Le Maintien en condition opérationnelle (MCO) des moyens de l’armée de l’Air et de l’Espace évolue vers un modèle de combat flexible, engageant, robuste et soutenable. Intégrant davantage d’audace et de culture maîtrisée du risque, ce tournant majeur vise la réactivité, l’allègement logistique et l’intégration des industriels au plus près des opérations dans des engagements plus durs et plus intenses.
Vers un MCO de combat : une transformation stratégique au cœur de la puissance aérienne
Towards Maintenance for High-Intensity Warfare
Maintenance in operational condition (Maintien en condition opérationnelle—MCO) of Air and Space Force assets is evolving towards a flexible combat model that is engaging, robust and sustainable. This major change integrates greater boldness and risk-management culture, and focuses on reactivity, streamlined logistics and bringing industry closer to operations in increasingly tough and intense commitments.
Alors que l’échiquier stratégique mondial se complexifie, que les menaces se font plus diffuses mais aussi plus immédiates, l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE) engage un virage crucial dans le domaine de la maintenance aéronautique : celle de passer d’un Maintien en condition opérationnelle (MCO) de contrat, à un MCO de combat, pensé pour la haute intensité. Ce changement d’approche, loin d’être purement technique, incarne une transformation culturelle profonde qui touche à l’ADN même de la mécanique aéronautique militaire. Il s’agit désormais de penser le soutien aéronautique au travers du prisme de nouveaux défis, non seulement technologiques, mais aussi opérationnels, qui imposent un changement de paradigme. Il faut repenser le MCO et le rendre compatible des conditions de combat. Ce basculement est une véritable transformation stratégique qui concerne toute une communauté – forces armées, industriels, institutions – dans une logique d’efficacité, de flexibilité et de résilience.
L’ADN du MCO dans l’AAE : une mécanique au service de l’action
Le MCO aéronautique est depuis toujours le garant de la disponibilité des aéronefs. Il comprend l’ensemble des activités visant à maintenir un équipement, par exemple, un moteur, un radar embarqué, un système (un drone, un avion, un hélicoptère, un radar sol, etc.) en état de fonctionnement optimal pour répondre en tout temps au besoin opérationnel. Le MCO emploie de nombreuses spécialités et exige des savoir-faire variés à apprendre et maintenir. Mécaniciens de toute spécialité, ils œuvrent tous à assurer que les flottes soient prêtes au combat. Par exemple, ceux d’un escadron de transport ou de chasse effectuent des inspections et des entretiens pour garantir qu’ils puissent voler : remplacement de pièces usées ou en limite de fonctionnement, lubrification des mécanismes, vérification des systèmes électriques, mise à jour des logiciels, etc. Cela peut inclure diverses tâches telles que le remplacement des moteurs, la réparation des voilures, la vérification des systèmes de navigation et la mise à jour des systèmes d’armement.
En permanence, ce sont 11 000 mécaniciens qui travaillent au sein de l’AAE dans des spécialités très variées, à différents endroits, et dont les actions convergent unanimement vers la réalisation de la mission opérationnelle. Ils sont mécaniciens de piste, avionique ou vecteur, spécialistes armuriers, des systèmes d’information aéronautiques (radars, radio…) ou matériels d’environnement et de soutien, logisticiens, chefs des services techniques en escadron de chasse, de transport, d’hélicoptères ou encore chefs d’Escadrons de soutien technique aéronautique (ESTA). Ils ont pour objectif commun d’assurer la maintenance, de garantir la disponibilité de l’ensemble des flottes et, par là même, d’honorer les contrats opérationnels de l’AAE. Les mécaniciens constituent le socle de l’armée de l’Air et de l’Espace.
Si le MCO a souffert par le passé d’une baisse drastique de ses effectifs et un départ massif de promotions entières de cadres expérimentés (notamment chez les sous-officiers), il bénéficie aujourd’hui de flux dynamiques avec l’arrivée de nombreux jeunes qu’il convient de former et fidéliser pour qu’ils deviennent les experts de demain à même d’éclairer les autorités d’emploi dans une logique de gestion du risque. L’AAE s’adapte aux attentes et exigences des jeunes générations qui souhaitent rapidement s’exercer sur les matériels de haute technologie déployés dans les forces. L’AAE s’est, par exemple, engagée dans le principe de la formation par alternance pour les élèves sous-officiers donnant encore davantage de sens à leur progression. De même, l’AAE investit dans des domaines innovants comme l’impression 3D et des méthodes de travail modernes, comme l’ordonnancement et la chaîne critique avec l’objectif permanent de moderniser le poste de travail des mécaniciens.
Le MCO de combat : un nouveau paradigme structuré autour de FERoS
Pendant la dernière décennie, le MCO aéro s’est consolidé, sous la responsabilité de la Direction de la maintenance aéronautique (DMAé). Il s’est construit sous l’angle d’un MCO de contrat, améliorant la performance du MCO aéro. Cette réforme du MCO de 2018, via la nouvelle stratégie contractuelle, a permis d’enregistrer des gains réels de disponibilité, grâce à une verticalisation des contrats regroupant ceux-ci sous le pilotage d’un seul industriel davantage responsabilisé avec des objectifs précis fixés.
Autre stratégie mise en œuvre : la globalisation des contrats consistant à l’extension du périmètre des activités externalisées, afin de couvrir une prestation globale de MCO (activités de maintenance, logistique, mise en œuvre de systèmes d’information). Dans le prolongement de la transformation engagée, il est désormais nécessaire d’adapter le MCO aéronautique aux enjeux opérationnels de la Haute intensité (HI). La mise en œuvre permanente d’un MCO Flexible, engageant, robuste et soutenable (FERoS) adapté au tempo opérationnel, répond à cette ambition, engerbant la question du niveau de risque ou de performance à consentir en fonction de la mission, en appui de la décision du chef opérationnel.
En s’appuyant sur un MCO de contrat solide, l’AAE peut à présent envisager de construire un MCO de combat répondant à ses objectifs opérationnels. Ce modèle entend préparer l’AAE à une guerre non choisie, rapide, où l’agilité décisionnelle constitue un élément clé. Le MCO de l’AAE s’est réorganisé en ce sens, sous couvert du plan Altaïr avec l’émergence des brigades aériennes et pour chacune, la mise en place d’un directeur technique chargé du MCO aéro. Cette réorganisation a été suivie l’été dernier d’un mouvement visant à intégrer les services techniques, jusqu’alors positionnés à l’ESTA, directement au sein des unités navigantes, comme les escadrons de chasse, de transport, hélicoptéristes, etc.
Au niveau central, l’AAE a créé un poste dédié au MCO aéro, celui d’officier général responsable du MCO aéronautique sous l’autorité du Sous-chef activités (SCAC) de l’EMAAE, afin d’incarner la nouvelle stratégie du MCO aéro, de superviser l’ensemble des actions du domaine du MCO aéro pour l’AAE et de constituer le point d’entrée de l’AAE pour tous les acteurs du MCO aéro tant étatiques que privés.
La recherche d’une cohérence technico-opérationnelle globale, l’approche par les risques et l’évolution des états d’esprit (mindset) vers un MCO de combat sont à l’origine de ces évolutions. Elles permettent aussi d’affirmer l’AAE comme acteur majeur et à l’initiative du MCO aéro de combat.
Prendre le virage de l’audace et de la culture du risque
La nouvelle stratégie du MCO de l’AAE, se décline selon cinq lignes d’opérations, dont de nombreuses actions sont d’ores et déjà mises en œuvre. En synthèse, elles se déclinent selon les axes suivants : accélérer la prise de décision en contexte de crise, former aux contraintes spécifiques de la haute intensité, intégrer l’innovation technologique à tous les échelons, porter la dynamique initiée par l’AAE au sein de l’ensemble de l’écosystème du MCO aéro, et fédérer les acteurs étatiques et privés du MCO aéro pour créer une synergie commune.
Le passage au MCO de combat est avant tout un changement d’état d’esprit. Il implique de réévaluer en permanence l’équilibre entre sécurité, performance et dispo nibilité. Placer le besoin opérationnel au cœur des décisions en termes de gouvernance comme de l’ingénierie contractuelle est une priorité indispensable du mandat, ainsi que la nécessaire adaptation au tempo opérationnel de la haute intensité, afin de donner aux chefs opérationnels les moyens de décider rapidement tout en maîtrisant les risques. Ce changement d’état d’esprit nécessite d’acculturer les différents acteurs, notamment les industriels, pour fournir par exemple des outils d’aide à la décision dans le cadre de la gestion du risque opérationnel.
D’autres actions font bien entendu partie de cette feuille de route, parmi elles : la consolidation de la nouvelle organisation des unités de maintenance et services
techniques sur les bases aériennes, l’organisation d’exercices pour entraîner l’ensemble des acteurs, la consolidation de compétences participant à la flexibilité du MCO aéro, comme le RDC (Réparation dommage de circonstances) et l’expertise technique.
Le MCO de combat n’existe que s’il est mis en œuvre
La réactivité a toujours été dans l’ADN de l’aviateur qui tient, tout au long de sa carrière, des alertes opérationnelles. Au travers de différentes alertes et permanences opérationnelles, toutes les chaînes, notamment celles de la technique et de la logistique, restent en tension avec des unités susceptibles d’être désignées pour une projection sous très faible préavis. Aujourd’hui, il s’agit d’aller plus loin : le MCO de combat met en œuvre de nouveaux types d’exercice et d’entraînement en impliquant également les industriels. Par exemple, l’exercice Orionis, qui se déroule chaque année, met en œuvre les cadres des armées mais aussi les mécaniciens sur le terrain ainsi que les ingénieurs dans les bureaux d’études des industriels. Dans cet exercice, il s’agit d’envoyer des faits techniques sortant du cadre normal, afin que toute la chaîne technique réfléchisse et propose de nouvelles solutions. Les questions posées peuvent par exemple être : peut-on dépasser la date de maintenance d’un hélicoptère pour cause d’alerte opérationnelle ? Quel est le risque alors encouru ? L’industriel concerné liste les événements redoutés dans ce genre de circonstances, ce qui permettra de prendre une décision à partir des éléments fournis. Aussi, afin d’être plus agile et rapide dans le processus décisionnel, en permanence, même en dehors des phases d’exercice, de plus en plus d’industriels sont implantés directement au sein des forces. Ces derniers assurent alors le rôle d’assistant technique au plus près du besoin. La proximité géographique entre le Soutien opérationnel (SO) et le Soutien industriel (SI) est essentielle pour réagir vite, c’est un modèle vers lequel tend actuellement l’organisation du MCO de l’AAE sur ses bases aériennes.
Au cœur de ce virage stratégique, la culture du risque devient un moteur essentiel. Il ne s’agit pas de braver l’aléa à tout prix, mais d’intégrer la notion de risque calculé comme paramètre de la décision opérationnelle. Le durcissement du contexte international impose d’interroger les normes et la réglementation, afin de trouver des outils répondant aux besoins opérationnels, permettant de sortir du cadre réglementaire tout en maîtrisant le risque pris et en assurant le retour à la norme. Cette approche par les risques est régulièrement mise en œuvre lors de missions opérationnelles qui le nécessitent ; elle a permis de gagner des heures d’activité aérienne. De nouveaux outils ont ainsi été mis en place, comme les Normes particulières de maintenance (NPM), autorisant par exemple le ravitaillement moteur tournant ou la pose manuelle de munitions. Ces nouveaux concepts de maintenance, encadrés, visent à accélérer le tempo sans compromettre la sécurité.
Le MCO de combat : pour aller plus vite, plus léger
« Rien n’est plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue. » (Marie Curie)
L’objectif du MCO de combat est aussi de pouvoir se déployer toujours plus léger et de pouvoir compter sur les nations hôtes. Tout au long de l’année, les mécaniciens de l’AAE sont soumis à un certain nombre de défis techniques, au cours d’exercices nécessitant une forte disponibilité avions – à l’instar de Saphir ou d’Émeraude –, à l’occasion de projections de puissance telles que Pégase (Projection d’un dispositif aérien d’envergure en Asie du Sud-Est) et exercices dédiés à la dissuasion ou encore, au rythme des déploiements Morane (Mise en œuvre réactive de l’arme aérienne), déclinaison française du concept de l’Otan d’Air Combat Employment (French ACE ou FRA-ACE).
Ces déploiements permettent la montée en puissance de la maintenance croisée. Que ce soit en Croatie, en Roumanie ou en Australie, les missions réalisées selon le modèle FRA-ACE prouvent qu’une interopérabilité accrue entre alliés est non seulement souhaitable, mais désormais indispensable. Échange de pièces, de techniciens, certification de tâches : chaque mission est une opportunité de renforcer la résilience collective. Ces opérations sont facilitées par la mise en œuvre de matériels communs à l’instar des flottes Rafale, A400M ou encore MRTT dont des nations toujours plus nombreuses font aujourd’hui l’acquisition.
À l’horizon 2025, l’AAE poursuit la consolidation de cette transformation par une gouvernance dédiée, un maillage de compétences techniques renouvelé et une doctrine qui place la puissance aérienne non plus seulement dans l’avion qui décolle, mais dans l’écosystème qui le rend possible. Loin d’être un luxe, le MCO de combat s’impose comme une nécessité stratégique. En anticipant, en formant, en innovant et en partageant les savoir-faire, l’armée de l’Air et de l’Espace se dote des moyens d’agir, au bon moment et dans les bonnes conditions. Et c’est bien là que réside la clé de sa liberté d’action future, dans l’esprit FERoS : Flexibilité, engagement robustesse et soutenabilité.
L’heure est venue pour le MCO aéronautique de changer de paradigme, de passer d’un MCO de contrat à un MCO de combat, afin d’être au rendez-vous des enjeux actuels et futurs pour soutenir la puissance aérienne de l’AAE dans un contexte géostratégique qui s’impose à tous. ♦