Connexion
  • Mon espace
RDN Association loi 1904, fondée en 1939 RDN Le débat stratégique depuis 1939
  • Panier - 0 article
  • La Revue
  • e-RDN
    • Tribune
    • e-Recensions
    • Cahiers de la RDN
    • Débats stratégiques
    • Florilège historique
    • Repères
    • Brèves
  • Boutique
    • Abonnements
    • Crédits articles
    • Points de vente
    • Conditions générales de vente
  • Bibliothèque
    • Recherche
    • Auteurs
    • Anciens numéros
  • La RDN
    • Présentation
    • Comité d'études
    • L'équipe
    • Contact
    • Lettre d'infos
    • Agenda
  • Liens utiles
  • Mon espace
  • Connexion
  • Connexion

    Email :

    Mot de passe :

  • La Revue
  • e-RDN
    • Tribune
    • e-Recensions
    • Cahiers de la RDN
    • Débats stratégiques
    • Florilège historique
    • Repères
    • Brèves
  • Boutique
    • Abonnements
    • Crédits articles
    • Points de vente
    • Conditions générales de vente
  • Bibliothèque
    • Recherche
    • Auteurs
    • Anciens numéros
  • La RDN
    • Présentation
    • Comité d'études
    • L'équipe
    • Contact
    • Lettre d'infos
    • Agenda
  • Liens utiles
  • Accueil
  • e-RDN
  • Revue n° 343 Avril 1975
  • Outre-mer - Érythrée et Madagascar

Outre-mer - Érythrée et Madagascar

Bernard Brionne, « Outre-mer - Érythrée et Madagascar  » Revue n° 343 Avril 1975 - p. 172-178

Érythrée

La perspective de la réouverture du canal de Suez donne une importance nouvelle à l’Ouest de l’océan Indien. Le jeu des influences qui s’exercent dans cette zone n’a pas beaucoup changé depuis un an (voir RDN, avril 1974, p. 173-176) mais l’évolution interne de plusieurs territoires, notamment parmi les États de la côte africaine, cause une instabilité qui peut favoriser une redistribution des cartes. Les événements les plus marquants ont été l’accession du Front de libération du Mozambique (FRELIMO) au gouvernement du Mozambique, l’installation d’un nouveau régime à Addis-Abéba, l’intensification de la rébellion érythréenne et la crise, à certains égards profonde, qui agite Madagascar. D’autres problèmes se profilent à l’horizon : le Kenya connaîtra sans doute une période d’instabilité quand se posera la succession de M. Jomo Kenyata, son président octogénaire ; la Communauté est-africaine (EAC) ne paraît pas être un regroupement viable, le Kenya, pour des motifs de sécurité, s’intéressant aux pays qui le bordent au Nord et la Tanzanie étant limitée dans son désir déjouer un rôle en Afrique australe par les structures laissées par l’administration britannique, structures qui, malgré des adaptations acquises non sans peine, favorisent encore Nairobi ; on peut signaler enfin que le gouvernement des Comores, devenu indépendant, se trouvera sans doute placé devant l’opposition de la population de Mayotte qui ne désire pas lui être soumise et devant un raidissement du Mouvement de Libération des Comores, installé en Tanzanie et bien introduit à l’Organisation de l’unité africaine (OUA), qui s’estime injustement éliminé du pouvoir et qui parle déjà d’engager la lutte contre un régime néocolonial.

Les accords signés par Lisbonne et le FRELIMO permettent à ce dernier de dominer le futur gouvernement du Mozambique indépendant. Le pays s’acheminera donc vers un régime unipartite dont il est difficile de discerner encore quelle sera la nuance politique. Armé par la Chine et l’URSS, ayant dissuadé la formation de groupements modérés, proche de la Tanzanie sans lui être inféodé et du Zimbabwe African National Union (ZANU) rhodésien qui ne paraît pas accepter de bonne grâce sa fusion dans le Congrès national africain (ANC) réformiste de Mgr Muzorowa, le FRELIMO n’est pas lui-même unifié sur le plan idéologique. La sagesse voudrait que ses dirigeants tiennent compte de la situation géographique de leur pays pour ne rien entreprendre qui puisse contrarier les relations économiques entretenues avec l’Afrique du Sud, par conséquent qu’ils contiennent les extrémistes. Pour obtenir ce résultat, l’influence de l’ancienne métropole ne sera pas négligeable ; elle dépendra en grande partie de la nature du pouvoir qui gouvernera le Portugal après les élections d’avril.

En Éthiopie, le régime militaire, à la suite de l’éviction de l’Empereur et de l’assassinat du général Andom, s’est engagé dans la voie socialiste, en éliminant de l’armée les cadres dont la modération permettait de contrebalancer l’extrémisme du Comité militaire provisoire (CMP) et de son organisme directeur, le DEURG [NDLR 2025 : DERG]. Le gouvernement est ainsi conduit à adopter, pour résoudre les problèmes intérieurs, des solutions radicales alors que l’intérêt du pays devrait l’inciter à plus de modération, ne serait-ce que pour obtenir de l’étranger, les aides financières, techniques et militaires dont il a besoin. Ainsi se trouve-t-il entraîné, par exemple, à vouloir triompher de la rébellion érythréenne sans avoir à négocier : il estime être le seul instrument légitime d’émancipation des peuples qui étaient placés sous la suzeraineté de l’ancien empereur et range les luttes sécessionnistes parmi les manifestations contre-révolutionnaires.

L’Érythrée s’étend sur mille kilomètres le long de la mer Rouge entre le Soudan et le Territoire français des Afars et des Issas (TFAI) ; elle compte 3 millions d’habitants pour une superficie de 116 000 km2. Sa population est composée de tribus venues d’Arabie, du Soudan et des hauts plateaux éthiopiens : soudanais au Nord-Ouest, nomades Danakil (Afar) ou Saho à proximité du TFAI, Tigrinia, coupés des populations de la province éthiopienne du Tigré par l’occupation italienne, dans l’arrière-pays. Elle se divise d’autre part en musulmans (55 %), chrétiens (43 %), animistes (2 %). La langue tigrinia, de même origine que l’amharique, langue officielle de l’Éthiopie, est la plus répandue, mais on parle également italien, arabe, surtout à Massaoua, et chaque tribu possède son propre dialecte. Le noyau chrétien de rite éthiopien, issu du vieux royaume d’Axoum comme le Tigré, occupe les hautes terres ; il a des racines historiques plus profondes que les musulmans dont les origines ethniques sont très diverses, dont certains n’ont été convertis à l’Islam qu’au XIXe siècle et dont l’unification ne fut entreprise qu’à partir de l’occupation italienne (1885). Auparavant, les Turcs avaient tenu Massaoua depuis 1557 ; par la suite leurs héritiers, les Égyptiens du Khédive, avaient essayé, à partir de 1866, de s’enfoncer dans l’arrière-pays. L’Érythrée proprement dite fut créée par Rome le 1er janvier 1890 et ses frontières avec l’Éthiopie déterminées définitivement par le traité d’Addis Abeba en octobre 1896, peu de temps après la bataille d’Adoua.

Ménélik qui, avant de conquérir la couronne impériale, avait été Roi du Choa, n’avait pas hésité à accepter, malgré sa victoire, que les Italiens conservent leur autorité sur une partie de la population tigrinia afin d’affaiblir le Tigré dont la féodalité contestait sa souveraineté. Il s’est ensuivi une animosité profonde des chrétiens d’Érythrée à l’égard des Amhara qui les avaient abandonnés. Cette tendance fut transformée en sentiment de supériorité par l’occupation italienne qui donna à l’Érythrée une ouverture sur le monde et un développement que ne connaissait pas encore l’Éthiopie. Occupé en 1941 par l’armée anglaise, le territoire fut placé, avec les Somalies, sous administration britannique en 1947, après que l’Italie eût dû renoncer à l’ensemble de ses possessions africaines et pendant que l’URSS, la Chine, les États-Unis et la Grande-Bretagne débattaient péniblement de son statut futur. Londres trouvait ainsi l’occasion de mener dans la corne orientale de l’Afrique la politique que le Colonial Office avait dû tempérer au XIXe siècle devant les concurrences de la France et de l’Italie. Ses fonctionnaires, en même temps qu’ils suscitaient la naissance d’un mouvement d’unification des Somalies, s’employèrent à consolider le nationalisme érythréen : les journaux de langue arabe et tigrinia se développèrent, le syndicalisme s’organisa et la création de formations politiques fut encouragée ; la plus importante était le parti unioniste dont une fraction réclamait l’intégration au Soudan et une autre l’indépendance.

Cependant la diplomatie de l’Empereur Haïlé Sélassié ne restait pas inactive. Profitant des rivalités des grandes puissances, mettant en avant des raisons géographiques, économiques, religieuses et ethniques, ainsi que le besoin légitime de l’Éthiopie d’avoir accès à la mer, elle obtint en 1950 de l’Assemblée générale des Nations unies par 46 voix contre 10, que le territoire érythréen constituât « une entité autonome fédérée à l’Éthiopie sous l’autorité de la couronne ». L’Érythrée se dota alors d’un gouvernement et d’un Parlement qui fonctionnèrent, pendant deux ans, sous le contrôle de l’ONU ; le tigrinia et l’arabe devinrent ses langues officielles. Après ratification de l’acte fédéral par l’Empereur et l’Assemblée nationale érythréenne, les Nations unies se retirèrent et l’armée impériale fit son entrée à Asmara. Les institutions nationales continuèrent à administrer le pays, le représentant du Négus n’ayant à connaître que des affaires étrangères, du commerce extérieur et de la défense. En réalité, ce dernier prit de plus en plus d’importance : profitant des rivalités intérieures, il dégagea peu à peu un courant pro-éthiopien qui, sous la pression des autorités, vota le 14 novembre 1962, à l’unanimité des 42 députés présents, une motion recommandant l’union de l’Érythrée avec l’Éthiopie.

Commence alors, dès cette époque, l’histoire de la rébellion érythréenne. Le Front de libération de l’Érythrée (FLE) avait été créé en 1961, alors que la pression éthiopienne, après avoir désorganisé toutes les formations politiques, s’exerçait pleinement. Le FLE, constitué à partir du parti unioniste, regroupait les opposants chrétiens et musulmans ; il était dirigé par M. Idriss Mohammad Adam. Encouragé et armé par certains pays arabes qui, comme la Syrie, l’Irak et l’Égypte estimaient que la fusion éthio-érythréenne était une annexion illégitime d’un pays musulman par un pays chrétien. Le FLE décida d’engager les hostilités contre le pouvoir central. Il s’efforça d’abord d’éliminer les membres importants du parti pro-éthiopien et les notables qui collaboraient avec les autorités amhariques. En 1963, les tendances pro-arabes s’accentuent : alors qu’une mission militaire israélienne aide l’armée éthiopienne, les pays arabes instruisent les maquisards et fournissent l’armement ; à son premier congrès, tenu au Soudan en 1963, le FLE ne comprend plus guère que des membres musulmans. Cette instance décide d’installer à Khartoum un « commandement suprême » et un conseil politique, en Érythrée un « commandement militaire » qui coifferait les organisations subversives régionales. Très rapidement une opposition se fait jour : les jeunes militaires, formés dans les pays arabes progressistes, reprochent aux politiques leurs liens avec l’Arabie séoudite et leur doctrine antisocialiste. L’affrontement a lieu en 1968 au congrès d’Ansabba (Érythrée) qui ne règle rien : trois maquis sur cinq ne reconnaissent plus le « commandement suprême » de M. Idriss Adam et contrôlent le « commandement militaire » d’Érythrée. En août 1969, la direction politique de Khartoum décide de créer sur le terrain, pour faire pièce au « commandement militaire » progressiste, un « commandement général » qui, lui-même, au bout de quelques mois, s’éloigne de M. Idriss Adam mais conserve des sympathies au Soudan. Ces luttes d’influence correspondent d’ailleurs aux rivalités du monde arabe : le « commandement suprême » reçoit son aide de l’Arabie séoudite et des Émirats, le « commandement général » du Soudan, de la Syrie et de l’Irak, le « commandement militaire », plus radical encore, de la Libye, du Sud-Yémen et de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP). Elles prennent bientôt un caractère dramatique puisque les deux dernières s’affrontent en combats violents. En 1971, une quatrième tendance, appuyée cette fois par la Somalie, se fait jour et crée un nouveau secrétariat général du FLE, dirigé par M. Osman Ali Sabeh. La plus grande confusion règne donc au sein de la rébellion. Ce qui n’empêche pas quelques actions spectaculaires contre l’armée éthiopienne, notamment, en novembre 1970, l’assassinat du général Teshome Erghetu, chargé du maintien de l’ordre en Érythrée. Mais les maquis s’emploient surtout à chercher à s’exterminer.

Pendant ce temps, la population érythréenne restait dans l’expectative. Quoi qu’on ait pu en dire, la politique d’Addis Abeba ne manquait pas d’habileté : elle consistait à muter dans l’administration centrale les fonctionnaires érythréens, ce qui pouvait paraître une promotion, et à les remplacer localement par des Amhara ; elle cherchait aussi à accentuer le différend existant entre les communautés musulmane et chrétienne. La tendance pro-arabe des maquis, la présence rassurante des Israéliens dans l’armée éthiopienne, les exactions commises par les rebelles contrebalançaient chez les Tigrinia l’animosité qu’ils éprouvaient traditionnellement à l’égard des Amhara. En milieu musulman, l’influence prise par les socialistes sur les maquis, l’effacement de M. Idriss Adam, dont le nationalisme et la modération correspondaient à l’état d’esprit des notables, ne favorisaient pas un engagement de toute la population. Avec le temps, les représailles que déclencha le développement de la rébellion et surtout le renforcement des mesures d’amharisation firent renaître, au-delà des divisions confessionnelles, le nationalisme érythréen. De plus, l’idéologie socialiste se répandit, comme à Addis-Abéba, parmi les étudiants chrétiens d’Asmara dont certains reprirent le chemin des maquis. Au congrès de 1971, tenu en Érythrée, trois tendances se dégagèrent : celle de M. Idriss Adam, nationaliste, pro-arabe et anti-communiste ; celle des Forces érythréennes de libération (FEL), pro-arabes et socialistes ; celle des Forces populaires de libération (PLE), formées en général par des chrétiens socialistes qu’avait rejoint M. Osman Ali Sabeh. Pendant quelques mois à l’issue de ce congrès, les tendances socialistes, à dominantes chrétienne ou musulmane, se regroupent pour lutter contre le FLE : des combats violents ont lieu au début de l’année 1972. En avril, les musulmans se séparent à nouveau et forment, avec le FLE, un bloc confessionnel que le PLE continue à combattre (1).

Pendant que la rébellion était ainsi troublée par des rivalités idéologiques ou religieuses, le gouvernement éthiopien se rapprochait du Soudan et s’entremettait pour mettre fin à la révolte des provinces méridionales de ce pays. En échange, Khartoum ferma ses portes aux rebelles érythréens, transféra les réfugiés loin de la frontière et supprima les camps d’entraînement de Kassala. Accentuant la conversion de sa politique étrangère, l’Empereur rompit avec Israël en octobre 1973 et amorça un rapprochement avec les pays arabes dont il espérait une médiation. On le sentait prêt à accepter un retour à une forme fédérative d’union éthio-érythréenne : sur le terrain, l’armée reprit l’offensive contre le FLE et ménagea le PLE qui déclarait combattre pour le maintien de ses particularismes, pour bénéficier d’une autonomie administrative et non pour l’indépendance. Mais Haïlé Sélassié ne put poursuivre longtemps cette entreprise délicate : l’arrivée au pouvoir du régime militaire, causée en particulier par la mutinerie des unités stationnées en Érythrée, remit tout en cause. L’Empereur une fois destitué, le général Andom, un Érythréen, parut décidé à négocier la fin des combats ; il fut renversé pour ce motif, le DEURG et son animateur, le commandant Mengistu Haïlé, estimant que la volonté de sécession aurait dû disparaître avec la chute de la féodalité amharique et qu’elle était désormais entretenue par des forces réactionnaires.

Ce raisonnement n’est pas tout à fait faux : la peur d’une montée socialiste qui maintenait la majorité de la population érythréenne dans l’expectative et favorisait la politique éthiopienne, ne joue plus puisque le pouvoir est tenu à Addis-Abéba par une équipe révolutionnaire. On assiste alors à une vague de ralliements de fonctionnaires, de policiers et d’étudiants qui viennent grossir les rangs du PLE chrétien et atténuent ses tendances socialisantes ; l’Arabie séoudite et le Koweït, inquiets de l’évolution éthiopienne, accroissent leur aide au FLE pour valoriser la tendance modérée de ce front ; en revanche, certains pays arabes progressistes, comme la Libye, paraissent se rapprocher d’Addis Abeba. Le 13 janvier, le général Gottom, chef de la police érythréenne, entre en dissidence avec 200 hommes armés. Soutenu par les notables érythréens, il réussit à créer l’unité des mouvements de libération. Puis, ce sont le siège et l’attaque d’Asmara, le 31 janvier, et la répression brutale de l’armée éthiopienne. Désormais, plus de la moitié des forces d’Addis Abeba est engagée sur le territoire érythréen, alors que des foyers de rébellion couvent au Tigré, voire dans la région amharique, et que les rebelles menacent de couper le chemin de fer qui relie Djibouti à la capitale éthiopienne et dont la protection immobiliserait des effectifs importants.

Sur le plan diplomatique, le nouveau régime éthiopien est assez isolé : les États-Unis hésitent à reprendre – du moins ouvertement et massivement – leur aide militaire, bien que le CMP, présidé par le général Teferi Benti, ait suspendu les nationalisations ; l’URSS est prudente ; la Chine ne s’engage pas quoique le nouveau régime paraisse correspondre à ses vues ; les pays arabes sont en général favorables à l’indépendance de l’Érythrée ; quant à l’OUA, réunie à Addis-Abéba pour sa conférence annuelle le 14 février, partagée entre les principes qu’elle prône (intangibilité des frontières) et sa méfiance à l’égard du commandant Mengistu Hailé, elle ne se prononce pas et ne fait pas même allusion à l’offre de médiation du Soudan. Ce pays reste le seul lien possible entre les rebelles et le gouvernement, mais les passions sont telles qu’il est peu probable que l’unité de l’Érythrée puisse survivre à son indépendance. S’orientera-t-on alors vers la reconstitution d’une fédération éthio-érythréenne ? Sans une restauration de la monarchie à Addis-Abéba, cette solution paraît difficilement réalisable.

Madagascar

À Madagascar, la situation n’est pas encore aussi dramatique. Comme l’Éthiopie, la Grande île fait partie de cette Afrique des « Hautes terres » si bien décrite par M. Jean-Pierre Raison (L’Afrique des Hautes terres, Armand Colin). Dans sa structure sociale, due à l’histoire de son peuplement, elle comporte des analogies avec l’empire éthiopien. Dans les deux cas une population venue d’ailleurs et habitant les montagnes a cherché à imposer sa domination autour d’elle, à des peuples différents, désunis et disposant de moyens inférieurs ; elle a cherché à les assimiler en s’efforçant, malgré tout, de préserver sa propre personnalité ethnique, son organisation féodale et ses privilèges. Toutefois, à la différence de l’Éthiopie qui n’a connu la domination européenne que pendant quelques années, le colonisateur français s’est complu à fausser cette loi que les Merina considéraient comme naturelle. Ayant bénéficié pendant longtemps des conseils de militaires et de pasteurs britanniques, les Merina étaient mieux préparés que les Amhara à la gestion d’un État moderne mais, épuisés par les combats qu’ils avaient dû mener pour tenter de s’imposer à l’île, manquant d’un chef énergique, ils ne purent que travailler au profit du colonisateur, dans des fonctions subalternes, à cette unification qu’ils n’avaient pu réaliser eux-mêmes. Puis, la France s’est efforcée très vite, en démocratisant l’instruction, d’accentuer la résistance des tribus du bas-pays à la suprématie des Merina qui bénéficiaient d’une avance culturelle et dont certains constituaient la classe aisée, si bien que les côtiers furent menés, comme le dit M. Raison, « à refuser à la fois colonisation étrangère et colonisation intérieure ». L’indépendance de 1960, qui trouva à la tête du nouvel État un des leurs, le président Tsiranana, parut couronner cette politique. À la chute de ce dernier (1972), les Merina s’estimaient donc en droit de prendre leur revanche sur l’histoire.

Ils ne le firent qu’avec modération, du moins en apparence. Les mutations de personnels, décidées par le gouvernement militaire que présidait le général Ramanantsoa, ont pu apparaître comme une épuration, désirée par la population, des partisans vaincus de M. Tsiranana. En revanche, la malgachisation de l’enseignement fut considérée par les côtiers comme une mesure favorisant les Merina ; ils manifestèrent donc violemment leur mécontentement, dès 1973, à Tamatave. De même la réorganisation du commerce extérieur, sous le contrôle de l’État, quand Madagascar eut quitté la Zone franc, servit davantage les ambitions des jeunes technocrates merina que les intérêts des agriculteurs côtiers. Le pouvoir militaire avait été conduit à lancer ces réformes par les pressions du mouvement populaire qui, en mai 1972, avait provoqué la chute de M. Tsiranana et n’avait pas désarmé. On avait reproché à ce dernier d’avoir favorisé, pour se maintenir au pouvoir, les intérêts et l’« impérialisme culturel » de la France. On l’accusait aussi d’avoir imposé à la grande île la dictature de fait de son parti, le PSD, et d’être, avec certains pays de l’OCAMM, le défenseur des régimes ségrégationnistes : M. Tsiranana avait signé en effet avec l’Afrique du Sud des accords de coopération qui autorisaient des sociétés sud-africaines à investir dans les projets malgaches de développement.

Le général Ramanantsoa connaissait la faiblesse des moyens militaires dont il pouvait disposer pour maintenir l’ordre ; il céda donc aux demandes les plus pressantes de la population turbulente de Tananarive : il rétablit la liberté de la presse et les formations politiques furent autorisées à reprendre leurs activités ; en politique étrangère, il se retira de l’Organisation commune africaine, malgache et mauricienne (OCAMM), abrogea les accords signés avec l’Afrique du Sud, abandonna la Zone franc, et négocia avec Paris de nouveaux accords de coopération qui prévoyaient le départ des troupes françaises stationnées à proximité de la capitale et, en 1976, la rétrocession de la base navale de Diego Suarez après sa transformation en centre industriel. Toutefois il maintint les partis politiques écartés du pouvoir ; ceux-ci ne jouaient aucun rôle au Conseil national de développement (CNDP) qui fut élu en 1973 pour donner son avis sur la politique économique du gouvernement. L’équipe ministérielle comprenait des militaires et des techniciens civils. Elle était soutenue dans l’opinion par l’AKFM (Parti pour l’indépendance de Madagascar), dirigé par le pasteur Andriamanjato, qui recrute dans la bourgeoisie merina. Elle était acceptée, sans grande conviction, par le Mouvement national pour l’indépendance de Madagascar (MONIMA) de M. Monja Jaona, un mouvement de gauche représentant la paysannerie du sud qui s’était révoltée en 1971 contre le régime de M. Tsiranana. Elle était aussi influencée par l’existence de MFM (Militants du pouvoir prolétarien), qui cherchait à maintenir vivants les idéaux du « Mai malgache », et par celle du PSM (Parti socialiste malgache), né de la réconciliation du président Tsiranana et de M. Resampa son ancien ministre de l’Intérieur ; ce parti recrute parmi les côtiers et demande la remise du pouvoir à un « conseil des sages » en attendant des élections générales, le retour dans la zone franc et le développement de la coopération culturelle avec la France.

L’équipe ministérielle n’était pas homogène ; ses rivalités intérieures la conduisaient à n’adopter que des demi-mesures ou à mener de front des politiques contradictoires. Face à la volonté radicale et mondialiste du ministre des Affaires étrangères, le capitaine de frégate Ratsiraka, se trouvaient deux tendances moins décidées à se ranger dans un courant international, celles de MM. Mananbelo et Zafy, respectivement ministres de l’Éducation nationale et de la Santé, nettement antirévolutionnaires, et celle du colonel de gendarmerie Ratsimandrava, ministre de l’Intérieur, qui désirait régler les problèmes économiques et susciter l’adhésion de la masse par un retour aux structures traditionnelles. Les tensions de la grande île n’ont pas une origine exclusivement ethnique : elles procèdent aussi d’engagements politiques, économiques et sociaux.

À la fin de l’année 1973, le gouvernement était confronté à une situation difficile : chute de l’économie, cherté de la vie, insuffisance du ravitaillement, difficultés rencontrées par la malgachisation de l’enseignement et par l’installation des Fokonola qui devaient remplacer les « communes rurales » et qui, une fois installés, auraient permis de réaliser une véritable révolution agraire et d’unifier le pays sans en détruire les particularismes régionaux ; de plus, la politique d’ouverture internationale pratiquée par M. Ratsiraka n’avait pas été capable d’améliorer la situation économique. Le 31 décembre 1973 [NDLR 2024 : 1974], l’ancien conseiller militaire du chef de l’État, le colonel Rajaonarison, tenta de prendre le pouvoir avec le Groupe mobile de police (GMP), nouvelle appellation des Forces républicaines de sécurité (FRS) qui avaient été organisées par M. Resampa pour protéger le régime précédent. Le putsch échoua mais les conjurés se réfugièrent dans leurs casernements et ne voulurent pas se rendre. Cette affaire ayant causé de profondes divergences dans l’équipe ministérielle, le général Ramanantsoa prononça la dissolution du gouvernement le 28 janvier 1975, puis, devant les difficultés qu’il avait à surmonter pour sortir de l’impasse, il remit ses pouvoirs au colonel Ratsimandrava le 5 février. Il donnait ainsi la préférence au partisan d’un socialisme malgache, tout aussi éloigné des partis politiques traditionnels que des courants idéologiques modernes. L’ancien ministre de l’Intérieur mit en place une équipe plus homogène que la précédente : M. Ratsiraka fut notamment éloigné du gouvernement. On connaît la suite : le 12 février, le colonel Ratsimandrava est assassiné ; un directoire, comprenant des représentants de toutes les armes et de toutes les provinces prend le pouvoir sous la direction du général Andriamahazo, ministre d’État et chef de l’armée. Les mutins se rendent. Les partisans du colonel Ratsimandrava restent en place dans l’administration, mais ses adversaires participent au directoire militaire dont le général Andriamahazo ne semble pas décidé à vouloir diminuer l’importance. Nul n’est capable de dire comment la situation peut se dénouer désormais. ♦


(1) Le FLE représente environ 2 000 hommes armés et le PLE 1 200. Leur armement est soviétique ou chinois.

Partagez...

  • Accéder au sommaire du numéro

Juin 2025
n° 881

L’avenir des alliances militaires

Je participe au débat stratégique


À vos claviers,
réagissez au dossier du mois

 

Actualités

04-06-2025

Une 4e FDI pour la Grèce

19-05-2025

Exposition « Jean Gaumy et la mer » au Musée national de la Marine

14-05-2025

Maritimisation et trafic portuaire : bilan 2024

14-05-2025

Observations de la Cour des comptes sur l’organisation budgétaire de la mission « Défense »

Adhérez au CEDN

et bénéficiez d'un statut privilégié et d'avantages exclusifs (invitations...)

Anciens numéros

Accéder aux sommaires des revues de 1939 à aujourd’hui

Agenda

Colloques, manifestations, expositions...

Liens utiles

Institutions, ministères, médias...

Lettre d'infos

Boutique

  • Abonnements
  • Crédits articles
  • Points de vente
  • CGV
  • Politique de confidentialité / Mentions légales

e-RDN

  • Tribune
  • e-Recensions
  • Cahiers de la RDN
  • Florilège historique
  • Repères

Informations

La Revue Défense Nationale est éditée par le Comité d’études de défense nationale (association loi de 1901)

Directeur de la publication : Thierry CASPAR-FILLE-LAMBIE

Adresse géographique : École militaire,
1 place Joffre, Paris VII

Nous contacter

Tél. : 01 44 42 31 90

Email : contact@defnat.com

Adresse : BP 8607, 75325 Paris cedex 07

Publicité : 01 44 42 31 91

Copyright © Bialec Tous droits réservés.