La doctrine occidentale évolue vers une présence durable des militaires en opération de stabilisation. Paradoxalement, cette tendance contrevient aux pressions sociétales visant à en réduire la visibilité. La doctrine de « l’anticorps » développée par les dirigeants militaires américains entre 2003 et 2006 a ainsi contribué à l’aggravation progressive des conditions sécuritaires en Irak. De plus, elle pose la question de l’origine de la perception des militaires occidentaux comme « occupants » ou « libérateurs ». Loin d’être un fait immuable et acquis, cette situation peut évoluer rapidement, à condition de penser les conditions de ce changement.
Occupants ou libérateurs ? Les forces armées occidentales en Irak et en Afghanistan
Western forces in Iraq and Afghanistan-occupiers or liberators?
Western doctrine is developing into one where military forces maintain a long-term presence in stabilisation operations. This trend would seem to be counter to pressure from society to reduce the visibility of the military. The antibody doctrine, developed by US military leaders between 2003 and 2006, contributed to the progressive deterioration of security conditions in Iraq and moreover begs the question as to whether Western military forces are seen as occupiers or liberators. Far from being entrenched, the impression can be quickly changed, as long as the conditions of such change are well thought out.
Les développements actuels de la doctrine de contre-insurrection au sein des armées occidentales, ainsi que les pratiques acquises dans les opérations de maintien ou d’imposition de la paix dans les années 90, ont remis en lumière l’importance de la présence « au sol » des militaires occidentaux pour maintenir la paix et la sécurité. Or, force est de constater que les débats politiques ou sociétaux sur l’engagement des forces armées en opération de stabilisation peinent à accepter ce fait. Bien au contraire, de larges coalitions comprenant autorités civiles et militaires, associations pacifistes et universitaires de renom, se forment contre la présence durable ou visible des militaires après les interventions initiales. Ce qui entraîne une contradiction : d’un côté, les outils militaires réfléchissent à la meilleure manière de « conduire à la paix », de l’autre, ils se voient refuser les moyens et la légitimité de le faire.
La doctrine de « l’anticorps » et son application en Irak : Occidentaux-occupants ?
Comprendre cette contradiction, et la résoudre, nécessite évidemment de se pencher sur les arguments avancés contre la présence visible et durable de militaires occidentaux « au sein des populations », afin d’en comprendre les enjeux, d’en mesurer la pertinence et d’en tirer des enseignements concrets. Nous proposons d’analyser ici l’idée selon laquelle les forces occidentales sont comme un « corps étranger » au sein de sociétés fondamentalement différentes, et selon laquelle la présence militaire alimente les contestations armées contre elle. Dans l’histoire militaire récente, elle s’incarne en la personne du général John Abizaid, commandant des forces américaines du Centcom entre juillet 2003 et la fin de l’année 2006. D’origine libanaise et arabophone, le général Abizaid formula durant son temps de commandement la doctrine dite de « l’anticorps ». Selon cette dernière, les militaires américains devaient agir en se montrant peu, en laissant à des forces de sécurité irakiennes formées par elles le soin de combattre les insurgés. L’autorité de son auteur — provenant probablement du fait qu’il s’agissait d’un des rares généraux arabes des forces armées américaines — et sa position hiérarchique expliquent certainement l’influence que la doctrine de « l’anticorps » eut sur les procédures tactiques et la stratégie durant ces années-là.
En effet, les militaires américains déployés en Irak avaient d’eux-mêmes pris l’initiative de « missions de présence », à l’imitation de leur expérience antérieure en Bosnie, en Haïti ou au Kosovo. C’est ainsi que l’on retrouve la patrouille, embarquée ou débarquée, comme le principal procédé commun à des unités aux procédures par ailleurs dispersées. Or, cela le devint de moins en moins à partir de la formulation de nouveaux impératifs stratégiques par le général Georges Casey, commandant les forces de la coalition entre 2004 et 2006. De fait, ce dernier décida que son objectif était la formation d’une armée irakienne calquée sur le modèle américain en vue du transfert de la responsabilité de la sécurité aux autorités légitimement élues du nouvel Irak. En mai 2005, le général Casey décida de transférer le fardeau de la formation de l’armée irakienne aux unités américaines, chacune étant chargée d’un partenariat avec une unité irakienne.
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