concurrentes pour l’outil unique que sont les opérations de maintien de la paix, en démontrant leur utilité et leur pertinence, et par-là garantir leur pérennité, tout en se prévenant d’ingérences excessives des uns et des autres, et en continuant de faire évoluer les principes et les normes sans jamais trahir leur esprit. ♦
(1) Une batterie neuve coûte un milliard : 400 millions pour le système et 690 M pour les missiles de la batterie.