Nous avons publié dans le numéro de novembre 2006 le texte de la conférence prononcée par l’ambassadeur d’Algérie, M. Missoum Sbih, sur le thème de « l’évolution des relations franco-algériennes ». Il a été également rendu compte des débats qui ont suivi. Malencontreusement, le texte a été publié avant d’avoir reçu le « bon à tirer » de l’ambassade, comme il est d’usage. De surcroît, nous avons prêté au conférencier des termes qu’il n’a pas employés. C’est pourquoi nous présentons nos excuses à M. l’ambassadeur, ainsi qu’à nos lecteurs qui trouveront, ci-après, le compte-rendu des débats tels qu’ils auraient dû être initialement publiés.
À nos lecteurs - « Évolution des relations franco-algériennes » (débats)
Qu’attend l’Algérie d’un partenariat d’exception avec la France ?
L’Algérie attend du partenariat d’exception avec la France une densité de relations entre les deux pays, ce qui est d’ailleurs l’objectif de la déclaration d’Alger. Ce n’est pas le contenu de la déclaration qui est en cause aujourd’hui, mais plutôt l’absence de mise en œuvre concrète de ses dispositions. Ce document, faut-il le rappeler, prévoit également un dialogue politique régulier à haut niveau entre les deux pays. Il est nécessaire que se développent des échanges dans tous les domaines, économiques, culturel ou sociaux afin de parvenir à une relation étroite entre les deux pays et ainsi réaliser ce partenariat d’exception souhaité de part et d’autre.
L’Algérie souhaite avoir un statut particulier avec ce partenariat d’exception, qui doit se comprendre évidemment dans un sens positif et non négatif comme l’est actuellement le traitement de la circulation des Algériens dans l’espace Schengen. Le fait que toute demande de visa par un citoyen algérien est soumise à la procédure de consultation préalable de tous les pays membres du système Schengen constitue une forme de discrimination par rapport aux autres voisins maghrébins ; cela constitue un élément négatif de la relation franco-algérienne.
Par ailleurs, la dimension énergétique doit être un élément positif indispensable du partenariat entre l’Algérie et la France. Cette dernière importe 25 % de son gaz à l’Algérie et l’État algérien tient à rappeler que les discussions entamées avec la Russie ne compromettent en rien l’approvisionnement énergétique de la France qui demeure en tout état de cause garanti (1).
Quels sont les obstacles à la signature du traité d’amitié entre l’Algérie et la France ?
Il y a deux aspects à prendre en considération en ce qui concerne le traité d’amitié. Le premier aspect est qu’il existe actuellement un climat général peu favorable consécutif à l’adoption de la loi du 23 février 2005. Le deuxième aspect est que le traité n’est que le couronnement de l’édifice, il faut d’abord que la déclaration d’Alger produise ses effets de façon concrète. Il faut souligner le fait qu’il n’existe pas d’obstacles a priori à la signature de ce traité, mais seulement un climat qui n’est pas propice actuellement.
Quel peut être le contenu du devoir de mémoire ?
La question du devoir de mémoire est un point extrêmement sensible, aussi bien pour l’opinion publique algérienne que l’opinion publique française. Du côté algérien, on ne comprend pas bien pourquoi la France n’assume pas son passé colonial. Il faut souligner que les déclarations des plus hautes autorités algériennes à propos de la colonisation n’ont mis en cause ni la politique du gouvernement français ni le peuple français, mais la période coloniale en tant que telle. Grâce aux médias, et notamment à la télévision française qui est beaucoup suivie en Algérie, de nombreux foyers algériens ont suivi les débats franco-français sur la question de la période coloniale au moment de la polémique introduite par la loi du 23 février 2005. Pour l’État algérien, la reconnaissance du passé colonial est un préalable à l’établissement de relations saines, de confiance entre les deux pays.
Qu’en est-il de la récente restriction de l’enseignement du français en Algérie ?
Cette question a fait l’objet d’un emballement médiatique en France qui a été difficilement compris en Algérie. La fermeture des écoles privées enseignant le français est intervenue pour mettre en application la loi sur l’enseignement privé prise dans le cadre de la réforme du système éducatif élaborée par le gouvernement algérien. Cette loi a donné un an aux écoles privées pour se conformer au nouveau cahier des charges qui oblige les écoles à enseigner au minimum l’arabe en plus d’éventuelles langues étrangères. Au terme du délai, qui a d’ailleurs été prolongé de trois mois pour les dernières écoles récalcitrantes, quarante écoles ont été fermées car elles refusaient délibérément d’enseigner l’arabe et ne rentraient donc plus dans le cadre légal du système éducatif.
Le gouvernement a simplement estimé légitime que les écoles privées dispensent un enseignement minimum dans la langue du pays. L’enseignement du français n’est donc en aucun cas restreint, au contraire puisqu’il est désormais enseigné à partir de la 2e année dans le primaire, et non plus seulement à partir de la 4e année comme c’était le cas auparavant. Il faut d’ailleurs souligner que le français est davantage enseigné aujourd’hui qu’il ne l’était avant l’indépendance.
Quelle est la position de l’État algérien concernant la circulation des harkis en Algérie ?
La liberté de circulation est totale pour les familles de harkis, à savoir leurs épouse et enfants. Quant aux harkis eux-mêmes, le gouvernement algérien n’a pas pour position de principe de refuser leur entrée en Algérie. Les décisions sont prises au cas par cas. Un refus d’entrée sur le territoire algérien n’est opposé que si la venue d’un harki dans une ville ou un village comporte un risque de trouble à l’ordre public.
Comment relancer les relations bilatérales bloquées entre la France et l’Algérie, et plus généralement entre l’Europe et le Maghreb ?
Encore une fois, en ce qui concerne les relations franco-algériennes, qui se développent dans tous les domaines, elles ne souffrent d’aucun blocage même si elles pourraient être plus denses et plus sereines.
L’Algérie reste très attachée au processus de Barcelone même si les espoirs présents lors du lancement du partenariat euro-méditerranéen en 1995 ont été déçus. L’Algérie, comme la plupart des pays du sud de la Méditerranée, ont eu l’impression que l’on mettait sur la table des négociations essentiellement ce qui intéressait et préoccupait les Européens : à savoir les questions d’immigration, de sécurité, de drogue, etc. Malgré cela, l’Algérie continue de fonder des espoirs dans le processus de Barcelone qui est une réelle opportunité de dialogue entre l’Europe et le Maghreb.
La libération récente d’islamistes n’est-elle pas potentiellement dangereuse ?
En ce qui concerne la question de la tragédie nationale en Algérie, le gouvernement algérien a choisi depuis 1999 de s’engager sur la voie de la réconciliation nationale. La « Charte pour la paix et la réconciliation nationale » a d’ailleurs été approuvée par référendum par le peuple algérien à une très large majorité. La libération d’islamistes est une des conséquences de la loi sur la concorde civile. Si des mesures d’amnistie ont été prises à l’encontre d’anciens islamistes, du FIS notamment, c’est dans un souci d’apaisement. L’Algérie veut tourner la page d’une période noire de son histoire pour regarder vers l’avenir.
La lutte contre le terrorisme a été d’autant plus difficile dans la décennie 1990 que l’Algérie a combattu seule contre ce fléau sans bénéficier de soutien ni d’aide de la part de l’extérieur (2). Ce n’est qu’à partir de septembre 2001 qu’il y a eu une prise de conscience occidentale de la réalité du terrorisme. En tous les cas, cette loi est une mesure d’apaisement et n’entame en rien la détermination de l’Algérie dans la lutte contre le terrorisme. ♦
(1) NDLR - Le 4 août 2006, les sociétés russes Gazprom et Loukoil et la société Sonatrach signaient une série d’accords de coopération dans le domaine des hydrocarbures. Ces rapprochements inquiètent les Européens qui craignent pour leur indépendance énergétique. Voir « La Russie et l’Algérie s’allient dans le domaine énergétique », La Croix, 8 août 2006, p. 19.
(2) NDLR. L’ambassadeur Dejammet a tenu à rappeler que pendant toute la décennie 90, lorsque l’Algérie était en proie au terrorisme islamiste, la France a manifesté un soutien appuyé au gouvernement algérien auprès des grandes organisations internationales (notamment au G7 et à l’ONU).