Face à l’incertitude engendrée par l’administration américaine, l’Europe doit revoir sa défense et la penser autrement. De nouvelles approches sont nécessaires, en développant des coopérations ciblées, jouant des complémentarités pour affronter les défis stratégiques à venir.
Quelle réponse européenne face à une incertitude américaine ?
Centre d’étude et de prospective stratégique (CEPS)
What European Response to American Uncertainty?
In the face of the uncertainty engendered by the US administration, Europe needs to review, and think differently about its defence. New approaches are needed, and targeted cooperation developed which plays on complementary capabilities to face the strategic challenges to come.
L’invasion russe de l’Ukraine a amené une prise de conscience : la guerre revient en Europe. Aujourd’hui, la situation s’est dégradée et accentue cette impérieuse nécessité de construire une défense de l’Europe. Cette guerre a rappelé les enjeux opérationnels associés aux opérations sur les théâtres, ainsi que le décalage tant capacitaire que stratégique avec l’état des forces et des équipements des pays européens. Le caractère désaccordé, voire peu interopérable, accentue les limites capacitaires (1). Outre le volume capacitaire en deçà des besoins, l’action européenne appelle à être complétée par la puissance américaine, dont l’engagement s’avère instable.
Depuis de nombreuses années, les décideurs politiques ont considéré qu’il fallait réfléchir et se doter d’une défense européenne effective (2). Un vœu pieux qui bien souvent a débouché sur une attitude attentiste reportant les efforts des uns sur les autres et où chacun défendait ses propres intérêts. Le multilatéralisme et les projets antérieurs d’une défense européenne restaient balbutiants, alors que certains programmes, tels que CSO et la création du missilier MBDA, avaient montré qu’une stratégie de coopération pouvait être adaptée et effective (3). Le fonds de 800 milliards d’euros annoncé par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, visant à encourager un investissement massif des Européens dans leur Base industrielle et technologique de défense (BITD), reste pour l’instant une déclaration d’intention dont les effets concrets demeurent incertains. Certes, les Européens doivent dépenser davantage, mais sans commandes significatives, inscrites dans la durée et accompagnées d’investissements dans la formation et l’embauche, les BITD européennes peineront à se développer réellement. La crainte d’un élargissement du conflit a poussé certains États, comme la Pologne, à adopter une stratégie d’investissements massifs dans leur appareil de défense, en privilégiant des partenariats internationaux, sans pour autant servir l’industrie de défense européenne.
Au premier abord, cette logique d’investissements massifs apparaît positive puisqu’elle répond aux enjeux de construction d’une défense de l’Europe. Cependant, là encore, les États ont choisi de se doter de matériels différents, alimentant la concurrence entre industriels de la défense, et ne créant aucune concordance logistique entre les différentes forces européennes. D’un point de vue opérationnel, il s’agit surtout de porter l’interopérabilité des systèmes. D’un point de vue industriel et stratégique, l’orientation vers des systèmes européens serait salutaire, alors que la Commission s’oriente vers un contenu européen, ouvrant la voie au maintien de l’acquisition de systèmes américains, en partie fabriqués en Europe, ce qui ne sécurise aucunement la liberté en matière opérationnelle et d’export.
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