La guerre est une réalité durable pour le Soudan. Les racines de ce conflit sont profondes et s’inscrivent dans le temps. Aucune des parties prenantes n’est suffisamment forte pour l’emporter. Le partage du pouvoir et la captation des ressources alimentent le conflit d’autant plus que celui-ci est largement occulté sur la scène internationale.
Les trois guerres soudanaises
The Three Sudanese Wars
War is a continuing reality for Sudan. The roots of conflict are deep and have been well-established over many years. None of the warring parties is sufficiently strong to win. Divisions of power and possession of resources feed the conflict—especially given its lack of exposure internationally.
Depuis le 15 avril 2023, une guerre sans rémission fait rage au Soudan ; son coût humain est occulté par d’autres conflits aux enjeux plus centraux, notamment l’Ukraine et Gaza. Aucune médiation ou négociation n’est aujourd’hui tentée et l’on doit se demander pourquoi ce qui est décrit depuis de longs mois comme la « pire crise humanitaire au monde » bénéficie d’une attitude aussi attentiste, qui fait écho au comportement des grandes puissances dans la période de gouvernement civil qui dura d’août 2019 à octobre 2021, après le renversement du régime de Omar el-Béchir au printemps 2019 et avant le coup d’État orchestré par les acteurs armés en octobre 2021.
Cette guerre n’est pas celle de deux chefs militaires aux ambitions aussi disproportionnées qu’opposées. Elle est la manifestation de trois crises différentes, chacune dotée d’une temporalité et d’effets propres. La première relève de l’échec d’une transition après 30 ans de dictature qui ont anémié toutes les forces politiques d’opposition et mené le Soudan au bord de l’effondrement économique. La deuxième crise est consubstantielle à la construction de l’État depuis la période coloniale, en particulier liée au fonctionnement de l’armée comme instance et creuset d’une identité nationale. La troisième et dernière crise est celle dont on parle le moins, tant elle met en question le Soudan même, une archipélisation de ce qui reste de la société soudanaise, confrontée depuis l’indépendance à des conflits armés qui tous manifestaient l’ampleur des ségrégations sociales et la vigueur de leurs remises en cause. Ces crises sont évidemment enchevêtrées et l’espace manque ici pour en faire l’étude, mais il est essentiel de s’interroger à chaque tournant de cette guerre sur ses implications à ces trois niveaux différents.
Une transition condamnée
Contrairement à l’antienne répétée par les activistes soudanais, les émeutes de la faim commencées en 2018 n’ont pas abouti à une révolution. Certes, Omar el-Béchir arrivé au pouvoir en juin 1989 a été arrêté en avril 2019 et la force du mouvement populaire urbain a obligé les forces armées à négocier à reculons. Néanmoins, l’accord d’août 2019 qui installe la transition constitue une cogestion du pouvoir, dans laquelle les forces armées ont la haute main sur le Conseil de souveraineté, organe décisif aux dépens d’un gouvernement composé de civils autocooptés issus du mouvement protestataire et dirigé par un bureaucrate onusien, Abdallah Hamdok, qui avait passé l’essentiel des dernières décennies à Addis-Abeba. Cette nouvelle classe politique civile aurait dû se rappeler les conditions dans lesquelles Jafar Nemeyri (1930-2009), alors président du Soudan depuis 1971, avait été démis en 1985 lorsque les militaires avaient remis au pouvoir durant la transition les Frères musulmans que le mouvement populaire disait avoir chassés. Elle n’a guère prêté attention au passé, sûre de son fait notamment à cause de l’interdiction du Parti du congrès national (PCN) de Omar el-Béchir et l’arrestation de certains de ses cadres.
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