Défense en France - Conférence des Hauts fonctionnaires chargés des mesures de défense (4 décembre 1974) - L'organisation et le fonctionnement des conseils d'enquête concernant les militaires
Conférence des hauts fonctionnaires chargés des mesures de défense (4 décembre 1974)
L’ordonnance du 7 janvier 1959, charte de l’organisation actuelle de notre défense, concerne à des titres divers toutes les administrations publiques. C’est ainsi que chaque ministre est responsable de la préparation et de l’exécution des mesures de défense incombant au département dont il a la charge. À cette fin, il est assisté par un Haut fonctionnaire de Défense (HFD), pour tous les départements autres que celui des armées – où ce rôle est assumé par le Chef d’état-major.
Pour l’exécution de sa mission, le HFD a autorité sur l’ensemble des directions et services de son ministère. Cette autorité lui est indispensable dans la mesure où sa mission est très large : en effet, dans le cadre de son administration et dans la limite des questions de défense, le HFD assiste et représente le ministre, coordonne la préparation et la mise en œuvre des mesures, traite les problèmes de protection du secret et propose tous les moyens d’information susceptibles de renforcer l’esprit de défense.
En outre, l’accomplissement d’une telle mission exige du HFD qu’il assure une liaison permanente avec d’autres autorités : échelons territoriaux de son administration, états-majors militaires, autres HFD et, bien entendu, Secrétariat général de la Défense nationale (SGDN) que sa fonction interministérielle conduit à être l’interlocuteur privilégié des différents HFD
C’est pourquoi, chaque année, une conférence réunit, sous la présidence du SGDN et en présence de nombreuses personnalités civiles et militaires, l’ensemble des HFD La dernière de ces conférences s’est tenue à la fin de 1974, le 4 décembre, à l’École militaire, et a permis de dresser un bilan des activités de défense intéressant les divers ministères.
Ces activités peuvent être décrites sous quatre rubriques principales : préparation des textes législatifs et réglementaires ; mise en place des structures prévues par ces textes ; prise en considération de la mobilisation civile de la nation ; contrôle de l’efficacité du système existant.
Préparation des textes
Il s’agit là d’un domaine particulièrement dense dont l’importance apparaît au simple examen de la nouvelle brochure consacrée à l’organisation générale de la défense et qui vient d’être publiée par les Journaux officiels sous le numéro 1033-11. Il s’agit aussi d’un domaine qui exige un minutieux travail ainsi que le démontre, par exemple, l’étude en cours sur la compatibilité de la loi du 11 juillet 1938 et de l’ordonnance du 7 janvier 1959. C’est pourquoi les HFD sont consultés sur chacun des textes qui les concernent et jouent, dans cette élaboration législative et réglementaire, un rôle essentiel : ainsi sont-ils intervenus fréquemment ces derniers mois pour étudier certaines mesures d’application de la loi du 9 juin 1972 (interdisant la mise au point, la fabrication, la cession et le stockage des armes biologiques), pour préciser le contenu de divers textes relatifs au service national, ou encore pour contribuer à la réalisation du récent décret sur le commandement des zones maritimes. Par ailleurs, leurs réflexions se poursuivent actuellement sur les moyens juridiques et techniques propres à améliorer la protection de notre infrastructure de défense. L’ensemble de ces questions fut évoqué au cours de la conférence du 4 décembre, avec le souci d’achever l’examen des problèmes encore en suspens dans le cadre d’une coordination interministérielle regroupant les hauts fonctionnaires de défense autour du SGDN.
Mise en place des structures
La mise en place des structures constitue d’ailleurs un des moyens majeurs de cette coordination, dont l’adéquation aux fins de la défense doit être recherchée sans relâche. Chaque département ministériel en est responsable pour une part et s’efforce de perfectionner les outils à sa disposition.
Tel est, par exemple, le souci des ministères de l’Intérieur et de l’Agriculture évoqué durant la conférence. Le premier d’entre eux souhaite améliorer le fonctionnement des groupes de travail spécialisés – information, protection civile, ordre public – qui sont organisés sous le contrôle de la commission permanente de défense civile, tandis que le second entend résoudre les problèmes liés aux compétences respectives de chaque échelon territorial en matière de ravitaillement alimentaire des populations. Sur un plan plus général, il s’agit de parvenir à une organisation à la fois rationnelle et efficace de la défense civile et économique.
Mise en place de la défense civile et économique
Il s’agit de préparer progressivement la mobilisation civile du pays telle qu’elle est prévue par l’ordonnance de 1959, en réglant des problèmes à la fois humains et matériels. Ceux-ci furent abordés le 4 décembre à travers deux préoccupations, celle des secteurs industriels et celle des crédits civils de défense. Dans le domaine industriel, il ressort qu’un équilibre doit être recherché entre les contraintes de la mobilisation militaire et les nécessités de certains secteurs clés qui doivent pouvoir maintenir à leur emploi habituel certains spécialistes. Aussi, tout en tenant compte des orientations générales exposées par l’État-major des armées (EMA), les représentants des administrations de l’Industrie, de l’Équipement et des Transports mirent l’accent sur les améliorations souhaitables des dispositions les concernant. Dans le second domaine, l’exécution du plan quinquennal d’investissements civils de défense (1971-1975) laisse apparaître des retards dus à l’insuffisance des crédits annuels. Certes, un nouveau plan quinquennal sera établi prochainement pour la période 1976-1980, mais les mécanismes de financement des équipements civils de défense pourront faire l’objet, durant la même période, d’adaptations susceptibles de mieux faire place aux besoins recensés.
Contrôle de l’efficacité du système existant
Encore faut-il que toutes les améliorations proposées au cours de pareilles réunions soient expérimentées et que leur portée effective soit contrôlée. Tel est l’objet de certains exercices réguliers qui, en matière de défense civile ou de défense générale, ont pour but de vérifier l’efficacité du système mis en place. Ainsi, les manœuvres nationales de 1975, auxquelles participeront le SGDN et plusieurs ministères civils, viseront-elles d’une part à étudier les données de quelques problèmes de niveau national d’autre part à examiner l’application aux niveaux territoriaux des mesures arrêtées par le gouvernement. C’est également dans cette perspective que le rôle des hauts fonctionnaires de défense peut être primordial, puisqu’il leur incombe de démultiplier l’action du SGDN, aux échelons régionaux et locaux, en liaison avec les secrétaires généraux de zone de défense.
Ainsi contribuent-ils, dans leur administration, au développement de l’esprit de défense, thème majeur sur lequel le général Simon devait particulièrement insister dans sa conclusion, en rappelant l’importance de l’enseignement de défense dans les universités dont il convient de développer aujourd’hui toutes les possibilités.
J.P. Bolufer
L’organisation et le fonctionnement des conseils d’enquête concernant les militaires
Les militaires sont soumis à la loi pénale du droit commun et aux dispositions du Code de justice militaire : mais les fautes qu’ils commettent les exposent en outre à des punitions disciplinaires, fixées par le règlement de discipline générale dans les armées, à des sanctions professionnelles pouvant entraîner le retrait d’une qualification professionnelle, ainsi qu’aux sanctions statutaires suivantes :
a) pour un militaire de carrière :
– la radiation du tableau d’avancement,
– le retrait d’emploi par mise en non-activité,
– la radiation des cadres par mesure disciplinaire.
b) pour un officier de réserve servant en situation d’activité :
– la cessation de la situation d’activité ;
c) pour un militaire engagé :
– la radiation du tableau d’avancement,
– la réduction d’un ou de plusieurs grades,
– la résiliation de l’engagement.
Le statut général des militaires prévoit que ces sanctions statutaires ne peuvent être prononcées qu’après avis d’un conseil d’enquête. Il en va de même en ce qui concerne la mise à la retraite d’un militaire de carrière pour aptitude physique insuffisante.
Certes, le conseil d’enquête n’est pas une institution nouvelle et la loi du 13 juillet 1972 ne fait ainsi que reprendre une disposition ancienne dont l’origine remonte au moins à la loi de 1834 sur l’état des officiers. En fait, cette analogie n’est qu’apparente. L’esprit général qui a présidé à l’élaboration du statut conduisait à remodeler, dans le sens de l’unification et de la rénovation, les dispositions à la fois hétérogènes et désuètes qui régissaient cette institution. C’est sur la base de ces deux principes que repose le décret du 22 avril 1974 relatif à l’organisation et au fonctionnement des conseils d’enquête concernant les militaires (décret n° 74-385, publié au JO du 9 mai 1974).
Auparavant, les règles de composition et de procédure variaient en fonction de l’armée d’appartenance ou du grade du militaire soumis à l’enquête. Cette diversité entraînait inéluctablement des difficultés d’application sérieuses et des incohérences flagrantes. La même cause n’avait pas nécessairement les mêmes effets selon que le fautif appartenait à une armée ou à une autre.
La première innovation importante du décret du 22 avril 1974 réside donc dans le fait qu’un texte unique, applicable à tous les militaires de carrière ou sous contrat, quels que soient l’armée d’appartenance ou le grade, remplace les nombreux textes qui régissaient la matière. Cependant cette uniformisation rencontre, sur le plan des modalités pratiques de fonctionnement, certaines limites qui tiennent, soit à la diversité et à la spécialisation des corps, soit à la situation de leur effectif. Cela explique que les règles retenues pour fixer la composition du conseil d’enquête ne soient pas parfaitement identiques pour tous les corps et qu’il ait fallu prévoir, dans le cas où il serait impossible de se conformer strictement aux dispositions du décret, l’intervention du ministre de la Défense pour décider des modalités à appliquer en l’espèce.
À la diversité des organismes correspondait, dans la réglementation antérieure, la complexité des principes de fonctionnement.
Dès le XIXe siècle, une assimilation excessive du conseil d’enquête à une juridiction pénale avait considérablement alourdi la procédure, créant ainsi un contentieux délicat. S’agissant de sanctions statutaires, qui peuvent être prononcées indépendamment des suites données au plan pénal, il était souhaitable, comme le fait le décret du 22 avril 1974, de simplifier et d’assouplir les règles de fonctionnement du conseil, tout en veillant soigneusement à garantir les droits de la défense en toute occasion.
Cette garantie apparaît tout au long de la procédure. Le militaire et, s’il en choisit un, son défenseur ont en effet régulièrement connaissance des divers documents et dépositions et peuvent présenter en défense toute observation qu’ils estiment nécessaire. Mais surtout, la volonté de garantir au mieux les droits de la défense inspire les règles mêmes de composition du conseil et le mode de désignation de ses membres.
Le décret prévoit en effet que le conseil d’enquête se compose de cinq militaires, dont deux au moins appartiennent au même corps que le comparant. En outre, comme l’impose le statut général des militaires, l’un d’eux est du même grade que ce dernier. Ainsi est donnée l’assurance que seront pris en considération aussi bien les intérêts du militaire en cause que ceux du corps auquel il appartient.
S’agissant de la désignation des membres du conseil d’enquête, l’ancien système consistait à les nommer dans l’ordre de la liste d’ancienneté. Il éliminait certes le choix arbitraire de l’autorité, mais rendait, en revanche, l’opération délicate à réaliser. Les listes d’ancienneté, qui n’existent pas pour la plupart des corps de sous-officiers et d’hommes du rang, sont sujettes à de nombreuses variations dans le temps. Qui plus est, une mutation, une obligation du service ou une indisponibilité de quelque nature qu’elle soit pouvait empêcher le respect scrupuleux de l’ordre de la liste. Or, la réglementation sur les conseils d’enquête doit être suivie à la lettre, sous peine de vicier la procédure et d’entraîner le cas échéant son annulation par la voie contentieuse. Le Conseil d’État, qui s’est toujours montré particulièrement strict lorsqu’il s’agit de mesures intéressant la situation des militaires, a procédé à l’annulation pour vice de forme de nombreuses procédures devant des conseils d’enquête, motif pris que l’ordre d’ancienneté n’avait pas été respecté. Pour ces raisons et indépendamment du fait que les premiers sur la liste d’ancienneté ne sont pas forcément les plus aptes ou les plus expérimentés, il était difficile de conserver le système antérieur de désignation.
Pour le remplacer, le tirage au sort, offrant les mêmes garanties d’indépendance des membres du conseil d’enquête que la liste d’ancienneté, paraissait constituer la meilleure solution. Cependant, ce qui peut être réalisé tous les dix-huit mois pour le Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM), au prix de difficultés matérielles dans l’établissement des listes et de la mise en place d’organes particuliers d’exécution et de contrôle, ne pouvait se concevoir pour la constitution des conseils d’enquête.
Le choix d’un mode de désignation devait donc être suffisamment simple pour être applicable tout en reposant le moins possible, afin que les droits de la défense soient garantis, sur une décision arbitraire de l’autorité.
Le système adopté, à savoir le tirage au sort sur une liste, pour chacun des membres, de dix militaires désignés, s’efforce de répondre à ces deux conditions. D’une part, le commandement peut ainsi proposer des militaires disponibles et répondant parfaitement aux conditions posées (corps - grade - ancienneté). Le tirage au sort et surtout le droit de récusation par le comparant de deux membres ou suppléants tirés au sort viennent d’autre part tempérer sensiblement cette désignation initiale.
Cette solution paraît justifiée en outre par le fait que, face à cet impératif absolu du respect des droits de la défense, il faut aussi, dans un souci d’équilibre, veiller à la sauvegarde des nécessités du service et de la discipline, et parfois des intérêts de l’État. Dans le passé, de nombreux conseils d’enquête, dont les avis n’ont pas toujours été éclairés, n’ont pris en fait en considération qu’une part de la mission qui leur était impartie en matière disciplinaire. Dès lors, il était à craindre que les avis des conseils perdent peu à peu de leur valeur tant sur le plan de la sauvegarde des intérêts du service que sur celui du respect des droits de la défense. Or, le parfait fonctionnement de l’institution constitue à lui seul une garantie essentielle pour les militaires.
Ce souci d’équilibre entre les deux missions essentielles du conseil d’enquête, qui se traduit dans le mode de désignation de ses membres, se retrouve également dans la définition des rôles du rapporteur et du président.
Le rapporteur est désigné en dehors des membres, contrairement à l’ancien système, par l’autorité compétente. Son rôle est d’éclairer parfaitement le conseil sur l’affaire et sur les conséquences de la sanction proposée.
Le président, dont le rôle jusqu’alors se bornait à la conduite matérielle des débats, veille à ce que tous les éléments de l’affaire, favorables ou non au comparant, soient pris en considération. C’est à lui que revient le soin de poser au conseil les questions permettant de déterminer l’avis de celui-ci.
Il apparaît donc avec netteté que le décret du 22 avril 1974 renforce les garanties accordées antérieurement en matière disciplinaire aux militaires de carrière ou sous contrat.
L’effort de rénovation ne se limite pas à la réforme des règles de composition et de constitution du conseil d’enquête (titres I et II du décret) ; il s’exprime également dans la révision complète des principes de fonctionnement de ce conseil (Titre III). Parmi les nombreuses adaptations et simplifications de la procédure, deux dispositions doivent plus particulièrement retenir l’attention lorsque plusieurs militaires sont impliqués dans la même affaire, à quelque armée qu’ils appartiennent, ils comparaissent désormais devant un même conseil d’enquête pour lequel des modalités de composition particulières sont fixées par le décret. Ainsi, l’on évite de réunir autant de conseils qu’il y a de coauteurs d’une même faute et surtout de se trouver confronté à des avis différents, voire contradictoires.
La seconde innovation a trait au système des questions. Dans la procédure antérieure, il n’était pas prévu de délibéré et les membres du conseil d’enquête exprimaient leur avis en répondant par oui ou par non à des questions préétablies dans les textes réglementaires et correspondant à la forme de sanction appropriée pour chaque cas d’espèce. Ce système ancien, très certainement issu de la procédure devant la Cour d’assises, avait le mérite de simplifier le débat et la tâche de membres qui n’étaient pas, dans la plupart des cas, comme les jurés d’assises, des juristes et n’avaient pas de ce fait une connaissance suffisante en matière statutaire. Mais par contre la très contraignante procédure des questions devenait inutile dès l’instant où il était admis, d’une part que le rapporteur était notamment chargé d’éclairer très complètement les membres du conseil sur la nature et les conséquences de la sanction proposée et d’autre part, que le président recevait pour mission de veiller, lors du délibéré, à ce que tous les éléments de l’affaire soient pris en considération. Une disposition très simple prévoyant que le président met l’affaire en délibéré et pose les questions permettant au conseil de donner son avis vient donc remplacer le long catalogue des questions.
Résolument novateur et conçu dans le respect des droits de la défense, le décret relatif à l’organisation et au fonctionnement des conseils d’enquête est l’un des textes importants de portée générale qui font entrer dans les faits les principes posés par le statut général des militaires du 13 juillet 1972.
J.P. Lacroix