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  • Une certaine idée de la France et de sa défense – Pierre Messmer dans la RDN (1963-1995)
  • Les conceptions stratégiques du général de Gaulle face au monde de 1990

Les conceptions stratégiques du général de Gaulle face au monde de 1990

Pierre Messmer, "Les conceptions stratégiques du général de Gaulle face au monde de 1990 " Une certaine idée de la France et de sa défense – Pierre Messmer dans la RDN (1963-1995)

General de Gaulle's strategic views on the world in 1990

Les stratèges élaborent des principes, formulent des règles, à partir de leurs études et de leur expérience, en vue de les appliquer utilement à des situations nouvelles. Cet effort de généralisation distingue le stratège, tourné vers l’avenir, de l’historien qui décrit et fait comprendre le passé, ou du tacticien qui pense et agit dans le présent.

À l’automne de cette année 1990 qui a vu tant de changements en Europe, vingt ans après la mort du général de Gaulle, il est intéressant de confronter la stratégie gaulliste avec les réalités d’aujourd’hui, de s’interroger sur sa validité au regard du présent et du proche avenir.

La renaissance du sentiment national

Pour de Gaulle, la nation constitue l’élément fondamental de la stratégie dont la fonction est d’assurer sa survie dans un monde plein de périls, sa défense contre les agressions, son indépendance condition nécessaire de la liberté des citoyens. Implantée sur une terre créatrice d’une culture, renforcée par les péripéties de son histoire, la nation n’est pas immortelle mais au moins durable. Elle peut survivre aux malheurs et même renaître après les catastrophes. Elle est plus forte que les idéologies et les religions : « Il est trop tard pour qu’aucune idéologie, notamment le communisme, l’emporte sur le sentiment national », disait de Gaulle dans sa conférence de presse du 9 septembre 1968. Cette immuable conviction explique le scepticisme qu’il a toujours affirmé quant aux méthodes de la guerre révolutionnaire mises en œuvre sur les théâtres d’opérations extérieures, c’est-à-dire hors du territoire national.

Sous nos yeux, l’Europe donne raison au général de Gaulle. Partout renaît le sentiment national. Non seulement dans les pays que l’impérialisme soviétique avait écrasés, mais à l’intérieur de l’URSS dans les pays Baltes et chez les minorités ethniques du Caucase, et même dans les républiques les plus puissantes et les plus peuplées, la Russie et l’Ukraine.

Quant à l’Allemagne, qui pourrait croire que la réunion de la RFA et de la RDA aurait été réalisée en quelques mois, si un puissant sentiment national, longtemps contenu, n’avait aidé à surmonter tous les obstacles, intérieurs et extérieurs ? Il est piquant de constater que les observateurs qui sous-estimaient la vigueur de ce sentiment ont été, aussi, les moins clairvoyants sur le déroulement et le rythme des événements.

Ce retour en force des nations sur la scène internationale n’est pas sans risques. Ici et là renaissent des mouvements centrifuges, séparatistes, qui troubleront tôt ou tard la stabilité dont nous avons pris l’habitude. Anticipant, de Gaulle avait affirmé que la ligne Oder-Neisse fixée à la fin de la Seconde Guerre mondiale devrait rester la frontière orientale de l’Allemagne. De façon générale, si le maintien de la paix exige le respect des frontières telles qu’elles existent, la renaissance du sentiment national trouve toujours motif à les remettre en question.

Une stratégie nationale, celle de la France, est par nature autonome. Le gouvernement doit garder les mains libres pour agir au mieux dans les changements aux conséquences imprévisibles dont nous ne pourrons pas rester toujours les témoins inertes. Notre autonomie de décision est inaliénable en ce qui concerne l’arme nucléaire : on n’imagine pas que le président de la République y renonce, ni ses successeurs. D’une façon générale, elle est nécessaire pour que la France ne soit pas entraînée là où elle ne voudrait pas aller ; elle est utile pour permettre des initiatives, le moment venu. Elle serait paralysée par une intégration des forces françaises dans un ensemble où elles ne relèveraient plus du commandement national. C’est pourquoi de Gaulle avait été farouchement opposé à la CED, dans les années cinquante, et est sorti du commandement intégré de l’Otan, dans les années soixante. Demain, la multiplication d’unités mixtes comme la brigade franco-allemande aboutirait à une sorte d’intégration, de même que le stationnement de forces étrangères sur notre territoire, à moins qu’elles soient sous notre commandement, ce qui est peu vraisemblable.

Les alliances et la défense de l’Europe

Autre principe de la stratégie gaulliste : les alliances sont utiles et parfois nécessaires mais elles ne sont pas éternelles. Même « bonnes et solides », elles s’usent, s’affaiblissent parce que les hommes, les nations, le monde changent sans arrêt. « Rien ne peut faire qu’un traité reste valable intégralement quand son objet s’est modifié. Rien ne peut faire qu’une alliance reste telle quelle quand ont changé les conditions dans lesquelles on l’avait conclue ». Cette déclaration faite par le général de Gaulle dans sa conférence de presse du 20 février 1966 tendait à justifier le retrait de la France du commandement intégré de l’Otan.

Aujourd’hui, nous constatons que la liquéfaction du Pacte de Varsovie résulte du fait que « les conditions ont changé » depuis que les satellites européens de l’Union Soviétique ont rejeté le communisme que cette alliance était censée défendre. De ce fait même, face à un adversaire éventuel qui doit résoudre de graves et durables difficultés intérieures, qui n’occupe plus les mêmes territoires et ne dispose plus des mêmes alliés, l’Otan, pour survivre, doit repenser sa stratégie et réformer son organisation. Les menaces de l’Est qui avaient justifié sa création ont diminué, tandis que les nouvelles qui apparaissent sont extérieures à son champ d’action. Chaque responsable politique et militaire le sait mais tous n’en tirent pas les conséquences. Beaucoup se résignent, moins en France qu’ailleurs, à ce que la responsabilité des décisions stratégiques continue d’appartenir aux États-Unis, qui l’assument depuis quarante-cinq ans et supportent le plus lourd du fardeau. D’autres parlent d’un « pilier européen de l’Alliance ». À défaut d’être neuve, l’idée est séduisante, mais elle ne résiste pas à l’examen. Ce pilier, dont personne n’a présenté les plans, alourdirait l’organisation militaire de l’Alliance, l’Otan, déjà passablement compliquée. S’il n’est pas un faux-semblant, les Américains ne l’accepteront pas, car ils veulent maintenir l’organisation actuelle qu’ils contrôlent bien et n’ont aucune intention de réformer.

La seule alternative à l’Otan est une organisation nouvelle construite pour que l’Europe assure sa défense par elle-même, pour elle-même et avec ses propres moyens. Peu importe que ce soit dans le cadre rénové de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) ou dans une organisation à créer. C’était l’espoir du général de Gaulle, qui y voyait la condition nécessaire de l’existence de l’Europe face aux grands empires et d’abord l’URSS — de Gaulle disait « la Russie », vocable ancien qui revient à la mode — qui, même privée de ses satellites et malgré ses difficultés intérieures, restera un grand pays par son peuple, ses richesses naturelles, sa culture, ses armées. En faisant équilibre à cette grande puissance européenne et asiatique, l’Europe aiderait à la paix du monde : « Si les peuples d’Europe peuvent un jour établir entre eux la concorde, la paix de la Terre sera assurée ». Le principal obstacle à une stratégie vraiment européenne, c’est-à-dire décidée par les Européens, ne tient pas au déséquilibre des forces avec l’URSS, contrairement à ce que certains gouvernements veulent faire croire pour éluder leurs responsabilités. L’Europe de l’Ouest est plus forte, plus riche, plus dynamique, plus peuplée que l’Union Soviétique. En cas de besoin, elle peut compter sur les États-Unis et ce n’est pas la vieille machine usée de l’Otan qui protège l’Europe contre les menaces d’agression : c’est la valeur politique, économique, donc stratégique qu’elle représente pour les États-Unis.

L’Europe a les moyens d’une stratégie européenne et même mondiale, mais elle n’en a pas la volonté parce qu’elle n’existe pas politiquement.

La mise en question de l’Otan conduit-elle à la dissolution de l’Alliance atlantique ? de Gaulle ne le pensait pas lorsqu’il parlait « non point du tout d’une rupture mais d’une nécessaire adaptation » (conférence de presse du 21 février 1966). La preuve en est qu’il a encouragé et approuvé l’accord Ailleret-Lemnitzer, toujours en vigueur, entre le chef d’état-major des armées françaises et le commandant suprême américain en Europe, concernant l’engagement éventuel aux côtés de nos alliés de la 1re armée française appuyée par la force aérienne tactique. Des formules souples, de ce genre, ont plus d’avenir que les structures lourdes et rigides héritées de la politique des blocs et imposées par la guerre froide. « Il est trop tard pour réussir à diviser pour toujours l’Europe en deux blocs opposés » (conférence de presse du 9 novembre 1968).

L’Allemagne réunifiée, forte de 80 millions d’habitants, première puissance économique d’Europe, patrie de penseurs, de savants, d’inventeurs qui ont largement contribué aux progrès de l’humanité, délivrée des démons qui l’ont naguère possédée, pourrait-elle accepter, après la signature d’un traité de paix, la présence durable sur son sol de troupes étrangères ? Dans trois ou quatre ans, avec le départ des soldats soviétiques, le tour viendra pour les forces alliées, françaises et anglaises, belges, néerlandaises et aussi américaines et canadiennes, de rentrer chez elles. Ce retrait n’est pas seulement « logique », ainsi que l’a dit le président de la République française ; il est désormais inéluctable. Et la France où, dès 1965, le général de Gaulle a donné l’exemple en demandant le départ des troupes étrangères, aurait grand tort de s’en étonner ou de s’en plaindre.

Mais alors, que restera-t-il de l’Otan, dont le théâtre Centre-Europe est le cœur ? Des états-majors pléthoriques tournant au ralenti.

Une stratégie des moyens

La stratégie gaulliste est une stratégie de moyens. Son objectif est de construire, d’organiser, d’entretenir des forces suffisantes pour protéger la France contre une agression — d’où qu’elle vienne — menaçant ses intérêts vitaux et pour respecter ses engagements internationaux. Projet qui engage irrévocablement le pays tout entier et non seulement ses armées sur une voie nouvelle, pleine d’embûches, l’armement nucléaire. C’est pourquoi de Gaulle a voulu que sa décision fût confirmée par un débat public que les dirigeants de la IVe République avaient esquivé. De fait, ce que Raymond Aron appellera en 1962 « le grand débat », au Parlement et dans l’opinion, a porté pendant une décennie sur l’armement nucléaire de la France. Les études et réflexions stratégiques en ont été revivifiées et ouvertes à des milieux qui s’en étaient longtemps désintéressés, la diplomatie, l’université, la presse et même les Églises confrontées avec les problèmes moraux que posent les armes de destruction massive.

Pour évaluer aujourd’hui cette stratégie, il faut partir d’un inventaire au moins sommaire de ses moyens. Nous le trouvons dans le relevé des décisions du Conseil de défense du 2 mai 1963 « Les différentes phases concernant la mise sur pied de la force nucléaire stratégique sont ainsi arrêtées : la première génération sera composée de cinquante (avions) Mirage IV armés de bombe au plutonium ; la deuxième génération sera composée de sous-marins à propulsion atomique lanceurs d’engins à tête nucléaire uranium-tritium ; la soudure entre les première et deuxième générations (1968-1972) sera assurée par une force de vingt à trente SSBS à tête nucléaire au plutonium… ».

Ces décisions ne sont pas gardées secrètes. Bien au contraire, elles sont affichées car de Gaulle sait que tout programme d’armement produit un certain nombre d’effets sur les adversaires et les alliés bien avant d’être mis en service, pourvu qu’il soit crédible, c’est-à-dire que l’État qui l’entreprend dispose des ressources financières, scientifiques, techniques et industrielles nécessaires pour le mener à bien. Vingt ans plus tard, l’Initiative de défense stratégique du président Reagan montrera qu’une stratégie des moyens peut avoir d’importants effets dès qu’elle est annoncée.

Depuis la première explosion atomique française, la stratégie des moyens de notre pays n’a pas varié. Les programmes de 1960 et 1965 décidés par le général ont été, dans l’ensemble, réalisés et l’effort nécessaire a été poursuivi pour que les armes plus nombreuses soient aussi plus puissantes, plus précises, moins vulnérables aux contre-mesures.

À ces programmes nucléaires, de Gaulle attachait une si grande importance qu’il a accepté les difficultés qu’ils causaient à sa politique étrangère. Ils ont été le principal élément du contentieux franco-américain, jusqu’à l’élection de Nixon ; le troisième tir à Reggane en 1961 a été suivi, à l’initiative du Nigeria, par une rupture des relations diplomatiques qui a duré plus de cinq ans ; l’établissement à Mururoa et Fangataufa, en Polynésie, du centre d’essais antérieurement implanté au Sahara algérien a durci les relations de la France avec les États du Pacifique Sud, en particulier l’Australie et la Nouvelle-Zélande et continue de peser sur elles ; le refus de signer le traité de non-prolifération a irrité nos alliés européens. Normalement la stratégie militaire est au service de la politique étrangère. Dans ce cas unique, ce fut l’inverse.

Pas plus que les armes à feu n’ont fait disparaître les armes blanches, les armes nucléaires n’ont éliminé les armes dites « conventionnelles » ou « classiques », bien qu’elles soient de plus en plus modernes. Au début des années soixante, la majeure partie des matériels lourds — chars, artillerie — de l’armée de terre, des avions de combat de l’armée de l’air et des navires de la marine nationale dataient de l’après-guerre et étaient d’origine américaine. Après la fin des hostilités en Algérie, de Gaulle accompagne la réduction massive des effectifs d’un effort de modernisation à partir de fabrications nationales ou réalisées en coopération car sa stratégie des moyens n’est pas autarcique. Il ne refuse pas la coopération pour la construction d’armements quand elle est possible, ce qui n’est pas le cas des armes atomiques. Il propose à l’Angleterre de réaliser en commun un missile destiné aux sous-marins nucléaires et sa déception est grande quand le Premier ministre Macmillan préfère le Polaris américain. Mais les avions de transport Transall, d’appui tactique Jaguar, de surveillance aéronavale Bréguet Atlantic, les missiles antichars et antiaériens Martel, Milan, Hot et Roland sont les produits d’une coopération avec nos voisins européens, les Allemands et les Anglais principalement.

Aujourd’hui, l’Union Soviétique et les États-Unis, demain l’Allemagne et la Grande-Bretagne s’engagent ou s’engageront dans cette stratégie des moyens qui préfère, aux gros bataillons, des forces moins nombreuses mais mieux équipées donc plus puissantes, plus mobiles et, espère-t-on, moins dispendieuses. Le mouvement est général et ne pourrait être inversé que par un renouveau des tensions internationales. Il conduit tôt ou tard à des armées professionnelles, ce qui ne choquerait pas l’auteur de L’armée de métier.

Les évolutions de la stratégie qui accompagnent ou suivent les grands changements politiques demandent du temps. Pour replier ses troupes d’occupation d’Europe centrale ou d’Allemagne de l’Est, l’URSS réclame trois ou quatre ans. Les lenteurs de la logistique procurent de bons arguments à la prudence politique. De même, une dizaine d’années s’écoule entre la conception et la mise en service d’un nouveau système d’armes et sa destruction volontaire, si elle est décidée, ne se fait pas du jour au lendemain.

Une stratégie ne prend force que dans la durée. De ce point de vue, le ministre de la Défense J.-P. Chevènement a raison d’insister sur le respect de la programmation militaire contre ceux qui demandent ou décident des réductions de crédits, donc de nouvelles amputations s’ajoutant à celles déjà opérées. Le ministre se situe dans la durée, les autres dans l’instant.

Une stratégie tous azimuts

La stratégie des moyens débouche sur celle d’emploi de ces moyens, de Gaulle n’a pas varié à ce sujet : sa stratégie est celle de la dissuasion globale pour maintenir la paix. Ce n’est pas par idéologie pacifiste, car il sait que la violence est inséparable de la nature humaine. Mais comme beaucoup d’hommes de guerre, il a vu trop de morts et de destructions, de souffrances et de malheurs ; comme Français il pense que la France a un immense besoin de paix après deux grandes guerres en trente ans, sans compter les expéditions coloniales.

Cette stratégie de dissuasion, autonome, est fondée sur la menace de représailles nucléaires massives, c’est-à-dire prenant pour objectifs les grandes villes de l’agresseur. Dans les années soixante, elle était en contradiction flagrante avec la stratégie de riposte graduée que les Américains avaient choisie et imposée à leurs alliés. D’une part, l’autonomie de décision de la France excluait l’intégration de ses forces dans l’Otan donc leur contrôle par les États-Unis ; d’autre part, la menace de représailles massives bloquait l’engrenage de la riposte graduée.

En trente ans, les circonstances ont conduit à introduire dans la formulation de la stratégie française des nuances ou des précisions qui semblaient opportunes et qui n’étaient pas toujours nécessaires ; mais elle est restée essentiellement dissuasive et nucléaire. Le temps passant, les critiques de nos alliés se sont faites moins insistantes parce que nos moyens, en s’accroissant et en devenant opérationnels, étaient plus crédibles, tandis que leurs panoplies variées et sophistiquées pesaient de plus en plus lourd sur leurs budgets et leurs économies. Par comparaison, le budget français de la défense restait dans des limites raisonnables : la « force de frappe » n’était ni « ruineuse », ni « dérisoire ».

Surtout, la dialectique changea dès lors que les États-Unis et l’Union Soviétique renoncèrent aux armes nucléaires dites « de théâtre » — dénomination plutôt malheureuse — décision en cours d’application pour les armes de portée supérieure à 500 kilomètres, en discussion pour celles de portée inférieure. Désormais, la riposte graduée devenue impossible faute de moyens appropriés peut être rangée au magasin des souvenirs, à côté de la stratégie de l’avant dans laquelle la France avait refusé de s’engager, en occupant un créneau qu’on lui offrait avec insistance.

Quant aux armes nucléaires françaises à courte portée, classées à leur origine comme « tactiques » (Pluton, armes aéroportées, bientôt Hadès) qui inquiètent tant nos voisins allemands, leur nouvelle mission préstratégique pour adresser « un ultime avertissement » est, en apparence, un retour à la conception des années soixante, selon laquelle l’emploi éventuel de ces armes montrerait la détermination du gouvernement de la France à un agresseur déjà entré en action. Mais, derrière l’apparence, la réalité est que le général de Gaulle avait décidé de construire le corps de bataille aéroterrestre autour de l’arme atomique tactique, alors que la stratégie actuelle dissocie cette arme du corps de bataille. La conception gaullienne était claire : puisque le terrain et nos moyens ne nous permettent de livrer qu’une seule bataille au cas où l’Europe de l’Ouest serait attaquée, il faut y engager tous nos moyens sans exception. Cette stratégie simple et vraiment dissuasive rencontrait l’opposition des Allemands qui redoutent la destruction de leur pays et celle des Américains qui veulent contrôler eux-mêmes l’escalade. Depuis qu’on l’a abandonnée, nos armes nucléaires tactiques sont comme un oursin malcommode à saisir.

La stratégie gaulliste n’est pas orientée seulement vers l’Est ; elle est tous azimuts. « Puisqu’on peut détruire la France, éventuellement, à partir de n’importe quel point du monde, il faut que notre force soit faite pour agir où que ce soit sur la Terre » (École militaire, 3 novembre 1959). Le 27 janvier 1968, devant les officiers du Centre des hautes études militaires, il revient sur la même idée : « Qui peut dire ce que sera l’évolution du monde ? Dans vingt ans, qui gouvernera les États-Unis et avec quel système ? Qui gouvernera l’URSS, l’Allemagne, le Japon, la Chine ? Qui peut dire ce qui se passera en Amérique du Sud et en Afrique ? En fonction de toutes ces incertitudes, nous faisons notre armement nucléaire… ».

Les événements récents soulignent la justesse de la stratégie « tous azimuts ». Les blocs se fissurent ou se défont, leur stratégie devient incertaine. Il en résulte un recul des risques d’une guerre mondiale mais, en même temps, ceux de guerres locales augmentent, car les superpuissances qui régnaient chacune sur son bloc perdent plus ou moins le contrôle de leurs satellites ou de leurs alliés. Les menaces et les conflits nouveaux surgissent hors de la zone géographique de l’Otan, ce qui montre, là aussi, que l’organisation est inadaptée à notre temps.

Si la stratégie française est, en priorité, européenne, elle ne s’est jamais limitée à l’Europe. La France, à cause de ses départements et territoires d’outre-mer d’Amérique, du Pacifique et de l’océan Indien, en raison des traités qu’elle a conclus avec plusieurs États de l’Afrique francophone, doit avoir une politique mondiale, même si cela déplaît aux uns ou irrite les autres, sauf quand ils y trouvent leur intérêt. Et cette stratégie n’est pas seulement dissuasive ; il arrive que ce soit aussi une stratégie d’action. À partir de la métropole et de bases extérieures, dans les DOM-TOM et aussi dans des pays indépendants, Sénégal, Côte-d’Ivoire, Djibouti, elle permet des interventions rapides et souvent efficaces, au Gabon et au Tchad, par exemple.

Par principe, les États-Unis ont été et restent opposés à la stratégie « tous azimuts » de la France ; non qu’ils y voient une menace dirigée contre eux, mais parce qu’ils jugent que la France, comme tous les pays du monde, hormis eux-mêmes et peut-être l’URSS, doit se contenter d’un rôle régional.

Les successeurs à l’Élysée du général de Gaulle, sans réaffirmer publiquement cette politique « tous azimuts » n’y ont jamais renoncé et l’ont même pratiquée à l’occasion. Georges Pompidou est intervenu militairement au Tchad ; Valéry Giscard d’Estaing au Tchad et au Zaïre, à Kolwezi ; François Mitterrand, au Tchad, au Liban et, avec des moyens aéronavals, deux fois dans le golfe Arabo-Persique. Ces interventions extérieures sont dispendieuses, car la mobilité coûte cher et les adversaires qu’on rencontre sont de mieux en mieux armés. Si la France veut les poursuivre, elle devra accroître ses moyens aériens et aéronavals, moderniser la composante terre de la force d’action rapide. Dans ses limites actuelles, notre budget de la défense ne le permet pas.

Des principes toujours applicables

La stratégie gaulliste tire sa force de sa parfaite cohérence avec la politique étrangère. La IIIe République, après 1918, avait choisi une stratégie militaire défensive, celle de la ligne Maginot, mais en même temps une politique étrangère d’alliances avec la Pologne et la Tchécoslovaquie, supposant une capacité d’offensive que n’avait pas notre armée. La conséquence fut qu’en 1938 et 1939, nous avons assisté, impuissants et humiliés, à l’écrasement de nos alliés.

Plus près de nous, la IVe République s’enfonçait dans des guerres coloniales, tout en proclamant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Elle acceptait l’intégration dans l’Otan, mais engageait outre-mer, hors Otan, l’essentiel de ses forces, de Gaulle a mis fin à ces contradictions.

Aujourd’hui, alors que l’empire soviétique est ébranlé, l’équilibre politique de l’Europe transformé, l’Allemagne et le Japon redevenus de grandes puissances, le Proche-Orient déchiré, alors que l’Afrique est écrasée sous le poids de la misère, que les communications et les transports réduisent les dimensions de la planète, la France doit maintenir, malgré les difficultés, les pressions, les incertitudes, cette cohérence entre politique étrangère et stratégie militaire que de Gaulle avait rétablie.

Il ne s’agit pas d’imiter ce qu’il a fait, mais de respecter des principes qui n’ont pas vieilli et de les appliquer à des situations nouvelles. ♦

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n° 884

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