Parce que les médias confondent volontiers l’empathie pour les victimes avec la légitimité morale des guerres, les militaires — en particulier les Américains — souffrent d’une couverture souvent peu amène de leurs actions par les journalistes. À l’âge des médias de masse, ce culte de la « victimisation » (quel affreux mot !) peut avoir des répercussions tactiques voire stratégiques désastreuses. Le prurit d’infaillibilité morale qu’il exige façonne notre perception des guerres d’une manière idéologiquement biaisée. Il est aussi révélateur d’une défiance systématique des journalistes envers toute forme d’autorité, à plus forte raison lorsqu’elle porte un uniforme, et parfois en dépit de tout bon sens. L’information peut alors devenir l’enjeu central d’une bataille qui prend le dessus sur un affrontement armé pur et dur.
Guerre et logistique des perceptions
War and the logistics of perception
Because the media tend to confuse empathy for victims with the moral legitimacy of wars, the military - in particular the Americans - have had to contend with a less than sympathetic coverage of their deeds by journalists. In an age of mass media, the cult of ‘victimisation’ (such an awful word!) can have dire tactical and even strategic consequences. The indomitable need of moral infallibility that it demands has shaped our vision of war in an ideologically biased way. It is also the sign of a systematic defiance towards all forms of authority, even more so one that wears a uniform, and often against common sense. Information is then likely to become the core stake in a battle that takes over from a purely armed struggle.
« Désormais, la logistique de la perception tous azimuts l’emporte sur celle de la visée des armes employées sur le front, ou plutôt sur cette absence de front qui caractérise cette absence de guerre déclarée où tout se joue par écrans interposés ». Paul Virilio, Stratégie de la déception
Notre époque se caractérise avant tout par l’apparition et la diffusion de plus en plus rapide des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). L’Internet, les technologies sans fil et la portabilité croissante d’un nombre exponentiel de systèmes électroniques ont complètement bouleversé notre expérience du réel. Nous vivons à l’âge des écrans plats géants et des transmissions par satellite qui ont, pour ainsi dire, aboli la rotondité de la terre.
Les médias de masse, que l’on a d’abord cru dépassés par cette révolution, en ont au contraire tiré une influence sans précédent. En consolidant leur nouvel empire de l’image, ils se sont progressivement arrogé les attributs d’une véritable superpuissance globale, avec des conséquences géopolitiques majeures. Car contrairement au web, leur pouvoir n’est pas uniquement virtuel. C’est en partie la raison pour laquelle tant de personnages publics se commettent dans des compromis toujours plus cyniques avec les journalistes.
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