Dotée d’un maillage mondial de points d’appui, l’armée de l’Air et de l’Espace intervient rapidement partout dans le monde pour défendre les intérêts stratégiques français : soutien aux populations en cas de catastrophe climatique, évacuation de ressortissants, renforcement des moyens de service public… Cette agilité contribue également à la compréhension de la situation stratégique globale et à la diplomatie aérienne vis-à-vis des compétiteurs et des partenaires, comme lors de ses déploiements d’envergure annuels (missions Pégase).
Réactivité et globalité : l’AAE en outre-mer et à l’étranger
Responsive and Expeditionary: FASF Overseas
With its global network of support facilities, the French Air and Space Force (FASF) is able to act rapidly throughout the world to defend French strategic interests. This includes bringing aid to populations suffering natural disasters, evacuation of nationals and giving support to public services. This agility also contributes to understanding the overall strategic situation and to air diplomacy with regard to competitors and partners, as seen during its broad-ranging annual deployments—the Pegasus missions (Missions PÉGASE).
Plus de 2,6 millions de Français habitent en Outre-mer et environ 2 millions à l’étranger. Avec ses territoires ultramarins et ses points d’appui à l’étranger, la France dispose d’atouts exceptionnels qui participent à son autonomie et à sa profondeur stratégique. Le contexte international en forte dégradation nécessite cependant un changement de portage qui s’est traduit pour les Armées dans la Loi de programmation militaire (LPM). L’armée de l’Air et de l’Espace (AAE) est présente sur six sites en Outre-mer (Guyane, Antilles, Nouvelle-Calédonie, Polynésie, La Réunion, Mayotte), trois bases aériennes à l’étranger (Émirats arabes unis [EAU], Djibouti et Jordanie) et deux escales-détachements (Côte d’Ivoire et Gabon). Au service immédiat de nos concitoyens, en mesure de faire face à une brutale dégradation de toute nature (sécuritaire, climatique, etc.), nos 2 100 aviateurs et nos bases aériennes en OME, renforcés par des détachements projetés en quelques heures, ont été en première ligne ces derniers mois : au Levant pour lutter contre Daech, au Soudan pour évacuer nos ressortissants ainsi que des Européens, en mer Rouge en engageant des drones Shahed qui présentaient une menace contre la liberté de navigation, à Mayotte en soutien de la population lors du passage dévastateur du cyclone Chido, en Martinique lors des émeutes à Fort-de-France et en Nouvelle-Calédonie en appui des forces de sécurité intérieure.
Quels sont, au regard des nouvelles dynamiques stratégiques, les enjeux pour l’AAE en OME ? Quels risques faut-il anticiper et quelles opportunités faut-il saisir ?
Le maillage de nos points d’appui OME : un atout remarquable au service des intérêts stratégiques de la Nation
L’AAE agit à partir de ses bases aériennes ou de ses détachements en OME pour mener un large panel de missions, sous les ordres d’un officier général ou amiral commandant les forces françaises de souveraineté (Commandement supérieur – COMSUP) ou de présence (Commandement des forces – COMFOR). Son action se situe généralement au sein de la zone de responsabilité du COMSUP-COMFOR, mais des bascules d’effort ordonnées par l’échelon stratégique peuvent être réalisées entre différents points d’appui pour gagner en réactivité et en masse.
Le réseau de nos points d’appui à partir de nos sites en OME est très étendu, ce qui, compte tenu de son allonge, permet à l’AAE d’agir sur l’ensemble du globe. Ce large maillage est un atout considérable pour la France, pour promouvoir et défendre ses intérêts, pour la sécurité de ses concitoyens, pour son rayonnement et ses partenariats. Il implique aussi des responsabilités, qui nécessitent un fort engagement pour les Armées. En cas de crise, les moyens prépositionnés de l’AAE constituent une première capacité de réaction avant l’envoi de renforts depuis la métropole. Nos bases en OME offrent des points d’entrée aux Armées, permettant d’accueillir de manière autonome des projections de puissance et de force depuis le territoire métropolitain, dans le tempo des crises.
L’AAE agit en premier lieu au profit de la sécurité de nos concitoyens en outre-mer en réalisant des missions de service public et de secours aux populations (1) – par exemple, la Search and Rescue (SAR) –, en contribuant à la présence de l’État et en assurant les responsabilités de haute autorité de défense aérienne dans l’espace aérien national de chaque territoire ultramarin et, notamment, ceux très étendus et à géographie archipélagique.
Faire face aux catastrophes climatiques
L’AAE s’est illustrée récemment lors de différentes catastrophes naturelles en portant un secours déterminant, notamment en décembre 2024 quand le cyclone Chido a dévasté l’île de Mayotte. Les préfectures de Mayotte et de La Réunion ont rapidement demandé un concours aux forces armées. Les moyens de la Base aérienne (BA) 181 de Saint-Denis-de-La-Réunion sont immédiatement engagés : les deux Casa embarquent des médecins du SAMU et un premier lot d’urgence. Ils se posent sans difficulté à Mayotte, car les personnels du 25e régiment du génie de l’Air, prépositionnés en amont du passage de l’ouragan, ont déblayé la piste. Le soutien n’est pas uniquement réalisé par l’emploi d’avions : l’AAE déploie aussi des aviateurs (2) sur Mayotte qui rétablissent rapidement une capacité de contrôle aérien.
En quelques heures et durant un peu plus d’un mois, ce sont plus de 2 200 tonnes de fret et 3 500 personnes qui sont acheminées vers Mayotte depuis la métropole, en s’appuyant sur La Réunion, mais aussi à partir de la base aérienne de Djibouti, démontrant l’efficacité de notre maillage en OME. Il faut pouvoir absorber la hausse considérable du trafic aérien, jusqu’à 14 appareils par jour. Cent soixante-et-onze appareils sont ainsi gérés par la BA 181 durant la crise, en lien étroit avec le nouveau Centre air de planification et de conduite de défense aérienne (Capcoda) de Lyon-Mont Verdun. Les renforts de métropole sont déterminants pour tenir : plus de 90 militaires sont envoyés, soit l’effectif de la BA 181, hors réservistes.
Crise en Nouvelle-Calédonie : la mise en place d’un pont aérien sans précédent pour une intervention interministérielle
En 2024, la Nouvelle-Calédonie est secouée par une crise majeure, avec de nombreuses violences et émeutes d’une rare intensité. Dès le 15 mai, alors qu’aucun avion civil ne peut plus s’y poser, l’AAE met en place un pont aérien de plus de 19 000 km depuis la métropole grâce à ses A330 MRTT et ses A400M, afin de livrer du fret et amener rapidement des renforts pour appuyer les forces de sécurité intérieure. Mobilisant jusqu’à 9 MRTT simultanément, ce pont aérien, est rendu possible grâce à la BA 186 de La Tontouta (Nouvelle-Calédonie), qui accueille 2 100 personnels au profit de l’interarmées et de l’interministériel et gère 350 tonnes de fret dont l’acheminement des hélicoptères Puma de l’AAE et d’un Écureuil de la Gendarmerie nationale. L’AAE déploie 114 aviateurs (3) en renfort, dont 3 auprès des autorités préfectorales pour apporter leur expertise en gestion de crise et de contrôle aérien.
Cette opération met aussi en évidence la nécessité de réaliser régulièrement des exercices de projection de puissance comme la mission Pégase (4), permettant de renforcer la coordination avec des partenaires, comme les forces américaines, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Durant la crise, l’AAE peut ainsi prendre appui en Australie pour acheminer le carburant qui manquait cruellement en Nouvelle-Calédonie : des A400M font des rotations depuis Brisbane pour le redistribuer sur la base aérienne de Tontouta.
L’importance vitale de nos points d’appui pour l’évacuation de nos ressortissants
Nos points d’appui en OME sont importants lors de l’évacuation de nos ressortissants car ils permettent d’anticiper les crises par la connaissance de la région et des dynamiques en cours, d’établir des partenariats au niveau régional, d’agir rapidement avec les moyens prépositionnés, de commander une opération, et de bénéficier de capacités d’accueil de renforts.
En avril 2023, les armées évacuent par les airs plus d’un millier de ressortissants du Soudan, surtout depuis Djibouti où sont stationnées des forces militaires françaises et grâce au renfort d’A400M, C130, MRTT ainsi que de forces spéciales venus de France. Le 22, un C130H des forces spéciales Air, parti de la BA 188 de Djibouti, se pose en premier à Khartoum dans une zone de guerre, avec des tirs antiaériens et d’artillerie. S’ensuit une noria d’A400M et de C130 qui permet l’évacuation des ressortissants en quelques jours seulement. Cette opération souligne la capacité des armées à protéger nos ressortissants et à intervenir rapidement en situation d’urgence.
On peut aussi citer l’opération Apagan, quand, après la prise de Kaboul par les Taliban, les Armées ont dû évacuer par les airs durant l’été 2021 nos ressortissants et de nombreux étrangers. Un double point aérien est mis en place entre Kaboul et la BA 104 située aux EAU grâce à des rotations d’A400M et C130 d’une part, et entre Paris et la BA 104 avec des MRTT, d’autre part. La BA 104 sert ainsi de pivot pour mener avec réactivité cette opération qui permet d’évacuer près de 3 000 personnes.
Face à la dégradation du contexte international, l’AAE renforce ses points d’accès en OME avec la LPM 2024-2030
L’évolution du contexte stratégique génère un risque global sur la liberté d’action des armées qui nécessite de renforcer nos points d’appui en OME et de prendre en compte les menaces qui pèsent sur nos routes aériennes. Par la Loi de programmation militaire (LPM), l’AAE renforcera ses capacités d’accueil en OME pour des projections de force et de puissance, d’aéromobilité et d’aérotransport, ainsi que ses capacités de renseignement. Cette dynamique est portée par la rénovation de l’avionique des Casa, le remplacement de la flotte vieillissante de Puma – mise en service en 1974 – par des H225 à Djibouti dès l’été 2025, en Guyane d’ici la fin de l’année et en Nouvelle-Calédonie en 2026. La montée en puissance de la flotte A400M permettra des déploiements beaucoup plus fréquents, pour viser vers 2028 une capacité quasi-permanente d’A400M en zone Pacifique et en océan Indien. L’AAE renforce aussi ses capacités de renseignement avec le déploiement de drones Reaper au Levant et d’Avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR) à Mayotte, Djibouti, etc. L’évolution du Rafale qui sera porté au standard F5 permettra de prendre en compte les capacités de déni d’accès qui prolifèrent.
Des accès et une liberté d’action défiés mais préservés par les capacités du triptyque Rafale - MRTT - A400M
Pour limiter les risques qui pèsent sur notre liberté d’action, l’AAE s’appuie sur les performances exceptionnelles du triptyque Rafale - MRTT - A400M qui donne à l’AAE une capacité d’intervention rapide mondiale, nécessitant peu d’étapes : c’est un changement de paradigme. Ce triptyque permet aux armées d’être réactives et crédibles face aux tentatives d’ingérence et de « faits accomplis » pour tester notre capacité à demeurer souverains.
Les déploiements réguliers de l’AAE en OME, notamment dans la zone indo-pacifique (mission Pégase), permettent de démontrer l’intérêt de la France à préserver la liberté de circulation dans les espaces communs. Ils soulignent notre volonté d’être présents dans différents espaces stratégiques à travers le monde. Ils servent à réassurer les populations françaises en OME et à développer l’interopérabilité avec différents partenaires régionaux (en océan Indien, dans le Pacifique mais aussi au Proche et Moyen-Orient, en Afrique, etc.).
Profiter de nos points d’appui pour développer nos capacités spatiales et en Très haute altitude (THA)
La distribution géographique de nos points d’appui en OME, en particulier en longitude, ainsi que leur nombre, sont des atouts indéniables pour les capacités spatiales des armées mises en œuvre par l’AAE.
Depuis les années 1960, la Guyane abrite le Centre spatial guyanais (CSG) à Kourou : c’est un point d’accès souverain unique à l’Espace pour la France et l’Europe grâce à une situation stratégique exceptionnelle, proche de l’équateur avec une ouverture sur la mer. À chaque lancement, notamment d’Ariane 6, l’AAE établit un dispositif de protection aérienne commandé par la BA 367 de Cayenne qui inclut des renforts venus spécialement de métropole (E3F, Rafale, MRTT) mais aussi des moyens de la Gendarmerie nationale notamment de lutte anti-drones. C’est un actif stratégique pour la France, qui sera renforcé par une activité croissante avec l’arrivée à compter de 2026 de nouveaux exploitants privés de micro-lanceurs (français, allemands, espagnols, italiens…).
L’augmentation du trafic spatial (5) et l’accroissement des comportements suspects, voire inamicaux, demande à l’AAE de renforcer ses capacités pour surveiller les menaces potentielles et assurer la protection de nos satellites contre des collisions. Les OME représentent de nombreuses opportunités pour disposer de points d’ancrage afin d’améliorer la couverture globale et la réactivité de nos capacités spatiales. La France possède un atout unique avec l’ensemble de ses territoires ultramarins, qui lui permet d’être indépendante de la bonne volonté d’un pays tiers. Nos territoires d’outre-mer font aussi régulièrement l’objet de sollicitations par nos alliés, ce qui présente un atout indéniable pour créer des partenariats. Aujourd’hui, la Guyane et La Réunion sont les territoires les plus valorisés. Ils sont appelés à se développer encore davantage tout comme les autres outre-mer qui pourraient accueillir des infrastructures d’opérateurs commerciaux ou de partenaires étrangers. Ce seront aussi, pour nos OM, des atouts en termes d’investissement, d’emplois et d’image.
Concernant la Très haute altitude (THA), un premier vol de démonstration du ballon manœuvrant Balman de la société Hemeria a eu lieu en novembre 2024 depuis la Guyane. L’AAE prépare un vol pré-opérationnel fin 2025 : il sera suivi par le radar GM400 de l’AAE et par le radar de poursuite « Amazonie » en partenariat avec le Centre national d’études spatiales (Cnes). À terme, si le démonstrateur de ballon 2025 Balman est concluant, l’AAE pourrait pré-déployer des ballons sur nos bases aériennes en Outre-mer car l’empreinte logistique est faible (6).
Anticiper les évolutions du contexte stratégique : se préparer à agir dans le Grand Nord
Si l’AAE participe à la protection d’espaces aériens, non seulement dans les pays baltes mais aussi sur le flanc-est de l’Europe, elle pourrait devoir agir bien plus au Nord, comme en zone Arctique. Cette zone est convoitée par les grandes puissances, compte tenu de ses ressources énergétiques et en terres rares (7). L’Arctique subit aussi de plein fouet les changements climatiques (8), pouvant ouvrir de nouvelles voies à la navigation notamment via le cercle polaire.
Ces évolutions ont amené l’AAE à réaliser début 2025 des déploiements d’A400M, au Canada puis au Groenland, pour réaliser des tests en conditions de froid extrême (jusqu’à -35°C au sol et -74°C en vol) ainsi que des poser sur des terrains sommaires fortement enneigés ou glacés. Ces missions ont été réalisées par le Centre d’expertise aérienne militaire avec des personnels du 25e régiment du génie de l’Air ainsi que de la Direction générale de l’armement (DGA). La technicité des atterrissages et des décollages sur pistes enneigées s’est révélée être satisfaisante. L’aptitude à la maintenance a été un vrai défi pour les personnels de l’AAE qui ont tiré les leçons de ces campagnes, principalement liées aux températures extrêmes rencontrées et leurs conséquences sur l’homme ainsi que sur les fluides (eau, hydraulique…) présents dans l’A400M. Ces campagnes d’expérimentations ont été réalisées avec nos partenaires canadiens (9) et danois, ouvrant de nouvelles coopérations opérationnelles. Ces missions ont aussi permis d’acheminer des personnels du groupe militaire de haute montagne de l’armée de terre qui prenaient part à l’exercice UPPICK25.
Lors de Pégase 24, l’AAE a aussi déployé un A400M à Saint-Pierre-et-Miquelon par un vol direct de 7 heures, démontrant l’importance de ce point d’appui pour rayonner en Atlantique nord, notamment vers le Canada, partenaire et allié de la France (10). En 2025, Pégase se déploie cap au Nord vers la Suède avec le triptyque Rafale - MRTT - A400M pour affirmer la présence de la France dans cette zone stratégique, renforcer nos partenariats et s’engager pour la sécurité européenne.
Réactivité et globalité comme principales qualités de la puissance aérospatiale en OME
En OME, l’AAE, grâce à ses capacités réactives et globales permises par un large maillage de points d’appui et le triptyque Rafale - MRTT - A400M contribue à garantir la continuité du service public et la sécurité de nos concitoyens en toutes circonstances. Cette agilité de la puissance aérospatiale contribue également à la compréhension de la situation stratégique globale, au jeu des postures des compétiteurs et de nos partenaires, et permet de réagir vite, avec efficacité, pour défendre les intérêts stratégiques de la Nation.♦
(1) Fin 2024, lorsque la Guyane fait face à une sécheresse inédite, les Casa et Puma de la BA 367 de Cayenne interviennent pour porter assistance en acheminant vers les communes isolées 350 tonnes de vivres et du carburant.
2) De l’EAC2P, escadre aérienne de commandement et de conduite projetable.
(3) Commandos, experts en lutte anti-drone, en transit aérien, en coordination aérienne, etc.
(4) Ministère des Armées, « Mission Pégase » (https://www.defense.gouv.fr/).
(5) Des constellations comme Starlink en comptent des milliers.
(6) Un ballon entre dans un conteneur 20 pieds.
(7) Pic Pauline, « Coopération et coopération militaire en Arctique : une perspective de géographie politique », RDN, n° 878, mars 2024, p. 34-38 (https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article.php?carticle=23658&cidrevue=878).
(8) Renaux Louis-Xavier, « Réchauffement climatique en Arctique : une nouvelle donne géopolitique ? », Cahiers de la RDN – « Idées de la guerre et guerre des idées – Regards du CHEM – 71e session », 2022, p. 231-244 (https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article-cahier.php?carticle=494&cidcahier=1291).
(9) Tymkin Aimee et Sauvion Amélie, « Le Canada et la France en Arctique : défis et perspectives d’une coopération renforcée », RDN, n° 878, mars 2025, p. 39-46 (https://www.defnat.com/).
(10) NDLR : pour approfondir la question des relations entre la France et le Canada, voir le numéro de mars 2025 de la RDN : « Canada-France : vers un partenariat stratégique ? » (https://www.defnat.com/).