Défense en France - Les débats à l'Assemblée nationale sur les problèmes de défense
Les débats qui ont eu lieu le 21 mai 1975 à l’Assemblée nationale sur les problèmes de défense, à la suite de cinq questions orales posées par MM. d’Aillières, Le Theule, Villon, Max Lejeune et Chevènement au ministre de la Défense, n’ont guère retenu l’attention de la grande presse, mis à part le journal Le Monde qui leur a consacré deux pages dans son édition du 23 mai 1975. On peut le regretter car ces débats apportent sur le sujet une information substantielle, fournissent l’occasion de cerner les problèmes essentiels qui se posent à notre défense aujourd’hui, permettent de distinguer les approches suivant lesquelles les partis les abordent, d’apercevoir l’importance que le gouvernement leur accorde et l’orientation des solutions qu’il entend leur apporter.
Il ne peut être question ici de rendre compte de façon exhaustive de ces débats qui tiennent plus de quarante pages serrées du Journal des Débats de l’Assemblée nationale (1). Bornons-nous à certains points particulièrement sensibles. Il s’agit entre autres de l’arme nucléaire tactique, de l’adaptation des structures des armées et de leurs missions, du service national, de la planification à long terme et du budget de 1976.
L’arme nucléaire et son emploi
Dans une déclaration liminaire. M. Jacques Chirac, Premier ministre, avait tenu à faire observer que la France menait une politique pacifique, n’aspirant à aucune hégémonie mais entendant n’en subir aucune, entretenant des forces non plus pour faire la guerre mais pour l’empêcher, pour dissuader, c’est-à-dire décourager l’agression. S’étant forgé de ses propres mains un arsenal nucléaire, elle a acquis la capacité d’exercer sa défense et d’engager son destin en toute souveraineté.
« Notre défense, poursuivait M. Jacques Chirac, est indépendante et la lucidité manifestée, il y a neuf ans, pour recouvrer notre libre arbitre, nous permet de l’afficher aujourd’hui avec sérénité. À cet égard, je tiens à confirmer qu’il n’y a aucun changement dans notre ligne de conduite.
« Nous vivons dans un monde à nouveau dangereux et la paix que nous pensions assurée peut, à tout instant, être remise en cause ici ou là. Dans cette conjoncture, aucune nation ne peut s’en remettre à une autre pour assurer sa sécurité et son indépendance. Il peut y avoir des alliances, il ne peut y avoir de report de responsabilité ni, a fortiori, démission ».
En dépit de la netteté de cette déclaration, celle-ci ne semble pas satisfaire M. Pierre Villon (PC) qui suspecte le gouvernement de préparer la réintégration de la France dans l’Otan et la constitution d’une Communauté européenne de défense (CED) nucléaire à laquelle la force française fournirait le premier élément. Le député de l’Allier croit trouver la justification de son accusation dans les propos tenus par M. Jacques Chirac au Camp de Mailly en février dernier et reproduits dans notre numéro de mai. Le Premier ministre avait dit alors : « Sachant son sort lié à celui de l’Europe, la France entend jouer, dans la défense du continent auquel elle appartient, un rôle à la mesure de ses capacités. Pour cela nous ne pouvons nous contenter de “sanctuariser” notre propre territoire et il nous faut regarder au-delà de nos frontières. À cet égard, parce que ces armes sont françaises et que, sur notre continent, elles sont authentiquement européennes, elles apportent à la défense de l’Europe, par leur existence même, une contribution dont nos alliés et nous-mêmes n’avons pas encore pris exactement la mesure. Mais l’avenir en révélera, j’en suis sûr, toute l’importance ».
Le député communiste fait état d’une inquiétude soulevée en République fédérale (RFA) par l’existence des Pluton et d’un souhait qui y aurait été exprimé de voir ces lance-missiles postés non plus en France mais en Allemagne de l’Ouest, près des frontières des pays socialistes, dans le cadre d’une stratégie de l’avant.
Remarquons en passant que le souhait de Bonn – mais a-t-il été exprimé officiellement ? – de voir la France reprendre sa place dans l’Otan en y amenant son armement nucléaire et en prenant la garde à un créneau de la frontière orientale, ne représente en fait rien de bien nouveau. Il ne saurait évidemment être question de répondre à ce souhait, et la déclaration de M. Jacques Chirac est suffisamment claire pour qu’il ne soit pas nécessaire d’insister.
M. Villon s’insurge en outre contre l’éventualité d’une initiative française dans le déclenchement du feu nucléaire, même tactique, qui ferait encourir à notre pays le risque d’une riposte d’anéantissement. Pour lui, la force nucléaire n’est nullement un instrument de sécurité pour la France mais au contraire une menace pour sa survie. Et, suivant une logique très particulière, le représentant du PC demande donc que, face à un agresseur doté d’armes nucléaires, la France renonce dès maintenant à en posséder.
Un autre représentant de l’opposition, M. Jean-Pierre Chevènement (PS), s’inquiète de savoir quelle mission est assignée aux régiments de Pluton et il se demande « s’il n’y a pas une confusion entre le rôle militaire de ces fusées – freiner une progression adverse – et leur rôle politique – persuader l’ennemi qu’il encourt des risques plus graves encore ». Selon l’orateur socialiste, « dans le premier cas elles sont inutilisables sur le sol de nos alliés ou sur le nôtre, et dans le deuxième cas, elles sont totalement inadaptées du fait de leur faible portée… Inutilisable pour la manœuvre militaire et inutilisable pour la manœuvre politique, l’artillerie nucléaire tactique est une arme dangereuse parce que, par nature, elle tend à échapper au contrôle du pouvoir politique ».
Pareil souci de voir le politique garder le contrôle des armes nucléaires tactiques est également partagé par certains députés de la majorité, tel M. Joël Le Thcule (UDR) qui ne semble pas convaincu du caractère satisfaisant de l’organisation actuelle des forces armées mêlant trop, à son gré, le nucléaire et le conventionnel : « L’arme atomique dote maintenant certaines de nos unités. Mais l’on distingue un peu trop, me semble-t-il, l’arme tactique de l’arme stratégique. Les deux sont nucléaires et, de ce fait, leur emploi éventuel ne peut être que le fruit d’une décision politique. Ainsi que le rappelait récemment et fort justement M. le Premier ministre au camp de Mailly, le Pluton est par nature l’instrument d’une politique dont la fin dernière est le maintien de la paix. Mais ne pourrait-on pas envisager pour ces forces nucléaires tactiques un commandement commun, ou tout au moins un commandement distinct de celui qui existe actuellement ? Le système actuel est ambigu et, en raison même de la spécificité de l’arme tactique, il s’articule mal au sein des forces de manœuvre avec les forces non nucléaires ».
Cette ambiguïté est également relevée par M. André Fanton (UDR) qui consacre un assez long développement à l’Essai sur la non-bataille du Commandant Brossolet (2) et qui pose la question : « ne faut-il pas envisager d’une façon toute nouvelle l’engagement de nos forces ? »
« Parce que de nombreux chefs militaires considèrent cette arme (l’arme nucléaire tactique) comme une artillerie prolongée, la structure de nos forces de manœuvre, de notre corps de bataille, a été bâtie à partir de cette idée. Le rôle qui est imparti à ce corps de bataille est double : d’abord, c’est lui qui doit assurer la participation de notre pays à la prévention et au règlement d’une crise en Europe, crise qui ne mettrait pas obligatoirement en cause notre territoire. Mais c’est aussi lui qui doit servir de test aux intentions de l’adversaire qui s’en prendrait directement à nous, et permettre au gouvernement, par l’emploi de l’arme tactique, de montrer sa détermination. Est-il excessif d’affirmer que ces deux rôles sont difficilement compatibles ? »
Or, remarque M. Fanton, pour ce qui est de la manœuvre en Europe, nos partenaires européens comptent essentiellement sur la protection américaine, et pour ce qui est des circonstances où nous aurions à envisager l’emploi de l’arme nucléaire tactique, « le seul test d’atteinte à nos intérêts qui serait admis, non seulement en France mais à l’étranger, commence par une agression contre notre territoire ».
L’ancien secrétaire d’État à la Défense doute qu’avec nos cinq divisions déployées traditionnellement nous puissions opérer de façon significative le test des intentions de l’adversaire. « Une couverture aérienne insuffisante, des côtes trop souvent mal protégées, un territoire national insuffisamment quadrillé », tel est aux yeux de M. Fanton le résultat de l’organisation actuelle qu’il convient de repenser en secouant le conservatisme. « Lorsqu’en 1970 l’Armée de terre fut dotée d’une arme nucléaire tactique, certains y virent un geste d’ordre psychologique ». Se référant à ce qu’en disait à l’époque le général Gallois – « on l’ennoblit, on lui donne à elle aussi des armes modernes, on règle une partie de ses états d’âme » – l’orateur poursuit : « L’Armée de terre a eu ces armes modernes, mais j’ai l’impression qu’elle a gardé ses états d’âme. Je ne suis pas certain que la réflexion ait suivi ce geste politique ». Et le député UDR de proposer qu’après des études sur un nouveau concept d’emploi et de structures des forces, un large débat soit ouvert au sein des Armées. « Les cadres sont directement concernés et les consulter sur leurs problèmes leur donnerait sans doute le sentiment de participer à la définition de l’avenir de leur Armée ».
Ces préoccupations nous introduisent directement au second chapitre des points sensibles actuels, celui des missions et de l’organisation des Armées.
Missions et organisation des armées
Les interventions sur ce chapitre font ressortir des idées communes à la plupart des orateurs nonobstant leurs divergences politiques : la nécessité de préciser et, dans certains cas, de redéfinir sans ambiguïté les missions imparties aux armées. La réorganisation subséquente doit s’opérer dans le sens de la mobilité et de la disponibilité.
Pour M. Joël Le Theule « la distinction entre forces de manœuvre, forces d’intervention, forces de sécurité ou Défense opérationnelle du territoire (DOT) remonte à une quinzaine d’années et doit être revue. Elle correspondait à une situation politique qui s’est profondément modifiée. Elle correspondait également à la nécessité de réorganiser nos forces en fonction de missions plus précises qui devaient être définies et de possibilités budgétaires qui ont été difficilement tenues. Aussi bien, au fil des discussions budgétaires annuelles, la nécessité de préciser les missions était-elle rappelée avec insistance, comme l’était celle de revoir les structures d’organisation et d’alléger les unes et les autres. La volonté évidente de vos prédécesseurs, dit M. Le Theule en s’adressant au ministre de la Défense, s’est heurtée à un certain conservatisme, à une inertie des services ou des états-majors dont on pourrait citer de multiples exemples. Aujourd’hui, ces mêmes problèmes demeurent ».
« M. le président de la République a souhaité que les forces classiques – aériennes, maritimes et terrestres – soient mobiles et disponibles. Ces deux qualificatifs ont été peu commentés. On a surtout retenu de l’allocution présidentielle la continuité, ce qui est important il est vrai, mais l’on a peu discuté de sa volonté de transformer l’organisation de nos forces non nucléaires, ce qui m’apparaît regrettable et explique la question que je vais poser : quelles sont dans le fil des déclarations, les adaptations que vous envisagez de leur apporter ? La volonté présidentielle, votre nomination, celle de votre secrétaire d’État, conduisent à penser que les structures actuelles ne seront pas maintenues et que les missions seront précisées. Quelles sont ces modifications ? »
M. Le Theule cite, entre autres, parmi les concepts qui appellent de toute évidence une révision, ceux de « points sensibles » à protéger, de « base stratégique » (outre-mer notamment), de « centre mobilisateur », et préconise de vaincre les « conservatismes qui, plus que les problèmes matériels,… sont responsables d’un certain malaise et du doute qui parfois s’empare des esprits »… « Imagination, réflexion et courage » doivent présider à cette rénovation qui devrait se traduire en décisions inscrites au prochain budget. « La disponibilité passe, selon l’orateur, par des responsabilités plus claires, mieux définies et placées à des niveaux moins nombreux ». Les modifications devraient concerner « l’instruction, les transmissions, le transport… la déconcentration des pouvoirs… l’allégement de l’administration et des états-majors ».
Des préoccupations similaires peuvent être notées chez M. Albert Voilquin (RI) qui souhaite des explications complémentaires « sur la redéfinition de certaines missions trop souvent théoriques, sur le redéploiement de nos forces navales et leur présence nécessaire à travers le monde et sur les nouvelles orientations de l’armée de terre ». M. Jean-Paul Mourot (UDR) pose également la question : « Quels effectifs, pour quelles tâches ou quelles missions ? »
En réponse à ces interrogations, M. Yvon Bourges, ministre de la Défense, rappelle les missions assignées aux forces armées : « la protection du territoire national, la défense des frontières terrestres, maritimes et aériennes ». S’y ajoute en outre la possibilité « d’éventuelles actions extérieures ». « Nous n’avons pas pour hypothèse, précise le ministre en réponse à M. Chevènement qui avait semblé admettre une défense en profondeur, que la bataille devrait être attendue à l’intérieur du territoire envahi. La défense de la nation, c’est d’abord la sauvegarde de son sol ».
Quant aux adaptations nécessaires de l’organisation, le ministre définit ses intentions (3) : « Tout d’abord nous poursuivons, avec M. le secrétaire d’État, sans contrainte… un travail de simplification, d’allégement et d’unification de nos structures militaires. Il faut arriver à mettre au point des unités qui soient toutes opérationnelles, qui aient beaucoup plus de polyvalence et de maniabilité, de manière qu’il n’y ait qu’un type d’arme, ou presque, en fonction de chaque mission considérée. »
Faut-il voir dans ces dernières paroles du ministre l’annonce de la reprise de projets écartés il y a quelques années et qui tendaient à réaliser la fusion de certaines armes ? Est-il bien nécessaire en effet de maintenir des directions d’armes séparées pour mener finalement une tactique commune, avec des engins qui ne présentent guère comme différences que le calibre de leur canon ou l’épaisseur de leur blindage ? Nous ne tarderons sans doute pas à le savoir.
De son côté, le secrétaire d’État, le général Bigeard, après avoir reconnu la lourdeur des structures actuelles, « héritées d’un passé des gros bataillons », a donné quelques indications sur la revalorisation des forces de DOT actuellement « mal armées, sous-équipées ». Les 40 régiments des forces du territoire seront regroupés en brigades portant les noms des provinces où elles seront implantées. Les missions de ces brigades demeureront inchangées : « défendre les bases stratégiques, renforcer la 1re Armée, passer éventuellement au maquis. »
Mais le secrétaire d’État est conscient de l’ampleur de la tâche de réforme à accomplir et de l’importance de l’effort financier qu’elle représente : « Comment améliorer progressivement dans un premier temps ce qui existe sans gripper la machine et en tenant compte de notre budget ?… Se battre pour le budget… le problème est d’abord là, il n’y a pas d’homme miracle ».
Le ministre de la Défense admet également que l’action d’adaptation des structures demandera du temps. Mais, affirme-t-il, « Je peux vous assurer que (ce programme) est aujourd’hui déjà largement avancé dans les états-majors et que, pour la rentrée, à l’occasion du projet de budget de 1976, c’est bien un programme d’avenir et une vue panoramique de notre défense que je serai en mesure de vous soumettre ».
Mais avant d’en venir aux questions de budget, donnons un aperçu des idées et suggestions exprimées au sujet du service national.
Le Service national
Dans sa déclaration précédant les débats, le Premier ministre avait fait cette remarque : « Si le président de la République a décidé le maintien de la conscription à douze mois, il a aussi encouragé la confrontation des idées sur tous les problèmes de notre époque ». M. Chirac avait également souligné la nécessité pour les armées de faire appel à la fois à des professionnels et au contingent : « L’armée, c’est le peuple organisé ».
M. Michel d’Aillières souligne lui aussi que la défense ne peut être l’affaire de quelques spécialistes mais celle de tous les Français, et il ajoute : « Si nous souhaitons le maintien du service obligatoire, nous sommes ouverts à toute discussion sur sa durée – actuellement l’une des plus courtes mais que l’on pourrait peut-être réduire encore – et sur ses modalités, en l’associant par exemple à des engagements de courte durée comme le suggère, dans une proposition de loi, M. de Bennetot ».
La proposition de loi déposée par M. Michel de Bennetot (UDR) tend, en effet, à ce que soit institué par un volontariat un service militaire différencié pour la Marine nationale. Ce projet se fonde sur une expérience récente : lorsqu’il s’est agi d’envoyer dans l’Océan indien six bâtiments, la force « Saphir », on a permis alors aux jeunes gens qui étaient libérables de participer à cette mission en contractant des engagements à court terme de six mois résiliables. L’expérience fut un succès.
M. Voilquin (RI) appelle de ses vœux « un nouveau service dont la vocation ne serait pas étroitement militaire ». « En outre, les jeunes appelés doivent avoir l’impression qu’ils font quelque chose d’utile, qui les prépare réellement à leur mission de défense du pays. La justification de la présence des appelés sous les drapeaux est de les transformer en combattants. Les budgets précédents traduisaient trop d’insuffisances en matière de conditions de vie, de moyens d’instruction et de crédits d’entretien adéquats ».
M. Chevènement (PS) est encore plus net dans la critique du service sous sa forme actuelle : « Les soldats du contingent, dont la période de formation excède rarement deux mois, ont l’impression pendant les dix autres mois de perdre leur temps, stockés dans de vétustes casernes (4), sous-armés, sous-entraînés, sous-encadrés, relégués dans des fonctions de valets d’armes. En vérité, le service militaire actuel fait plus pour l’antimilitarisme que toutes les propagandes ».
M. Chevènement développe alors sa conception d’un service qui s’inscrirait dans un système de défense basé sur une mobilisation populaire liant aussi étroitement que possible l’armée et la nation. Ce serait un service militaire fractionné, comportant une période d’instruction de deux mois et des périodes d’entraînement de courte durée, dans des écoles de recrues réparties sur tout le territoire. Les économies qui, selon le député socialiste, en résulteraient permettraient « de remédier au sous-développement de nos unités de combat… d’encourager les volontaires pour effectuer des périodes plus longues, nécessaires au maintien d’un niveau minimum de forces opérationnelles ».
M. Roger Duroure (PS) regrette que le Service national soit « actuellement une période de la vie du soldat trop souvent étrangère à la fois au passé et à l’avenir de celui-ci, une sorte d’avatar plus ou moins bien accepté ». Une meilleure intégration du service militaire dans la vie du soldat lui paraît possible à deux conditions : une préparation militaire et un service actif prolongé par une période de réserve. Il y ajoute « la pratique sportive à l’école, autour de l’école et après l’école ». Enfin, il veut voir développer l’encadrement pris dans la ressource du contingent et déplore qu’actuellement celui-ci ne fournisse que 3 500 aspirants et 10 000 sous-officiers environ par classe d’âge, soit seulement 6 % des appelés.
M. Mourot (UDR) préconise la recherche d’une formule nouvelle qui ferait « appel à la notion d’impôt-temps dû à la collectivité nationale en échange de ce que cette dernière a donné à chaque jeune ou lui a procuré, de sa naissance à la veille de son entrée dans la vie active ». Et il ajoute : « le champ d’action est large. Notre défense doit alors apparaître comme un volet de cet impôt-temps. Il en existe d’autres… ».
Le souci de développer l’appel au contingent pour l’encadrement apparaît également chez M. Xavier Deniau (UDR) qui constate que 5 % seulement des jeunes gens faisant des études supérieures entrent dans la réserve avec le grade d’officier. Pour accroître cette proportion, il suggère de créer de nouveaux postes budgétaires en admettant une certaine dissociation entre le port des galons et la solde. « De plus, dit-il, il n’est pas normal que 1 Français sur 5 recensés soit classé inapte médicalement. Il faut inverser la proportion de 6 % écartés du service pour raison sociale et 19 % pour raison physique. »
Mais dans quelle mesure toutes ces réformes tendant à améliorer très rapidement le service militaire sont-elles compatibles budgétairement avec l’amélioration de la condition militaire (5) et la modernisation des équipements ? Un plan n’est-il pas nécessaire et des ressources ne doivent-elles pas lui être affectées au moment où va expirer la 3e loi de programme ? Dans quelles orientations à long terme s’inscrira le budget de 1976 ?
La programmation à long terme et le budget
La quasi-totalité des députés reconnaît l’insuffisance du budget de la défense. M. d’Aillières (RI) juge impossible une défense indépendante crédible en lui consacrant moins de 3 % de notre PNB. « Avec de nombreux membres de l’Assemblée, affirme-t-il, nous sommes prêts à accroître notre effort ». M. Pierre Mauger (UDR) avance même le chiffre de 4 %. M. Voilquin (RI) estime que « le prochain budget devrait s’élever à 3,25 % – et ce ne peut être qu’une première étape et un minimum, si l’on veut améliorer la condition militaire sans abandonner la rénovation de nos matériels ».
M. Bourges annonce que, pour la première fois, « le budget franchira en 1976 le seuil fatidique de 3 % du PNB estimé de 1975… mais la proportion entre titre III et titre V restera, à 1 % ou 2 % près, ce qu’elle est en 1975 ». Le ministre constate en outre qu’« un tel budget ne permettra pas de répondre à cette nécessité évidente et urgente qu’est l’amélioration de nos casernements » (6).
Pour M. Pierre-Bernard Cousté (apparenté UDR), passer de 2,9 % à 3 % sera notoirement insuffisant. Sur les 1 500 milliards de francs du PNB, cela représentera 1,5 Md. C’est à peine de quoi payer l’amélioration de la condition militaire selon les calculs de M. Pierre Noal (UDR) qui réclame pour l’armée de terre un budget de 15,5 MMF, dont 9,5 pour le titre III et 6 pour le titre V. Quant à M. Pierre Cressard (UDR), il souligne les insuffisances qui se rapportent à la vie et aux missions des armées – notamment en effectifs d’encadrement, en moyens d’instruction, infrastructure, carburants, munitions, entretien des matériels, etc. – insuffisances qui ont des répercussions regrettables sur l’activité et le moral des unités. « Tous les chefs de corps reconnaissent cependant que l’état d’esprit des jeunes n’est jamais aussi bon que lorsqu’ils sont en manœuvre à l’extérieur ». Et l’orateur de conclure : « Ou il faut accroître le budget ou il faut réduire les missions. Il faudra probablement les deux. Le pire serait de ne rien faire ».
Outre la question du montant du budget de 1976, c’est également celle de l’insertion des efforts financiers dans une programmation à moyen terme qui préoccupe certains députés. On sait en effet que 1974 est la dernière année couverte par la 4e loi de programme. Or, on note l’absence de toute mention d’une nouvelle loi financière pour y faire suite. C’est pourquoi M. Voilquin (RI), président de la Commission de défense nationale, souligne « la nécessité absolue d’une programmation afin d’assurer la modernisation de nos forces et le renouvellement des matériels anciens. Cette programmation doit être connue du Parlement. Je tiens dit-il. à mettre en garde contre les dangers que présenterait l’absence de planification. Les membres de la Commission de défense nationale attachent à ce problème l’importance qu’il mérite et veulent savoir en tout cas à quel moment et sous quelle forme nous discuterons de la prochaine loi de programme. »
Même son de cloche chez M. Roger Crespin (UDR) qui aimerait, avec les autres membres de la Commission, savoir si un quatrième plan est envisagé et « quelle sera la forme de cette réflexion, un plan étant de toute façon indispensable pour une construction d’avenir et utile au Parlement si celui-ci désire porter un jugement valable sur les modalités d’équipement de nos forces. »
Le ministre de la Défense tient à apaiser ces légitimes inquiétudes en affirmant « qu’à l’occasion de l’examen de la prochaine loi de finances, (il sera) certainement en mesure d’esquisser devant l’Assemblée les perspectives d’une action à long terme ».
C’est dire explicitement qu’il y aura bien un plan, mais qu’il n’y aura pas alors d’engagement financier suivant une loi de programme, comme ce fut le cas fin 1970. Mais peut-il en être autrement, à un moment où tout semble appelé à évoluer très rapidement à la Défense et où il serait sans doute présomptueux – et peut-être même dangereux – d’inscrire dans un texte de loi des choix dont la rigidité pourrait être ensuite regrettée ? ♦
(1) N° AN 38 du jeudi 22 mai (Journal officiel, 26, rue Desaix, 75732 Paris Cedex 15 - Prix 0,50 F - CCP 9063.13 Paris).
(2) Cf. dans notre numéro d’avril 1975 le compte rendu bibliographique que nous avons consacré à cet ouvrage.
(3) Il devait les réaffirmer, le 2 juin 1975, au cours de son inspection des unités françaises stationnées en Allemagne. En ce qui concerne les projets de réorganisation de l’Armée de terre, voir la chronique d’Édouard Vaugaque dans le présent numéro.
(4) La nécessité d’un effort important de rénovation des casernements a été reconnue par le Chef d’état-major de l’Armée de terre, le général Lagarde, qui a annoncé à Baden, le 2 juin dernier, l’intention du ministre de proposer le lancement d’un emprunt destiné à y faire face. Mais ce mode de financement, remarquons-le, ne saurait s’appliquer à des travaux importants de modernisation des quartiers occupés par les unités françaises en Allemagne. Une solution pourrait être le rapatriement de certaines de ces unités, surtout de celles nécessitant une infrastructure spécialisée… Ce problème a évidemment des implications politiques qui dépassent le cadre de cette chronique.
(5) Nous aurons sans doute l’occasion d’en parler dans notre prochaine chronique ; la forme définitive des mesures en cours d’approbation par toutes les instances intéressées sera alors vraisemblablement connue.
(6) D’où le recours, déjà signalé, à l’emprunt.