La région des Grands Lacs est marquée par des cycles de violence sans fin depuis des décennies. De nombreuses tentatives d’accords de paix n’ont jamais pu réellement aboutir. Trop souvent, les causes des conflits n’ont pas été suffisamment prises en compte. Il est nécessaire de commencer à rétablir un climat de confiance.
Penser la sécurité mutuelle pour mettre fin au cycle de violence dans les Grands Lacs
Consideration of Mutual Security to End the Cycle of Violence in the African Great Lakes
The Great Lakes region has suffered for decades from endless cycles of violence. Numerous attempts at peace agreements have never really produced any result. Too often the causes of these conflicts have been insufficiently taken into account. It is time to start to re-establish a climate of confidence.
L’histoire diplomatique des Grands Lacs africains est marquée par une vérité persistante : lorsque les préoccupations sécuritaires fondamentales des États ne sont pas pleinement prises en compte, les accords de paix même les plus élaborés échouent à résoudre durablement les conflits. Ainsi, la prise de Goma en République démocratique du Congo (RDC) par les forces du M23 (1), en janvier 2025 – treize ans après la précédente – illustre cette logique de récidive. Cet épisode n’est pas le simple symptôme de la fragilité de l’État congolais ; il témoigne de la persistance d’un cycle violent ancré dans des perceptions existentielles de menaces jamais véritablement traitées, et révèle l’incapacité chronique des dispositifs diplomatiques successifs à répondre aux exigences sécuritaires profondes des acteurs. Aussi, cet article ne vise pas à rouvrir le débat sur les responsabilités, aujourd’hui clairement établies : la Résolution 2773 du Conseil de sécurité des Nations unies (mars 2024) qualifie explicitement le Rwanda d’État agresseur et réaffirme la souveraineté de la RDC. Cependant, désigner le coupable ne saurait suffire à construire la paix. Celle-ci exige une lecture lucide et empathique des logiques qui sous-tendent les comportements des acteurs et des échecs répétés des processus diplomatiques.
Dans cette région d’Afrique, marquée par une longue sédimentation de traumatismes, l’instabilité ne procède ni d’une conjoncture passagère, ni d’une simple absence de volonté politique. Elle s’enracine dans ce que le chercheur américain spécialiste du Congo Jason Stearns a décrit comme un palimpseste, « où chaque nouvelle couche de violence recouvre les précédentes sans les effacer » (2) : un enchevêtrement de griefs historiques, de préoccupations sécuritaires non résolues et instrumentalisées, et de mémoires antagonistes, qui renforcent des logiques de méfiance réciproque et fragilisent les tentatives de médiation. Dès lors, toute ambition de paix durable doit dépasser les approches purement normatives. Elle requiert une démarche structurée pour répondre concomitamment aux préoccupations sécuritaires et de souveraineté des parties. Elle nécessite ainsi de sortir du dilemme du prisonnier dans lequel les parties semblent enfermées, afin de créer l’espace politique indispensable à une stabilisation effective, équitable et inclusive.
Notre analyse retracera d’abord l’évolution de ces cycles diplomatiques (1999-2025), entamée par l’Accord de Lusaka, innovateur dans sa composition et ses propositions mais rendu caduc par l’absence de mise en œuvre de son outil principal pensé sous forme d’une force d’interpositions légitime pour l’ensemble des parties. Nous étudierons ensuite la fragmentation progressive des initiatives régionales avant de nous interroger sur les conditions nécessaires à une refondation réaliste et partagée de la diplomatie régionale.
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