La 4e édition du Forum de Paris, qui s’est tenue du 10 au 12 février 2007 à l’Unesco avait pout thème « Quelle Europe pour quels Européens ? » Élie Barnavi dans sa synthèse évoque l’identité et donc les frontières de l’Europe avant de se demander quelle Europe nous voulons construire et pour porter quel projet ?
Le projet de civilisation
A model of civilisation
The 4th Paris Forum, which took place at UNESCO from 10 to 12 February 2007, had as its theme ‘What Europe for what Europeans?’.In this summary, Élie Barnavi evokes the identity and thus the frontiers of Europe, before asking what sort of Europe we wish to build, and what its purpose should be.
Comment faire la « synthèse » de ces journées ? En allant à l’essentiel, je suppose. Et l’essentiel, me semble-t-il, est de faire un bilan lucide de ce qu’on a accompli, dresser un état des lieux sans complaisance, et imaginer des voies réalistes pour avancer (1).
État des lieux
Ce que l’Europe a accompli est assurément remarquable. L’historien que je suis aurait aimé que l’on évoquât davantage l’histoire, car c’est dans le passé de l’Europe que l’on découvre le mieux le caractère herculéen de son édification. Songez ce qu’était l’Europe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et vous mesurerez mieux le chemin parcouru. Certes, Hubert Védrine a raison de rappeler que ce n’est pas l’Europe qui a fait la paix, c’est la paix, la menace soviétique et la volonté américaine qui ont fait l’Europe. Eh oui, on l’oublie trop souvent, parmi les pères de l’Europe figurent en bonne place Truman et Staline. Mais ces puissants personnages en auraient été pour leurs frais si les Européens eux-mêmes n’avaient trouvé dans les gènes de leur civilisation commune les raisons de leur aventure partagée. Et cela, c’est une très vieille histoire, qui plonge dans la nuit des temps. Nous n’en avons pas parlé, et c’est dommage. Peut-être sommes-nous nous-mêmes un symptôme de cette fuite devant l’histoire, de cet abandon du passé que Paul Thibaut a dénoncé dans une intervention forte, qui a donné lieu à un échange passionnant. Du moins avons-nous commencé par la question épineuse entre toutes de l’identité, qui y renvoie, qu’on le veuille ou non.
Or, qui ne voit que poser la question de l’identité, c’est poser la question des frontières ? Pendant près d’un demi-siècle, le rideau de fer, frontière artificielle, certes, mais hérissée de barbelés et donc bien réelle, a dispensé les Européens de s’interroger sur les limites spatiales de leur entreprise. Cela tombait bien : à quelques exceptions près, cette frontière-là recoupait celle de l’empire carolingien. On était entre nous, fils des Lumières, petit-fils de l’Église catholique, apostolique et romaine et de l’ordre féodal, donc contractuel, descendants en droite ligne du double héritage grec et romain. Aussi bien, la première configuration de l’Europe unie a été imaginée par un petit club de gentlemen démo-chrétiens et socio-démocrates qui se reconnaissaient parfaitement dans cette filiation. Et puis, divine surprise, le Mur s’est effondré dans les clameurs de joie de la foule en liesse ; l’élargissement s’est fait à la hâte : comment refuser à ces Européens si longtemps coupés de l’Europe l’entrée immédiate dans la maison commune ? Et il a bien fallu se poser d’angoissantes questions : jusqu’où ? et au nom de quoi ? À Pekin Baran, qui somme les Européens de ne pas laisser enfermer leur identité dans le passé ; à Fathallah Sijilmassi, qui les invite à imaginer une identité euro-méditerranéenne ; à Dominique Strauss-Kahn et à Jacques Attali, qui reprennent à leur compte cette exigence ; à Vaira Vike Freiberga, qui leur demande de ne pas jeter la clé et de ne pas faire de l’Europe une forteresse, Hubert Védrine et Kzrysztof Pomian répondent que cela dépend de l’Europe que l’on veut faire : dans les mots de ce dernier, une Europe marché peut s’élargir à l’infini, voire se fondre dans l’Organisation mondiale du commerce ; une Europe politique, une « Europe puissance » (nous y reviendrons) ne le peut pas. Cette Europe-là a besoin de frontières. Faut-il rappeler que les États-Unis, qui poussent l’Europe à s’élargir jusqu’à l’horizon et au-delà, sont bel et bien pourvus de frontières, eux — l’une d’ailleurs en train de se matérialiser par un mur — et que nul ne songe d’y englober le Canada et le Mexique. Une frontière, oui, mais selon quel critère, s’est demandé Jean-Noël Jeanneney. Ethnique ? Certainement pas. Religieux ? Pas davantage. Économique ? Cela n’a qu’un temps. Que reste-t-il donc ? La laïcité, consubstantielle de la démocratie ; et la géographie. Que ce dernier critère contienne une part d’arbitraire, comment le nier ? Mais le gouvernement des hommes n’a jamais été une science exacte, il faut accepter cela. Selon Cromwell, « on ne va jamais aussi loin que lorsqu’on ne sait pas où l’on va ». Eh bien, il est temps de changer de méthode, et de commencer à savoir où l’on va.
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