Le contrôle des concentrations économiques des grandes entreprises internationales appelle l'application de lois antitrust des deux côtés de l'Atlantique. Ainsi, la Commission européenne rend-elle jusqu'à 350 décisions par an au titre du contrôle des fusions et acquisitions, en vue de prévenir la création ou le renforcement d'une position dominante dans l'espace économique européen. Cette intervention concerne autant des entreprises d'origine européenne qu'américaine, les textes applicables n'attachant pas d'importance à la nationalité de l'entreprise, mais davantage à la localisation de son chiffre d'affaires. La Commission européenne a pu, dans diverses décisions intéressant des entreprises de secteurs stratégiques, imposer des cessions d'actifs, des renonciations à des contrats importants ou autres formes d'engagements commerciaux susceptibles de rétablir la concurrence. L'autorité américaine et l'autorité européenne, malgré des procédures permettant d'échanger informations et points de vue sur les dossiers transatlantiques, ont parfois rendu des décisions divergentes. Il existe donc bien un contrôle de la puissance économique exercé au niveau européen, que la mondialisation rend particulièrement nécessaire.
Le droit communautaire de la concurrence dans les relations euro-américaines
La société française, davantage que toute autre société européenne, est d’autant plus braquée contre « l’hyperpuissance » américaine qu’elle est culturellement peu disposée à percevoir les limitations induites par l’application du droit, non seulement dans le système politique et l’activité économique des États-Unis, mais encore dans les relations économiques entre l’Europe et les États-Unis. Cette difficulté française à appréhender l’importance du facteur juridique caractérise également l’inaptitude relative à mesurer l’impact de la législation et davantage encore de la jurisprudence communautaires sur les problèmes économiques et sociaux qui affectent la France. Les deux phénomènes sont rigoureusement parallèles.
Tocqueville avait mis en évidence l’importance du droit et le rôle du juge dans la société américaine fondée sur la séparation des pouvoirs, dotée d’une autorité judiciaire forte et indépendante. L’existence dans l’Union européenne d’un droit autonome, primant les droits nationaux, interprété souverainement par une Cour dont les décisions s’imposent à toutes les autorités communautaires et nationales n’a pas manqué de produire des conséquences identiques sur nos sociétés. La question de l’impact géopolitique des règles de droit communautaire de la concurrence dans les relations euro-américaines se pose, puisque les acquisitions d’entreprises ayant des effets sur l’Espace économique européen relèvent de ce droit. Cette question est d’autant plus actuelle que des dirigeants économiques français de haut niveau ont fortement critiqué l’action de la Commission européenne ces derniers mois à propos de décisions ayant interdit le rapprochement de sociétés européennes, et qui feraient le jeu des États-Unis. Certaines de ces décisions sont d’ailleurs apparues comme particulièrement mal fondées en droit, entraînant de spectaculaires annulations par le Tribunal de première instance des Communautés européennes. Outre le fait que ces jugements d’annulation illustrent les limites de l’arbitraire supposé de l’autorité antitrust à l’égard des entreprises européennes, donc la primauté du droit, il convient de rappeler que de non moins célèbres décisions de la Commission ont, au contraire, interdit des rapprochements intéressant des entreprises américaines, pourtant dûment autorisés outre-Atlantique par l’autorité américaine de concurrence.
La coexistence de deux autorités, de chaque côté de l’Atlantique, ne constitue d’ailleurs pas un phénomène anodin. Les mêmes opérations de fusion-acquisition peuvent en effet faire l’objet de deux appréciations, éventuellement divergentes, de sorte que l’autorité la plus exigeante au regard de l’application de son propre droit impose à l’arrivée son point de vue aux entreprises concernées, à défaut de convaincre l’autre autorité antitrust du bien-fondé de sa solution. Cette situation de double contrôle alimente en outre le soupçon d’un traitement politique des dossiers, une pente que la société française emprunte aisément, a fortiori à l’égard des entreprises et de la société américaines. Malgré ou à cause de ces préjugés (en grande partie réciproques), il est utile d’approfondir le rôle du droit de la concurrence communautaire dans les relations euro-américaines. Cependant, ce sujet est beaucoup trop vaste pour être traité de façon exhaustive dans le cadre de quelques pages. On limitera donc volontairement l’analyse au seul contrôle des fusions-acquisitions d’entreprises, un domaine important dont on ne décrira que les traits les plus saillants. Un exposé succinct des règles concernées et du modus operandi des instances compétentes de la Commission (avec en contrepoint une comparaison avec le traitement de ces opérations aux États-Unis d’Amérique) précédera donc l’examen de quelques décisions illustrant les facteurs sensibles dans le jeu du droit communautaire de la concurrence appliqué aux relations entre l’Europe et les États-Unis dans le contrôle des opérations de fusions-acquisitions d’entreprises.
Il reste 84 % de l'article à lire
Plan de l'article