La question de la dissuasion nucléaire française fait encore aujourd’hui l’objet d’un large consensus alors même que les conditions qui ont présidé à sa création ont profondément évolué. Prenant en compte le risque majeur de la prolifération, la France pourrait avoir une carte à jouer en proposant un processus de désarmement incluant le renoncement complet à la dissuasion nucléaire.
Renoncer à la dissuasion nucléaire ?
Au lendemain de la parution du Livre blanc qui confirme le principe de la dissuasion française, à l’heure où la perspective d’une seconde guerre froide s’esquisse dans le Caucase, où l’Iran a des prétentions régionales qu’elle compte crédibiliser par l’accession au nucléaire, et où la Chine améliore de façon significative la performance de ses SNLE, la question peut paraître incongrue, voire malvenue. Pourtant, quand la France a fait le choix de se doter de cette arme, elle l’a fait en affirmant son caractère provisoire, confirmant le but d’un désarmement généralisé.
Qu’en est-il aujourd’hui ? La question ne doit pas être écartée au prétexte qu’elle fait l’objet d’un consensus. Il faut bien constater l’échec patent de la non-prolifération, évaluer les conséquences de la rupture unilatérale du traité ABM par les Américains, tirer les conclusions de l’inadaptation de la dissuasion face au terrorisme et aux menaces non étatiques, enfin et surtout, mesurer l’impact sur les pays du seuil non encore dotés de la persistance du choix nucléaire par les grandes puissances. La France, dont la voix est encore écoutée dans le monde pourrait-elle, opportunément et sous certaines conditions, faire le choix historique d’y renoncer ? Sans verser dans un angélisme dénoncé récemment par Hubert Védrine dans son livre Continuer l’histoire (1), la singularité de ce choix pourrait, sur la base d’une négociation multilatérale, créer les conditions d’une avancée très significative dans la lutte contre la prolifération. Il poserait également les bases d’un nouvel équilibre au sein du conseil de sécurité de l’ONU et ce faisant, soutiendrait le projet de remaniement de cette instance dont la France se fait l’avocat. Enfin, dans ces conditions nouvelles, la pertinence d’un bouclier antimissiles européen devrait être étudiée.
Un consensus bien établi
Le Livre blanc évoque à la fois l’incertitude stratégique liée à la prolifération et à la multiplication des vecteurs balistiques, mais également la possibilité d’une rupture technologique pour justifier le maintien d’une dissuasion nucléaire française. Néanmoins, si les menaces changent, le concept de dissuasion, lui, évolue peu. Des nuances concernant un éventuel emploi tactique ou préstratégique afin de rétablir la dissuasion ont fait leur apparition, mais n’altèrent pas l’essence même de la dissuasion qui vise à faire peser sur tout adversaire potentiel des risques inacceptables par rapport aux objectifs recherchés.
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