Voici un excellent livre de réflexions sur la Chine, œuvre non pas d’un « voyageur-homme politique » mais d’un témoin compétent. Pas de prestidigitation ni de canular à partir d’anecdotes mais une étude profonde à la hauteur de la pérennité chinoise.

L’approche de la Chine ne peut se faire qu’avec un minimum d’effort intellectuel et demande, avant tout, une recherche et une compréhension patientes et cohérentes. Ce n’est pas une façon d’auréoler et de grandir un pays réputé « mystérieux », c’est une manière de constater qu’il est simplement différent. L’un des mérites de l’auteur est justement de sortir du fond de l’histoire les données permanentes de la civilisation chinoise, de les faire cheminer jusqu’à nous et de bien fixer à travers cette longue évolution les éléments actuels de la révolution chinoise.

L’auteur commence par analyser les principaux éléments de la société et de la pensée chinoises. Il apparaît que les facteurs essentiels : la morale collective, l’absence d’individualisme, le gouvernement par la pensée, l’existence d’une élite, se retrouvent aujourd’hui comme dans le passé. Mais ces éléments, s’ils subsistent, ont été modifiés radicalement par rapport à l’ancienne société, dans le but de transformer cette dernière et d’améliorer les rapports humains. En somme la Chine contemporaine a évolué par le biais d’un socialisme adapté, sans abandonner sa nature profonde, fortement perturbée depuis le siècle dernier.

La Chine a donc retrouvé ses dimensions et son originalité. Elle s’est dégagée du modèle soviétique et entend bien surpasser ce dernier. Elle a fait des choix originaux pour structurer sa société, donnant à cette dernière des idéaux qui peuvent apparaître utopiques.

La troisième partie, « À propos des rapports avec le monde », retiendra tout particulièrement l’attention du lecteur. L’isolement géographique et le développement d’une logique proprement chinoise sont souvent sources d’incompréhension et de méprise. Le développement de l’auteur sur la pensée stratégique, « dégagée des limites du temps » et mettant l’accent sur les situations ou sur des potentiels bien plus que sur l’espace, éclaire tout particulièrement la position actuelle de la Chine. En une période de flottement, de crise, de « navigation à vue » des sociétés ou des gouvernements des pays occidentaux ou de ceux qui ont été marqués par leur influence, la ligne stratégique chinoise se distingue au contraire par ses choix à long terme.

En somme, le modèle chinois, en politique intérieure, en économie ou en politique extérieure, se caractérise par une « pensée-ciment », par la croyance « en un développement global d’une société fluide et homogène », par une stratégie globale. En l’état actuel des choses voilà autant de concepts qui manquent à l’Occident.

Ce livre, très dense, se lit avec le plus grand intérêt. Il se distingue des nombreux ouvrages publiés récemment sur la Chine par « la profondeur de champ ». Il s’en dégage, exprimée avec discrétion, une certaine sympathie pour ce pays et pour ce peuple, sympathie qui, exempte de complaisances, facilite la compréhension et le rapprochement. ♦