Le Sahel est un laboratoire pour comprendre les évolutions de la conflictualité. Le Burkina Faso et le Mali illustrent le triptyque régime militaire, dispositifs sécuritaires et affairisme avec une dissémination de l’insécurité et une violence croissante non régulée. La guerre alimente une pluralité d’acteurs au détriment des populations civiles.
La sous-traitance de la guerre au Sahel : les cas du Burkina Faso et du Mali
Sub-Contracting War in the Sahel: The Cases of Burkina Faso and Mali
The Sahel is a test bed for understanding how conflicts evolve. Burkina Faso and Mali are examples of the intermingling of military rule, security arrangements and business affairs, together with widespread insecurity and an uncontrolled rise in violence. War is encouraging a vast number of actors, to the detriment of the civilian population.
Depuis le déclenchement du conflit armé dans le nord du Mali en 2012, les violences dans la région sahélienne n’ont cessé de s’intensifier, exacerbées par l’expansion territoriale des groupes djihadistes. La montée en puissance de ces derniers a profondément transformé les dynamiques de la contre-insurrection, marquée par des coups d’État militaires survenus au Mali en août 2020 et mai 2021, ainsi qu’au Burkina Faso en janvier et septembre 2022, ayant demandé le départ de la force Barkhane (1), ainsi que de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma). Ces revirements ont amené à la constitution de l’Alliance des États du Sahel (AES) formée en 2023 par le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Elle promeut une collaboration renforcée entre eux (2) et marque une rupture diplomatique, notamment par un rapprochement avec la Russie.
Dans ce contexte de reconfiguration politico-sécuritaire, de nouvelles accusations d’exactions graves ont émergé, mettant en cause les forces armées nationales et leurs différents collaborateurs. Au Mali, plusieurs sources locales ont, par exemple, rapporté l’exécution sommaire de civils par des soldats maliens accompagnés de membres du groupe paramilitaire russe Wagner à partir de décembre 2024 (3). De même, au Burkina Faso, des opérations menées par l’armée nationale et les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), des paramilitaires burkinabè composés de civils armés, se sont traduites par des massacres dans des villages soupçonnés de connivence avec les groupes djihadistes (4). Parallèlement, l’usage croissant de drones armés dans les deux pays soulève de sérieuses préoccupations en matière de droit international humanitaire : plusieurs frappes ayant visé des populations civiles constituant des crimes de guerre (5). Comment alors analyser la pluralité des acteurs et la multiplicité des violences qui touchent cette zone géographique ?
Pour éclairer les transformations de l’intensification des violences régionales, le propos se concentrera sur les trajectoires des dispositifs sécuritaires (6) – et notamment paramilitaires – qui contribuent à diffuser les violences au sein des sociétés, durant ces différentes phases de la formation de la guerre civile (7) en cours. Nous utiliserons l’idée d’un « gouvernement dans la violence » (8), compris comme une politique publique mise en œuvre par les États dans leurs différents aspects combattants, politiques et sociaux, pour étudier les aspects locaux, nationaux et transnationaux de la guerre. En effet, alors que les régimes militaires sahéliens ont consacré la place centrale de l’État dans l’organisation des violences, les pratiques guerrières se sont recomposées autour de nouveaux partenariats entre les régimes au pouvoir et une pluralité d’acteurs armés. L’implication croissante de Sociétés militaires privées (SMP), telles que le groupe Wagner, aux côtés des forces armées nationales maliennes, tout comme la mobilisation de milices – en particulier les VDP au Burkina Faso – rendent de plus en plus floues les frontières entre armées régulières et acteurs privés. Le propos analyse donc ces évolutions à travers le prisme de la sous-traitance de la guerre au Sahel, en questionnant les recompositions des appareils sécuritaires et les logiques de délégation de la violence, dans une configuration de globalisation économique. Il s’agit de comprendre comment les États, particulièrement lorsqu’ils sont dirigés par des juntes militaires, externalisent une partie de leurs opérations à des acteurs privés ou semi-étatiques, participant ainsi à une reconfiguration plus large des modes contemporains de production de la guerre – tant au niveau régional qu’international. Aussi, il apparaît que cette sous-traitance s’inscrit dans une « privatisation mondiale des services sécuritaires » (9). Ces dernières années, ces dispositifs ont particulièrement touché les domaines de la sécurité et de la défense via ces Private Military and Security Companies (10). Le continent africain a d’ailleurs été à la pointe de ces phénomènes et depuis les années 1990 (11), les compagnies privées (Sandline International, Executive Outcomes, etc.) ont largement pris part aux conflits armés : Angola, Sierra Leone, Afrique du Sud, Mozambique, Libye ou plus récemment en République démocratique du Congo. Cet article entend alors embrasser une analyse transnationale des dynamiques conflictuelles, le propos se concentrera sur le Burkina Faso et le Mali, qui constituent actuellement des cas paroxysmiques des phénomènes observés. La première partie reviendra sur les formes qu’ont prises ces régimes militaires et la seconde, sur les modes de gouvernement violents déployés.
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